On regarde en captures d'écran ces désormais célèbres "larmes sous la pluie", qui sont en réalité une improvisation de l'acteur néerlandais:
Revoyant cette scène des "larmes sous la pluie" et voyant dehors les gouttes de pluie, JB repensedu coup à ce syntagme qu'il aime
Il apprend grâce au Robert historique de la langue française que l'évolution sémantique du substantif rideau pour finalement désigner, par analogie, ce qui dans la nature fait obstacle au regard est relativement récente au regard de la première attestation du terme, en 1347:
◊ Rideau de… se dit aussi de tout ce qui forme écran et masque la vue ou est susceptible de s'opposer à une action: rideau de troupes désigne une ligne de défense mobile (fin XVIe siècle). Par extension, rideau s'applique, au concret (1770) et au figuré (avant 1784) à des objets relativement plats qui forme écran, notamment dans rideau d'arbres (1755), rideau de flammes, de fumée (1964).
De fait, l'acception n'est pas recensée par Richelet dans son dictionnaire de 1690 et l'Académie l'intègre seulement dans sa 6e édition de 1835:
RIDEAU se dit aussi figurément Des arbres ou arbrisseaux plantés en haie ou en palissade, pour produire de l'ombre, ou pour rompre la violence des vents. Les cyprès, les thuyas, les peupliers d'Italie sont très-propres à former des rideaux. On dit de même, Cette allée d'arbres, cette suite de maisons forme rideau, Elle arrête la vue, et cache les objets plus éloignés.
Toutefois, le nettement moins conservateur Dictionnaire universel d'Antoine Furetière (1690) recense la locution:
Plus ancienne est cependant la locution tirer le rideau sur quelque chose, que Furetière nous explique ainsi:
Le rideau, qui depuis l'origine sert à cacher, et donc à dissimuler, est à peu près à cette époque concurrencé par le voile, confer l'expression jeter un voile discret ou (mieux! c'est l'adjectif préféré de JB dans cette locution syntagmatique) pudique. Et si jeter un voile pudique ne se trouve dans aucun dictionnaire généraliste, le Robert des expressions et locutions nous explique que:
Jeter [étendre, tirer] un voile sur: “dissimuler qqchose, passer sous silence” (1730, Voltaire). Cet emploi métaphorique de voile date du XVIIe siècle. La locution correspond au contenu du verbe voiler. À l'opposé, on dit de la même façon lever le voile sur qqchose, “révéler”. Le verbe dévoiler utilise la même métaphore. Dans un contexte particulier, on trouve: Jeter (etc.) un voile pudique, discret, sur…
Étonnamment, le voile pudique ou discret ne se trouve pas non plus dans l'excellent Dictionnaire des combinaisons de mots (aux éditions Le Robert, 2007), une sorte de dictionnaire analogique qui recense ce qu'on appelle en linguistique les collocations: c'est-à-dire les associations traditionnelles de mots, la phraséologie. Ainsi pour la substantif voile (qui, donc, n'y figure pas), les collocations verbe + nom seront, comme on le voit plus haut: jeter, tirer, étendre, etc.; les collocations nom + adjectif seront: pudique, discret, etc.
De même, l'irremplaçable Dictionnaire analogique de la langue française de Prudence Boissière (1862) ne propose pas la locution. Toutefois, si on va consulter l'ancêtre du dictionnaire analogique français, Les épithètes françaises rangées sous leurs substantifs, un, JB cite, "ouvrage utile aux poètes" (!!!) écrit par le Père Louis François Daire et publié en 1759 (le plus ancien étant cependant Les épithètes de Monsieur De La Porte, publié en 1510), on trouve bel et bien des propositions:
Si le voile pudique est absent, le voile discret est toutefois proposé. Et, si on revient pour s'en convaincre au Dictionnaire analogique de Prudence Boissière, on constate que l'adjectif pudique et son contraire impudiques sont associés aux mots: chaste, honte, licence, luxure, nu, pur, vierge.
