Et c'est précisément quand je suis à Oslo que j'apprends le décès de Tormod Haugen. (Et dire que j'écrivais pas plus tard qu'il y a quelques semaines que les Norvégiens l'avaient oublié…)
Tormod Haugen était pour moi le plus grand écrivain norvégien de littérature pour la jeunesse. Lui qui voulait faire du cinéma, qui avait été si influencé par la Nouvelle Vague, et notamment par Éric Rohmer, avait écrit presque par hasard. C'était en 1973 et le roman s'appelait Pas comme l'année dernière. L'histoire était celle de Jørgen, un jeune garçon effrayé par tout, par les ombres dans la forêt, par les autres enfants prêts à le rudoyer, par la vie. Et puis, comme l'année dernière, il rencontre cette jeune fille de son âge (son nom m'échappe) qui est tout le contraire de lui: elle déborde de vie, elle n'a peur de rien ni de personne, elle répond aux gens, ces gens qui disent d'elle qu'elle est un garçon manqué. Toute l'œuvre de Tormod se trouve cristallisée ici: la peur comme atavisme chez l'enfant, que des parents trop occupés ne voient pas, que la société impitoyable oublie, que les autres enfants rudoient. Tormod écrivait avant l'heure des romans sur le genre. Un peu comme dans la chanson de Blur, "Girls who are boys who like boys to be girls who do boys like they're girls who do girls like they're boys." Certains diraient que Tormod était queer avant l'heure. Il a détourné les contes de fée en présentant un dragon qui capture un prince qui doit être délivré par une princesse et qui ne veut pas être délivré par une princesse mais par un chevalier si bien qu'au final la princesse devient meilleure amie avec une autre princesse.
Oui, Tormod a toujours été un précurseur. Il écrivait de la fantasy alors que la mode n'était pas à ce genre littéraire. À l'heure du réalisme social qui imputait à la société tous les maux de l'enfant, il écrivait que le mal peut se trouver à l'intérieur de l'enfant, que l'enfant peut être rongé par un mal qui se trouve en lui et qu'il a besoin de toute notre attention. Il a toujours respecté les enfants. Il m'avait dit il y a quelques années combien il devenait difficile pour lui d'écrire des romans pour la jeunesse. Il connaissait mal cette jeunesse désormais, et il n'avait qu'une peur par rapport à ces enfants et ces adolescents qui le lisaient: leur mentir, leur écrire des histoires qui seraient fausses. C'est sans doute pourquoi il a écrit ces contes sur la Prinçusse Klura.
La plus belle de ses histoires demeure à mon sens la trilogie consacrée à Grégoire & Gloria. Dans le premier tome, Grégoire aime Gloria qui le déteste et croit que tous les cadeaux qu'elle reçoit en secret viennent d'Édouard alors qu'Édouard la déteste. Ils finiront par se trouver et par s'aimer, si fort, tellement fort. Grégoire et Gloria finissent par s'aimer puis vient le doute; puis viennent les signes d'amour adressés aux autres et qui semblent plus forts que ceux que l'on recevait; puis vient la séparation parce que l'amour s'achève lui aussi, paraît-il, peut-être, peut-être pas. L'amour existe, peut-être, peut-être pas. Quelqu'un est là, quelque part, qui nous attend, sans doute, sans nul doute.
Tormod Haugen est décédé samedi 18 octobre dernier des suites d'une longue maladie. Il avait 63 ans.
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