mercredi 12 octobre 2011

Die poetische und politische Golden Shower

Und der JB, der genau wie Marcel (Proust) früh schlafen ging (Zitat: "Lange Zeit bin ich früh schlafen gegangen." — und hiermit eröffnete sich, ja, spritzte sich aus für die sämtliche frantsösischö Unterrichts- & Akademikerwelt eine unversiegbare Quelle von Glosen & Interpretationen), ist also früh… aufgestanden. Früh eingeschlafen und früh aufgestanden um sich sofort mit seinem ganzen Körper in die Arbeit reinzuschmeissen. Momentan übersetzt der JB das dritte Buch der Reihe Ingvar Ambjørnsens über Elling, und genau die Passage, wo Elling sein erstes Gedicht schreibt:

Auf norsk:
Vi fant henne i trappen / Håret / En sort ravnevinge som vinden slo / mot det uvaskede linoleum. / Vi la henne på sengen / og så at englene hadde besvangret henne.
© Ingvar Ambjørnsen for den norske versjonen
Auf doitsch:
Wir fanden sie im Treppenhaus / Ihr Haar / Eine schwarze Rabenschwinge, und der Wind / Schlug sie gegen das ungeputzte Linoleum. / Wir legten sie aufs Bett / Und sahen: Die Engel hatten sie schon geschwängert.
© Gabriele Haefs für die deutsche Fassung
Auf frantsösischö:
Nous l’avons trouvée dans l’escalier / Sa crinière / Une aile de corbeau, jais, que le vent frappait / contre le linoléum toujours sale. / Dans son lit nous l’avons allongée / pour découvrir que les anges l’avaient déjà fécondée.
© Jean-Baptiste Coursaud pour la version française

Also dachte der JB poetisch: "Boah, krass ey… Die lyrische Schöpfung ist verdammt nochmal überall!"

Und mit dieser penetranten empirisch gemachten Feststellung ging der prosaischer JB weiter prosaisch agieren. "Weniger müssen müssen", verspricht eine gewisse u.a. im Zug plakatierte Werbung, die für den JB immer ein sinnwidriges & vernunftwidriges Rätsel verblieb. Und während er da sass und eine zweite wenn nicht dritte penetrante empirische Feststellung machte (2) die Quelle, egal jetzt welche, war unversiegbar; 3) die Reklame war ein wandernder Unsinn), konnte er noch dazu konkludieren, dass die lyrische Kreation tatsächlich überall lauerte, selbst dort, und nicht nur das: aber dass das alles eigentlich einen grossen und einzelnen Zusammenhang bildete. Und dann, dann, ja, dann machte er eine vierte penetrante empirische Feststellung.

Es wurde nämlich so.
Der JB sass und las das Fanzine Commybastards (dank G — einen schönen guten Morgen, G!). Der JB musste also und musste währenddessen das Interview der badenwürttembergischen Oi-Band Produzenten der Froide lesen. Denn nicht nur hatte er sich letzte Woche durch einen elektronischen & skinheadischen Konsumladen folgendes neu entdecktes T-Shirt bestellt:


Aber da und dort, als er sass und las und musste, erfuhr der JB zu seinen Erstaunen und Freude Froide (der JB ist normalerweise weder geübt noch speziell verliebt in Oi, sondern in Ska), dass das Logo eigentlich ein Lied von Produzenten der Froide war. Und nicht nur das, aber auch folgendes:


Also dachte der JB wieder und genauso poetisch: "Boah, krass ey… Die lyrische Schöpfung ist verdammt nochmal wirklich überall!"
Aber nicht nur das.
Denn der JB musste eine fünfte (diesmal sehr) penetrante empirische Feststellung machen. Nämlich: das Glied ist politisch. Commybastards behauptete dass "das Urinieren eine unpolitische Tätigkeit" sei, aber das stimmt gar nicht! JB wiederholt mit anderen Worten:
Der Puller ist politisch.

Der JB musste sich sofort schämen.
Nämlich: er hätte das wohl schon wissen müssen (auch weil er nicht weniger müssen müssen will). Denn er wusste schon, dank dem frantsösi(sehr)schön schwulen Aktivist (und da haben wir die lyrische Kreation, die unendlich überall lauert) Guy Hocquenghem, dass das Gesäss auch politisch sei. Das hatte der in 1988 von den Folgen von AIDS verstorberne Schriftsteller schon damals in seinem 1972 erschienenem Essay Das homosexuelle Verlangen, geschrieben:
Mein Arschloch ist revolutionär.
Also mit anderen Worten:
Mein Popo sowie mein Puller sind politisch.

Und mit dieser sechsten penetranten und empirisch gemachten Feststellung kann der JB und seine lieben keinen Freunde zu der lyrischen Kreation zurückkehren und diesmal das Gedicht der Partisan der Froide singen:
White Power / Golden Shower / Ich piss dir ins Gesicht / So muss das sein

Und damit zurück nach Dammburg, øøø, pardon… nach Hamburg.

lundi 10 octobre 2011

"Sing mit mi!"