Cette longue digression par la phraséologie pour mieux montrer que, dans leurs emplois métaphoriques, le voile couvre ce que le rideau n'avait pas prévu de masquer: le corps, la nudité, la sexuation et la sexualité. Et, comme le montre les entrées chez Boissière, la locution voile pudique porte en elle et avec elle un parfum de honte et de scandale. À preuve les plus anciennes attestations que JB ait trouvé recensées dans la base Gallica de la BNF. La première trace se trouve dans Le Crime, écrit par Robert-Martin Lesuire en 1789:
La seconde occurrence est extraite de Cynodie, un ouvrage de 1833 écrit par une certaine Antoinette Dupin:
L'image est celle du pan de tissu tendu sur les parties dites "honteuses" de la femme, ainsi qu'on peut le voir sur cette étonnante Vénus au voile de Lucas Cranach de 1532 (ce visage… ce visage!):
De fait, nous indique également le dictionnaire, la nudité doit être absolument voilée. Le langage a intégré dans son usage ce que la morale réprouve et impose:
♦ Voiler la nudité de qqn. Si vous saviez, à côté de l'exactitude la plus minutieuse à traduire le texte saint, quelles trouvailles de délicatesse a eues le vieux sculpteur (...); ce voile, aussi, que la Vierge arrache de son sein pour en voiler la nudité de son fils (Proust, Jeunes filles en fleurs, 1918, p. 841).
Bien sûr, cette nudité qu'il convient de cacher, ce corps sur lequel il faut jeter un voile pudique, est forcément, quasi consubtantiellement, celui de la femme. Le corps et la nudité et la sexuation de l'homme n'ont pas besoin d'être cachés ni dissimulés.
Ceci, sur le voile, pour revenir au rideau de pluie, aux larmes sous la pluie.
Car une autre acception du voile et de ses dérivés, ici le verbe voiler, se rapporte une fois encore à ce qui est vu (et donc ne doit pas être vu) et à ce qui empêche de voir (volontairement ou pas).
Le TLF nous indique en effet que le "sens métaphorique" du verbe voiler, quand le verbe signifier alors "“cacher, rendre moins visible, masquer”" date de 1550, et ce serait Ronsard qui le premier l'a employé dans ses Odes. Mais le lien entre le voile, la pluie et les larmes, c'est non seulement "le voile de tristesse" qui peut s'abattre entre les humains et les choses qu'ils regardent (à l'instar du rideau de qui obstrue la vue), mais aussi "les yeux [qui] se voilent". Et qui, le premier, a employé cette métaphore, à en croire le TLF? C'est… Balzac:
1824 en parlant du regard (Balzac, Annette, t. 2, p. 122: elle baissa la voix et ses yeux se voilèrent)
Une fois de plus Balzac. Une fois de plus car, souvent, quand JB cherche l'auteur(e) de telle invention sémantique, il retombe très souvent sur Balzac. Ainsi de l'association du visage humain à la face de hyène, ainsi de la désormais célèbre peau de chagrin — et JB en a encore plein en réserve, sur lesquels il reviendra.Toujours est-il que, depuis Balzac, et grâce à lui, le regard se voile. Les yeux se voilent d'émotion et de tristesse, et ils se voilent d'autant plus quand un rideau de larmes s'abat sur eux. Le liquide (les larmes, la pluie), le sentiment (la tristesse, l'émotion), la manifestation (le rideau, le voile) et à chaque fois le regard (la vue bouchée, obscurcie, obstruée). Comme en ce samedi où un rideau de pluie s'abat sur Berlin et qu'un voile de tristesse apparaît dans le regard tandis que les larmes sous la pluie se diluent dans l'eau de cette même pluie. Aïe…
Mais, comme personne ne veut être triste, on va écouter le très early reggae Please Stop Your Crying, de Larry & The Cables, "a scorcha from Bamboo" comme il figure sur le 33 tours, Bamboo étant la maison de disque qui l'a sorti en 1969 (y a pas de secret!), et scorcher (ou scorcha) signifiant un tube, un morceau accrocheur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire