vendredi 23 novembre 2012

Ruthubuth et cucubut

Et JB (oui, il sait, il s'absenté pendant longtemps — il avait ses raisons) tombe ce matin sur un mot inconnu:

ruthubuth

Non, pas le polysémique "Ruth, tu buttes". Ni le réprobateur "Ruth, tu bus, t-t-t…"  Et surtout pas le télégraphique "[il est en] rut, tu [le] buttes!". Mais bien le substantif


Ruthubuth, késako?
JB entend ses petits amis d'ici:
— Si t'es revenu pour nous dire ça, t'avais qu'à rester où t'étais, hein!
JB est comme Elling, il répond:
— Très bien, je le note.
D'ailleurs, quand JB traduisait il y a quelques jours cette phrase du 4e tome des histoires du héros d'Ingvar Ambjørnsen, "Je n’arrivais pas à me concentrer. Visiblement il était quatre heures.", il a bien inspiré puis bien expiré. À plusieurs reprises.

Car, justement, en parlant d'Elling et du ruthubuth, ils iraient parfaitement ensemble. Ou plutôt: le second décrirait assez bien le premier.
De fait, ruthubuth (JB ne sait si le genre est masculin ou féminin) est une pathologie mentale. En apprenant ça ce matin, JB en est presque tombé de sa chaise, manquant ainsi de peu le traumatisme crânien.

Le ruthubuth n'est pas l'ancêtre du rutabaga, mais bien une maladie comme le scorbut (avec lequel il n'a cependant rien à voir).
JB cite en moyen français dans le texte:


— Boah… Ça nous fait une belle jambe! s'exclament, moqueurs, les petits amis de JB.
— Mais non, pas la jambe, la tête, rectifie ce dernier.
— Alouette.

Quoi qu'il en soit, JB adore cette tournure "corruption de pensée". Lu en 2012, ça ressemble presque presque aux "mots d'oiseaux" (dixit) que se lancent les prétendants à la chèferie de l'UMP.

On résume: le ruthubuth est une pathologie au même titre que "l'aliénation", la perte de mémoire ou la "mélancolie". Bref, le ruthubuth, ça vous flingue le cerveau, l'humeur, l'esprit, la joie de vivre, etc. Le ruthubuth, c'est un Valium et au lit. Elling ne dit d'ailleurs pas autre chose:
(…) dans les circonvolutions de mon cerveau le Valium chantonnait positivement (…)

Et donc le ruthubuth.
Le terme est a priori un hapax, c'est-à-dire un mot qu'on ne trouve qu'une fois. JB a cherché sur internénette, rien à part cette occurrence. Il est allé chercher sur Medic@, la bibliothèque numérique de la Faculté de Médecine de Paris (Université Paris V), rien non plus. Il est allé chercher dans le dictionnaire de moyen français, toujours rien.
Crotte alors!

Isabelle Védrenne-Fajolles, dans un article passionnant (extrait d'un livre que JB s'est procuré dès ce matin puisqu'il parle de traduction, en l'espèce de textes du Moyen Âge), confirme les soupçons lexicographiques de JB:


L'auteur de cet a priori hapax est Martin de Saint-Gille, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu'il était (JB cite) "maitre en ars et en medicine", fut le médecin du roi Jean II en 1352 et traduisit en français (en moyen français, donc) les Aphorismes d'Hippocrate, intitulés Les amphorismes Ypocras, de 1362 à 1365. JB précise à ses petits amis que, à l'époque, la médecine française était la meilleure en Europe, notamment parce que les Français avaient adopté le savoir des médecins arabes (Avicenne, entre autres). Son ouvrage a été republié, retraduit et annoté en 1954 par Germaine Lafeuille, dont un certain Dr Paul Delaunay dit dans la Revue d'histoire des sciences et de leurs applications en 1955:


JB adore ce "mademoiselle"!

Mais JB qui, en véritable Saint-Thomas de la traduction, ne croit donc que ce qu'il voit, est allé chercher sur Gallica, le site de la BeuNeuFeu. S'il n'a rien trouvé en tapotant ruthubuth, il a toutefois retrouvé le manuscrit o-ri-gi-nal de Martin. Il a même (grâce à Germaine) retrouvé la page exacte, la 167, où apparaît le terme mystérieux:


Bon, OK, c'est pas fastoche à déchiffrer. JB aide ses petits amis. Le mot se trouve à la 8e ligne en partant du haut. Comme il n'est pas vache, il l'a même zoomé et reproduit. Le voici:


JB est enthousiaste. Il ne se lasse pas de lire et relire, de regarder et de reregarder ce ruthubuth.
Il s'imagine déjà le placer dans n'importe quelle conversation.
Les petits amis de JB: Tu viens au nighter ce soir?
JB: Non, désolé, j'ai mon ruthubuth.
Ou:
Les petits amis de JB: Tu as rencontré quelqu'un au concert des Aggrolites hier?
JB: Non, désolé, j'ai été pris d'un ruthubuth carabiné, j'ai été obligé de rentrer.
Ou bien:
Les petits amis de JB: Tu viens manger du boudin noir avec nous?
JB: Non, désolé, j'ai envie de voir personne, j'ai une crise de ruthubuth.
Etc…
Autrement, qu'on se traîne un ruthubuth, on est hyperdésolé.

Quelque chose turlupinait toutefois JB, ce matin. C'étaient les autres pathologies que Martin énumérait et dont le sens était obscur: stolidité, despicience, fatuité
Le dictionnaire du moyen français, à défaut de connaître le ruthubuth, n'est cependant pas sans connaître la stolidité (qui n'a rien à voir avec la solidité d'un membre, JB ne dévoile pas lequel). Or, à la grande surprise de JB, un nouveau mot obscur apparaît, qu'il souligne et noircit:

 STOLIDITÉsubst. fém.FEW XII stolidus
[FEW XII, 280b : stolidus]
MÉD. "Stupidité" : Aulcune fois la memoire est blecee ou non, aulcune fois non si come dist est ou chapitre de memoire et selon la diversité des quantités du siege, selon ses diverses infections et corrupcions de courage sont engendrés et selon ce elles ont divers nons, si comme alienacion de pensee, corrupcion de sapience, stolidité, cucubut ou chief d'eaue, yponcondria ou mirachia (GORDONPrat., c.1450-1500, II, 18).


Le cucubut?
Pardon?
Le cucubut?!
Un "but cucul" (la praline)?
Nan…
Non.
Qu'est-ce que c'est encore que ce machin?!?!
Qu'est-ce que c'est encore que cette maladie du cerveau?
JB a fait une recherche et là, idem, rien.
Rien. Nix. Nada. Nüschts.
Donnerwetter!

Le cucubut et le ruthubuth restent des mystères lexicographiques.

Sur ce, atteint de cucubut et de ruthubuth, JB va se coucher incontinent.