Et JB, qui en ce lundi matin s'est réveillé dans un Berlin gris et pluvieux et a priori glacé, s'est exclamé in petto: "Oh naaan…" Et pourtant si. Et non content de se désoler de la météorologie, il découvre des pneus électroniques abracadabrants qui ne lui donnent qu'une envie: regagner illico le lit. Ce qu'il ne fait pourtant pas, en bon soldat vaillant.
Et il a eu raison.

Puisque, au hasard de ses pérégrinations internénettiennes, il est tombé, grâce à ARTE, sur les Portraits chantants d'une artiste française résidant à Strasbourg, Celine Trouillet, laquelle, dixit, "réalise des portraits vidéos où la voix, le chant et la marginalité sont les éléments centraux".
L'idée est pour elle de demander à des quidams de réinterpréter des chansons connues. Et elle ne le demande pas à n'importe qui, elle le demande aux femmes. Elle précise:
Tous les films évoquent l'ambiguïté de la situation actuelle des femmes dans un contexte, en France comme ailleurs, dans lequel la culture, l'identité et les a prioris de chacun de nous sont de plus en plus assujettis aux ambiguïtés et incertitudes qui sont le résultat des changements radicaux dans le paysage social d'aujourd'hui.

Parmi les trois portraits qui figurent sur le site d'ARTE, l'un a particulièrement retenu l'attention de JB. Puisque la chanson, le tube interplanétaire de Gloria Gaynor, I Will Survive, est chanté en… alsacien! Quoi de mieux pour le blog tatoué et fumeur qui s'intéresse à la langue et aux langues?
La chanteuse s'appelle Isabelle Grussenmeyer et c'est elle qui a "adapté" les paroles en alsacien.

On regarde, c'est géant — puisque, de toute façon, on commence toujours mieux une semaine avec une pincée de féminisme.
Un dernier mot: la seule phrase que JB grosso modo comprend du texte alsacien est cette invite "Sing mit mi" qui signifie "Chante avec moi". Ce que tous les petits amis de JB fera avec ladite Isabelle.

jeudi 6 octobre 2011

Le Prix Nobel de littérature en live!

A y est. JB est prêt. Clopes et café sont à portée de main. Blogger s'affiche sur l'écran de droite face aux yeux myopes de JB tandis que, sur l'écran de gauche, le site du prix Nobel est en ligne. JB va commenter la remise du prix Nobel de littérature 2011.

12h35:
Tandis qu'un compte à rebours annonce au spectateur que, dans 00:22:32… 31… 30… 29… etc., le nom du lauréat ou de la lauréate sera connue, un écran diffuse en live interplanétaire la salle des pas perdus du Comité Nobel. Derrière un voile grisâtre sur lequel s'affiche "Announcement of the Nobel Prize if Literature", on distingue des gens, des journalistes à n'en pas douter, qui font le planton devant une porte fermée. Aha, se dit-on, c'est donc derrière que les membres du Comité Nobel sont réunis en conclave. Suspense…

12h39:
Cependant qu'on attend toujours, une musique d'ascenseur pseudo-planante et surtout irritante est censée tenir le spectateur en haleine.

12h41:
Against all odds, comme dirait James Bond, la presse suédoise ne donne plus le poète syrien Adonis comme grand vainqueur, mais plutôt la franco-algérienne Aïssa Djebbar, le Hongrois Peter Nádas (et JB serait bien content si c'était lui) ou le poète suédois Tomas Tranströmer — mais lui aussi est annoncé grand vainqueur tous les ans, alors… Nulle part JB ne voit apparaître le nom de Paolo Coelho, ce qui est un petit scandale en soi.

12h46:
Toujours rien sur la retransmission en duplex depuis Stockholm. Pff… JB a le temps de continuer son ouvrage, lui qui se prépare une sortie de bain en crochet à l'aide de fils en motif domestos.

12h50:
Le Svenska Dagbladet trouve "toujours très étrange que les Américains soient toujours aussi bien côtés chez les brookers." Ce qui, pour le quotidien suédois, s'explique par le fait qu'ils soient "très productifs". Exit, donc, Joyce Carol Oates et Philip Roth. Et les Canadiennes voisines de suivre le même chemin. Adieu, donc, Margaret Atwood (elle aussi, ça ferait plaisir à JB qu'elle l'ait), Anne Carson et Alice Munro.

12h53:
Ah… Le voile gris vient de se dissiper… On distingue un peu mieux l'assistance. Mais la caméra étant en plongée, on aperçoit surtout des têtes et des cheveux. JB ne distingue aucun crâne rasé, et ça aussi c'est un scandale.

12h55:
Le compte à rebours des 5 dernières minutes a commencé… C'est insoutenable, la pression qu'ils nous foutent au Nobel. Heureusement que JB a ses sels!

12h56:
Il doit faire super chaud car quelqu'un s'évente avec ses feuilles. Ça c'est de l'information!

12h58:
La musique vient de s'arrêter. C'est imminent… Oh la la la la la la…

12h59:
Ça crie dans l'assistance, mais la porte est toujours fermé. Le compte à rebours indique 50 secondes!!!!!!! JB est complètement hystérique. Vite un sniff de sels!

12h59m50s:
La porte s'ouvre!

13h:
C'est Tomas Tranströmer!

13h01:
Les Suédois sont hystéros! Fallait entendre les vivats!

13h02:
Bon ben… a y est, quoi… C'est tout. Si. JB doit avoir dans sa bibillotèk des poèmes de TT. Minute, papillons…

13h06:
JB vient de retrouver un tuk sur TT dans son Histoire des littératures scandinaves, par Régis Boyer, où il est écrit:
(…) à travers elles [ses images], il [TT] cherchait à saisir le mouvement profond d'un cosmos que l'on porte en soi autant qu'on le contemple car ce cosmos témoigne de "l'énergie de Dieu / Déferlant dans les ténèbres".
Purée, on n'est pas rendus… (comme on dirait le patois de JB).

13h09:
Bon, Peter Englund, le secrétaire du Comité Nobel de littérature, vient de donner une interviou où il dit que TT écrit des machins magnifiques. Génial! En français, c'est le Castor Astral girondin et Gallimuche qui le publient. Et JB est bien content pour le Catsor Astral, tiens!

Allez, sur ce, JB va se sustenter en un mot. Il a de la hure qui l'attend. Babaille!

jeudi 29 septembre 2011

Au petit bonheur la chance

Et hier, à cette heure-ci sinon plus tôt, JB était en villégiature forcée au 18e étage d'un immeuble berlinois qui en compte 19. La veille, lorsqu'il y avait pris ses quartiers, la dame blanche (qui se dit en anglais banshee, comme celles de Siouxsie) lui avait dit que la nuitée coûterait 36 € l'unité, en prenant soin de préciser: "Cette somme, l'hôtel autrement dit, vous devez la virer sur ce compte-là. L'autre somme, sur ce compte-ci". Et JB de répliquer: "Si la première somme est l'hôtel, la seconde est le péage, c'est ça?" Ça les avait fait ricaner. Bref.

Toujours est-il que JB se réveillait hier aux horreurs et que, depuis son 18e étage, il bénéficiait d'une vue imprenable, aussi plongeante que panoramique sur Berlin. Il était 6h30 du matin, JB avait déjà bu 1 litre de café et fumé 30 cigarettes et, devant le spectacle urbain, il en était resté coi d'admiration. Du coup, il avait pris une petite photo:

© icke

Comme la photo le montre, il y avait cet étrange filet tendu devant la vitre — et JB s'était demandé s'il avait été accroché pour empêcher les gens de se prendre pour Birdy ou pour empêcher les vrais oiseaux de venir se poser sur l'espace attenant à la fenêtre.

Tout en regardant, JB avait sa musique dans les oreilles. Et notamment ce morceau d'Eric 'Monty' Morris qu'il aime tant et qui convenait si parfaitement à la situation et à sa villégiature. Et il n'est pas le seul à le trouver renversant puisque, sur toitube, on trouve le commentaire suivant:


Allez, on écoute — et JB a pris soin de consigner les paroles pour ses petits amis, juste en-dessous:



There comes a time in life with chances we take
And if you're fortunate, you'll get a break
Don't look back when you're moving along the way
Or you'll realize, there's tears in your eyes
We all got problems but we've got to fight hard
Cause if you turn back, then you will be wrong
Take my advice and rather think twice
Then your days and your nights will be so nice

Écoutant ça et regardant Berlin, JB se disait que c'était exactement ça: qu'il ne fallait surtout pas regarder en arrière mais droit devant, vers la Tour de la télévision, vers l'horizon. Mais il se disait surtout que, oui, on prend des risques — et il s'étonnait que risque et chance, en anglais, se cristallisent en un seul mot: chance.

Et, invariablement obsessionel (rien de neuf sous son soleil socialiste, même matinal et même naissant), JB se souvenait avoir entamé en février de cette année un post sur ce mot, chance. Car quelle chance n'a-t-il pas eue, ce mot. Le mot chance. Quelle fortune linguistique notre chance française n'a-t-elle pas connue! Puisqu'elle va s'exporter dans de très nombreuses langues. À commencer par l'anglais qui l'importe dès le XIIIe siècle, indique à JB le Oxford Dictionary of English Etymology. En anglais moderne, le substantif chance a 5 définitions majeures (il en y a d'autres, plus techniques, mais ce sont celles ci-dessous qui nous intéressent), ainsi que nous l'explique le American Heritage Dictionary:

    1. The unknown and unpredictable element in happenings that seems to have no assignable cause.
    2. A force assumed to cause events that cannot be foreseen or controlled; luck: Chance will determine the outcome.
  1. The likelihood of something happening; possibility or probability. Often used in the plural: Chances are good that you will win. Is there any chance of rain?
  2. An accidental or unpredictable event.
  3. A favorable set of circumstances; an opportunity: a chance to escape.
  4. A risk or hazard; a gamble: took a chance that the ice would hold me.

Le français, quant à lui, en connaît quatre, que JB emprunte au Littré:
1° Façon d'advenir, suivant des conditions qui ne nous sont pas connues.
2° Absolument et abusivement heureux hasard, bonne fortune.
3° La probabilité qu'il y a qu'une chose arrive ou non.
4° Sorte de jeu de dés.

À part la cinquième définition, que JB a pris soin de souligner car elle correspond au sens de chance employé également par Eric 'Monty' Morris (sur laquelle il revient dans pas longtemps), on voit que les significations sont à peu près identiques.
Bon.

En fait, la chance, c'est donc ce qui "arrive", ce qui survient, mais c'est d'abord ce qui tombe. De fait, chance, souligne le Robert historique de la langue française, "est issu de l'évolution du latin cadentia", qui a donné notre cadence française. Ce même cadentia, poursuit le TLF, est une "substantivation du participe présent pluriel neutre de cadere «tomber» qui s'employait aussi en latin classique dans le vocabulaire du jeu en parlant de l'osselet". D'où le quatrième sens donné par le Littré mais que le TLF, pour sa part, liste en premier:


À cet égard, le Robert historique de la langue française indique:
◊ Sa spécialisation au jeu “chute de dés” (1200) a disparu, sauf dans quelques locution aujourd'hui mal comprises comme jouer sa chance, donner la chance “jeter les dès le premier”.
Re-bon.

Donc la chance comme chute, la chance issue de cadere, verbe latin qu'on retrouve en français moderne dans le verbe choir, d'où la chute — la boucle est bouclée, et le dictionnaire latin > français Lebaigue (!) nous le montre, JB a même surligné en bleu, histoire que ses petits amis voient bien:


Et, pour en finir avec le latin (puisque c'est quand même le pot aux roses, cette histoire de l'étymologie latine), c'est le supin de cadere, casum, qui a donné casus, substantif qui lui-même reprend les sens modernes de la chance tant anglaise que française. Et on voit bien, à travers l'évolution sémantique de casus comment on passe de la chute à l'événement, c'est-à-dire à ce qui arrive, à ce qui tombe à tel moment, ainsi que nous l'explique le toujours décidément bien-nommé Lebaigue:


Autrement dit, la chance viendrait d'abord de la ruine, du déclin, de la mort. Ça alors… On aimerait plutôt retourner cette évolution sémantique en implorant les déesses de la… chance et en s'exclamant: "Avec un peu de… chance, je ne connaîtrai ni l'accident, ni la maladie, ni la mort!" Et ainsi, on n'entendra pas dans l'origine du mot chance ses sens anciens quand on le prononcera.
Et c'est d'ailleurs ce qu'aurait pu penser JB du haut de son 18e étage s'il ne s'était abîmé dans la contemplation d'un Berlin qui s'éveillait, tandis qu'il écoutait Eric 'Monty' Morris dont voici la photo, alors qu'il était encore minot:


Puisque c'est lui, le chanteur jamaïcain qui a donné en avril dernier un concert à Leipzig, qui a ressuscité dans la tête compliquée de JB cette histoire de chance à l'étymologie tellement singulière. Lui qui emploie la locution anglaise take a chance. Puisque, en l'occurrence, chance ne signifie pas du tout chance, mais risque, comme on l'a vu. Take a chance, ce n'est pas du tout “prendre une chance”, mais bel et bien prendre le risque de, ainsi que nous le confirme le Larousse:


Ce sens, nous indique cette fois le site etymonline, est récent. On se souvient que l'anglais a emprunté au français le substantif chance au XIIIe siècle, et ce glissement sémantique qui fait évoluer le terme en le faisant passer de l'événement à la bonne fortune, en passant par la possibilité et l'occasion à saisir, pour finalement le fixer au risque, date de 1859 seulement — donc une paille pour l'étymologie:


Cette évolution sémantique du chance anglais suit d'ailleurs l'évolution sémantique du chance français dont on voit ci-dessous les sens en moyen français:

Et, en moyen français, devenu cheance, il regroupe les troisième et quatrième sens:
CHANCEsubst. fém.FEW II-1 cadere
[T-L : chëance ; GD, GDC : cheance ; FEW II-1, 27a : cadere ; TLF V, 494a : chance]
A. - "Ce qui échoit à qqn, situation créée par le sort"
1. "Situation qui comporte des incertitudes"
2. "Occasion à saisir"

Les petits amis de JB et lui aussi par la même occasion comprennent ainsi mieux comment on passe de la chance au risque. Et si la langue possède un inconscient linguistique (ce dont JB est persuadé), on voit que la chance anglaise en tant que risque n'a pas pris son sens en l'air — si JB peut se permettre cette expression. De fait, on a vu plus haut qu'un des sens de casus en latin était justement… risque.

Hasard (ou pas — voire pas du tout) de l'étymologie, ce glissement sémantique dans la langue anglaise de chance en risk a connu la même fortune linguistique, au XXe siècle, que celle qu'avait connue le chance français au Moyen Âge, tandis que le terme s'exportait dans de nombreuses langues. À commencer par le norvégien qui l'a littéralement plaqué (et on remarque que la langue d'Ibsen a comme à son habitude norvégianisé l'orthographe):

sjanse chance f, occasion f, (risiko) risque m
ta sjansen courir sa chance, prendre le risque

Même chose en danois, bien qu'il y ait une nuance que ne contient pas le norvégien. Puisque, dans la langue d'Andersen, la définition est "agir pour atteindre quelque chose, mais en ayant conscience que le résultat risque d'être négatif". Autrement dit, toujours en reprenant cette idée d'inconscient linguistique, le danois a conservé l'étymologie pour partie négative du terme chance:


Toutefois, ce même dictionnaire de la langue danoise, sur le site ordnet.dk, ne manque pas de souligner que cet emploi est controversé, voire qu'il "est considéré par certains comme incorrect":


Même chose en français qui a tendance à copier et à traduire le formule syntagmatique en française. La Banque de dépannage linguistique québécoise nous rappelle qu'il s'agit d'un anglicisme à bannir:


En allemand, Chance dans le sens de risque = Risiko existe également. On observe d'ailleurs, cette fois dans la langue de Goethe, un léger glissement sémantique au profit de risque, du hasard, et donc aux dépens de la bonne fortune, de l'événement. Il suffit pour s'en vaincre d'observer ce tableau des occurrences qui hiérarchise les emplois:


Mais le plus intéressant, trouve JB, si on reste dans ces glissements sémantiques autour du substantif chance et qui ont, dans les langues respectives, donné des formules syntagmatiques (confer donc take a chance pour prendre le risque de) — le mieux demeure les créations lexicographiques autour du terme.
JB a ainsi découvert l'existence, pour rester dans l'allemand, de Chancentod, un tefme que ne reproduit pas le Duden allemand, mais qu'on peut trouver sur le site Mundmische qui répertorie les néologismes:


Chancentod est une expression très souvent employée dans le sport, particulièrement dans le football, et désigne l'incapacité d'un joueur ou d'une équipe entière à transformer les occasions de but en but réel.
Les "occasions de but" en question se disent donc chances (= Chancen) en allemand. Sachant aussi que Tod signifie mort, Chancentod, c'est littéralement “la mort des chances” < “la mort des occasions de but”; en bon français footballistique: un vendangeur.

Les Suédois ont créé pour leur part un verbe: chansa:


La définition de ce mot appartenant au "langage populaire" étant: "essayer, au risque de gagner ou de perdre". Et l'exemple choisi signifiant littéralement: "Elle ne connaissait pas la réponse mais a “chancé” sur Beethoven". Autrement, chansa < “chancer”, c'est tenter, oser, miser, tabler sur. Et comment traduit-on chansa en anglais? Bingo!

Car les Suédois en connaissent un rayon question take a chance. JB en veut pour preuve le hit planétaire du Take A Chance On Me d'ABBA de 1978, que ses petits amis pourront écouter à loisir ici. Ils se souviendront que, tandis qu'Agneta et Frida, entonnaient "Take a chance on me", Björn et Benny répétaient en boucle "take a chance".

Mais JB, qui dan le cadre de sa villégiature forcée à pris des risques et connaît depuis tout de la réalité étymologique du substantif chance, préfère de loin le Chances que Stranger Cole et Gladstone Anderson chantait en 1966. Puisque, comme chez ABBA 22 ans plus tard, il s'agissait déjà de tenter sa chance auprès de quelqu'un = take a chance on somebody et ainsi de courir un risque tout comme de prendre le risque = take a chance. Pour ainsi avoir peut-tre la… chance que ça marche.
Alors espérons que ça marche. Même si c'est au petit bonheur la… chance.

samedi 27 août 2011

"tender like I do"

A y est. JB a paqueté ses petits (comme on dit en français canadien), a lustré ses gros godillots de marche, frisé ses favoris (ses "côtelettes", comme on dit cette fois en allemand), rasé son crâne désormais luisant, emporté barres de céréales + fruits secs + boussole + jumelles + chaussettes + pansements + tricots de peau +++. Son petit barda prêt, il peut aller faire le cabri dans la montagne.
Il prend congé de ses petits amis en compagnie de John Holt, avec ce magnifique morceau de 1982: You Will Never Find Another Love Like Mine.



Babaille!

PS: Et cette chanson en spéciale dédicace pour le voisin de JB… Hé hé!

mercredi 17 août 2011

Pierrot et le cerveau

Jusqu'à présent, ça ressemblait à ça:


Les petits amis de JB se demandent: c'est quoi, ça?
Ça, c'est un neurone, "observé au microscope électronique à balayage", précise Wikipédia. Or,aujourd'hui, JB apprend que nous sommes en mesure de voir autrement les neurones, grâce à la "microscopie holographique numérique". Au demeurant, ça nous fait une belle jambe. Mais avec son titre tonitruant, "Des hologrammes révèlent l'intérieur du cerveau en 3D" (et JB a presque envie de s'écrier: "Ta-daaah"), l'article paru sur le site de l'École Polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a immédiatement séduit JB, lui qui a toujours rêvé, et plus que jamais depuis plusieurs mois, de voir ce qui se passe dans le cerveau. On va d'abord écouter Pierrot, alias Pierre Magistretti, qui bosse à l'EPFL et qui nous explique en anglais de quoi il retourne exactement.



Les images de la fin de la vidéo, JB les avait d'abord découvertes en début de soirée, rentrant d'une balade en biclou, sur le Spiegel. "Spektakulär", s'exclamait le site internénette de l'hebdomadaire allemand, et JB à sa suite. Car on voyait un neurone au travail, et les images étaient si hypnotisantes que JB en a fait des captures d'écran.
À première vue, les deux neurones "au travail" représentés ressemblent, de l'humble avis de JB, à des espèces de flans. Oui, des flans à la vanille:


Voire, des flans à la vanille en train de cuire dans le four. Et, à bien observer les taches rougeâtres sur le neurone de gauche, on se prendrait à imaginer du sucre en train de caraméliser:


À moins que ce ne soient des gâteaux de riz, continuait de conjecturer JB:


Oui, les neurones ressemblaient davantage à des gâteaux de riz nappés de caramel et posés sur un lit de… crème fraîche? Hum…


En même temps, ils faisaient penser à deux petits volcans singuliers en pleine éruption, un peu fâchés, avec les crêtes rouges faisant penser à des amas de lave…


Oui, JB trouvait que la comparaison entre les neurones à l'ouvrage et la violence des volcans était une belle analogie. Des neurones ignivomes. Les cratères du cerveau. Les synapses éruptifs. Du magma cognitif. La réflexion en fusion. La tectonique du psychisme.


Mais JB s'égare, comme d'hab.
Et Pierrot, qui lui tirait la manche de son polo Ben Sherman, lui expliquait les avantages de cette nouvelle technique:

“Grâce à sa précision à sa rapidité, il est possible de dépister d’infimes changements de propriétés des neurones sur lesquelles on teste un médicament”, souligne Pierre Magistretti. “Une opération qui prendrait normalement 12 heures en laboratoire peut être désormais réalisée en 15 à 30 minutes, ce qui diminue considérablement le temps qu’il faut à un chercheur pour savoir si un médicament est efficace ou non.”

Forcément, JB se demandait à quoi ressemblait ses petits neurones à lui, à la fois quand ils travaillent, quand ils ne travaillent pas, et quand ils sont incapables de travailler. Il aimerait prêter son cerveau à Pierrot pour que Pierrot lui explique ci et ça. JB se disait: "Je pourrais p'têt lui envoyer un mail…?" Genre:
"Cher Pierrot, j'espère que tu vas bien. Moi ça va, mais certains jours ça va moins — un peu comme tout le monde, quoi. J'ai lu le compte-rendu de tes travaux et je les trouve phénoménaux. On a un point commun, toi et moi: on s'intéresse au cerveau. Bon, OK, moi je suis un peu égoïste et je m'intéresse surtout au mien. Mais p'têt qu'on peut s'aider tous les deux (on n'est jamais trop aidé, comme dit un copain à moi) et que je pourrais te prêter mon cerveau pour que tu regardes dedans. P'têt que tu trouveras des trucs que t'as pas encore vus ailleurs. Qu'est-ce t'en penses? J'ai hâte de te lire, hein."

Toutefois, l'analogie entre le cerveau et le volcan, tous deux en fusion, tous deux en pleine excitation, tous deux devenus fous, n'était/n'est pas si fausse puisque le langage l'a fixée. À preuve l'article du TLF sur le verbe fumer, qui dit (et c'est JB qui souligne):
A.− Qqc. fume
1. Dégager de la fumée.
b) [Le suj. désigne le réceptable où a lieu la combustion, ou le conduit destiné à l'évacuation de la fumée] Cheminée, cassolette, bouche d'un canon, (cratère d'un) volcan qui fume. Nuit et jour on voyait fumer légèrement le Vésuve, et la mer réfléchir ses flammes et son ombre (MauroisAriel, 1923, p. 257).
B.− Au fig. Qqc./qqn fume
1. Être le siège d'une excitation (provoquée par l'ivresse la colère, etc.). Le vin qu'ils avaient bu leur chauffait le sang et faisait fumer leur cerveau (FranceContes Tournebroche, 1908, p. 5).

Mieux, l'analogie est plus ancienne qu'on ne le croirait. Le Robert historique de la langue française insiste en ce sens:
◊ Par figure, le verbe intransitif signifie aussi “s'exciter” (fin XIVe siècle) et par extension (1456-1457) “se mettre en colère”.
Le Dictionnaire du moyen français enfonce le clou en révélant que la tournure figurée s'employait même à la forme pronominale. Et qu'on trouve même un emploi absolu au participe passé, qui signifie dès lors ”furieux”:
 Part. passé en empl. adj. Fumé. "Furieux"Et! grosse teste sans cervelle! Vous scavés bien que dictes mal, Puant, infame cardinal! C'est afaire a maistre enfumé, Ha, par Dieu, j'en suis fort fumé, Le cueur m'en deult, j'en suis mary. (S. fol, c.1480-1490, 7).
Et si Antoine Oudin, dans ses Curiosités françaises (1641), relevait déjà "fumer de colère" qu'il définissait par "être fort irrité", c'est la 4e édition (1762) du Dictionnaire de l'Académie qui synthétise le mieux la fumée, produit de la colère, et la tête (siège du cerveau):
On dit fig. & fam. que La tête fume à quelqu'un, pour dire qu'Il est en colère.

Mais c'est le Grand Robert qui boucle une certaine boucle sémantique en élargissant l'acception du terme ainsi (et c'est toujours JB qui souligne):
Être le siège d'un trouble (-> Les fumées de l'alcool). Cerveau qui fume (d'ivresse, d'excitation). — Fam. Ça fume: il se déploie une activité débordante ou: l'effort de réflexion, de concentration est intense (comparaison avec une machine, un moteur, etc., fonctionnant à plein régime — -> Ça carbure — ou avec une réaction chimique s'accompagnant d'un fort dégagement de chaleur — -> Potasser).
On le constate, l'analogie est donc récente, qui date de l'époque des machines, donc de l'industrialisation. Ce faisant, le glissement sémantique semble irréversible, qui mène lentement mais sûrement l'emploi figuré vers le "trouble", donc la folie. Ce qui amuse cependant JB, et il fait preuve ici d'une subjectivité linguistique pas du tout scientifique, c'est de constater que son analogie à lui, entre les volcans et les neurones, trouve dans l'exemple ci-dessus une illustration parfaite.

Autrement dit, et pour résumer:
fumer/fumée = chaleur = danger < chaleur = explosion = colère = trouble = folie < fumée = colère = tête = cerveau = psychisme = folie.
Avec l'évolution des sciences et des techniques, avec la fortune sémantique qu'a connue le mot tête et ce qui s'y rapporte vont peu à peu associer le siège de la pensée et des émotions à l'accès de colère puis à la crise de nerfs — après tout, neurone est emprunté au grec neuros qui signifie nerf, on est dans le même sémantisme. Le langage est riche en locutions qui désignent la folie d'un individu en axant l'analogie sur la tête et ses dérivés: ne plus avoir toute sa tête, être tombé sur le crâne, cervelle fêlée, monter au cerveau, se triturer les méninges, avoir une araignée dans le plafond, etc.

Et la fumée dans tout ça?
JB y vient justement.
Le français moderne et populaire fournit une analogie sémantique qui réalise parfaitement cette idée:
fumer la moquette
Plus intéressant encore, la lecture des dictionnaires et/ou des sites d'expression nous révèle son évolution en à peine vingt ans.

Pour un autre Pierrot que JB aime beaucoup, il a nommé Pierre Merle, le sens se rapporte uniquement au lexique de la drogue, ainsi qu'il l'explique dans son Nouveau dictionnaire de la langue verte, qui étudie "le français argotique et familier du XXIe siècle":
Fumer la moquette (…) se dit d'un gros consommateur de cannabis qui fumerait tout ce qu'il trouverait s'il était en manque, y compris la moquette de son appartement.
Certes. Mais comme se demandent beaucoup d'internautes: pourquoi la moquette? "Chez moi j'ai du parquet, alors je ne peux pas savoir…", s'excusait un certain Fed-up. Le toujours tordant site expressio.fr expliquait autrement les choses:
On peut aussi concevoir que cette expression a pu naître par allusion au gars dont la réserve personnelle "d'herbe" est vide, qui est en manque, et qui, faute de grives, coupe des poils de sa moquette pour en mettre dans son joint, avant de partir dans un trip inhabituel.
Cela dit, il ne faut pas non plus oublier que le haschich, c'est du chanvre indien.
Or, à quoi était beaucoup utilisé le chanvre autrefois, jusqu'au XIXe siècle? Comme cette plante est une fibre naturelle très résistante, elle servait (et sert toujours, mais moins fréquemment) à fabriquer de la ficelle, du tissu et même des tapis. Et, dans l'intimité de son chez soi, il n'y a pas une bien grande différence entre "fumer le tapis" et fumer la moquette.

Trêve de bêtises.
Car ce même site donne quant à lui une tout autre signification à la locution, qui est celle que lui attribue JB:


Un sens que donne également Le Robert qui a intégré la locution verbale dans son édition de 1993, ainsi que l'explique l'ouvrage collectif Les dictionnaires Le Robert: genèse et évolution:


Mais, contre toute attente, c'est Wikipédia qui explique le mieux l'évolution sémantique:


En fait, le sens premier est celui indiqué par Pierre Merle (et par Charles Bernet et Pierre Rézeau dans On va le dire comme ça, Dictionnaire des expressions quotidiennes (2008), alors que la plupart de leurs exemples ont la seconde signification!!!), puis, par analogie, "comme sous l'influence d'une drogue", la locution finit par signifier “être (un peu) fou”, qui elle-même nous ramène à la définition du Grand Robert sur le verbe fumer, et notamment son substantif fumée, que JB explique maintenant seulement pour qu'on comprenne bien l'évolution (et c'est toujours JB qui, dans les exemples ci-dessous, souligne):
◊ 3 (Milieu du XVIe siècle). Vapeurs qui sont supposées monter au cerveau sous l'effet de l'alcool, brouillant ainsi les idées. Être troublé par les fumées du vin. Chasser, dissiper les fumées d'un banquet, de l'ivresse. -> Excitation.

Autrement dit, l'idée et le sens sont anciens et ont été, là encore, renouvelés par l'évolution des pratiques, ici de consommation (autrefois l'alcool, aujourd'hui le haschich). La réalisation de l'image est complétée par le nouveau sens que prend le substantif fumée au XIXe siècle, tour à tour une "chose inconsistante et vaine", un "propos, idée qui manque de netteté", enfin, "ce qui peut monter à la tête, étourdir", explique toujours  le Grand Robert. JB ne saurait être exhaustif s'il n'indiquait pas que de là est né (grâce à Sainte-Beuve en 1840) l'évolution de l'adjectif fumeux qui, de "qui répand de la fumée, s'enveloppe de fumée" (vers 1560), finit par signifier "qui manque de clarté ou de netteté".

Quoi qu'il en soit, JB n'a pas fumé la moquette (ce qu'il ne fait jamais de toute manière, du moins dans le premier sens) quand il compare son cerveau à des petits volcans. Il n'y a pas de fumée sans feu, d'accord.

mardi 16 août 2011

Si j'avais un marteau, je serais…

Et JB, hier soir, utilisant pour les besoins de sa traduction la locution être marteau (en l'occurrence: "ça le rend marteau"), s'interrogeait évidemment sur l'origine de la formule. Que le TLF qualifiait de "populaire" et répertoriait ainsi:

 Avoir, recevoir un coup de marteau (sur la tête). Avoir l'esprit dérangé, être fou. Non, vraiment M. Rade va beaucoup trop loin. Il a un coup de marteau certainement (Maupass.Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 332). Coup de marteauAccès de folie. Elle finit par oser lui parler de son coup de marteau, surprise de l'entendre raisonner comme au bon temps (ZolaAssommoir, 1877, p.698).
P. ell. Être marteauCoucher ici? C'est-i qu'vous seriez marteaux? (BarbusseFeu, 1916, p.116). «Quelle drôle de boîte!», se dit le valet de pied, qui demanda à ses camarades si le baron était farce ou marteau (ProustPrisonn., 1922, p. 227). Personne à l'esprit dérangé. Ce garçon ne te fera pas un très bon mari, parce qu'il tire du côté de sa mère: une famille de marteaux (PagnolMarius, 1931iv, 10, p.245).

Au vu de cette explication, le substantif marteau devient adjectif "par ellipse". La locution consacrée étant d'abord l'action à proprement parler. Autrement dit, c'est parce qu'on se prend un coup de marteau qu'on devient marteau. C'est parce qu'on a "un coup" de folie qu'on finit fou. Vraiment? JB veut dire tout autant: est-ce vraiment le cas au niveau de l'évolution sémantique du terme? est-ce vraiment le cas dans la vraie vie?
De plus, deuxième constatation qui amène une deuxième question: au vu des exemples tirés de la littérature, la métaphore du marteau pour désigner la folie semble récente. Vraiment?

Répondons d'abord à la deuxième question. La consultation de la section étymologique du TLF offre un mystère:
b) 1587 avoir un coup de marteau «être fou» (Ronsard, Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 18, p. 293, vers 11); 1889 être marteau (d'après Esnault)
Ainsi donc, on aurait une occurrence vers la fin du XVIe siècle chez Ronsard, puis plus rien pendant 300 ans, puis, à la faveur d'on ne sait quoi, la métaphore resurgirait. Hum. JB est on ne peut plus sceptique. D'expérience, il sait que cela n'est guère possible (sauf dans le cas d'un mot grossier qui constitue un tabou linguistique) et qu'il s'agit souvent d'une erreur de lecture.

Et il est d'autant plus sceptique que le Cotgrave (1619), le premier vrai dictionnaire (en fait français > anglais) de la langue française, n'indique pas ce sens — en revanche, il donne trois proverbes alliant l'enclume et le marteau, tournures restées dans le langage. Idem des Curiosités françaises d'Antoine Oudin (1640) qui lui aussi recense "entre le marteau et l'enclume" mais ne cite aucun "coup de marteau" synonyme d'"accès de folie". Un bond au XIXe siècle dans les dictionnaires d'argot ne donne là non plus pas le moindre résultat, ni chez Delvau (1866), ni chez Rigaud (1888).
Aha.
Pourtant, le Robert historique de la langue française est formel:
◊ On dit au figuré être marteau “être fou” (1889), elliptiquement d'après avoir un coup de marteau (1587) par le sémantisme qui donne toqué, frappé, dingue, etc.

Là encore cette mystérieuse date de 1587 qui renvoie à Ronsard, alors que l'attestation de la métaphore est seulement attestée en 1889. Ce qui est d'autant plus plausible du fait, on vient de le voir, de son absence dans les dictionnaires d'argot. De même, ni Les études philologiques comparées sur l'argot de Francisque Michel (1851), ni L'argot ancien de Lazare Sainéan (1907) ne proposent d'entrées au mot marteau dans un sens et un emploi populaire, alors même que le TLF qualifie ainsi la locution. C'est signe qu'elle est bel et bien postérieure aux études sur l'argot effectuées et parues dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Pour peu qu'elle eût été utilisée autrefois, elle figurerait dans le Dictionnaire de Furetière (1690), le moins orthodoxe de tous quand on le compare à celui de Richelet (1680) ou aux éditions de l'Académie — et l'emploi syntagmatique y figurerait d'autant plus qu'il a été employé par Ronsard, LE plus grand poète français de la Renaissance. Or rien. Alors, quid?

JB va retrouver la citation dans le tome 18 des Œuvres complètes de Ronsard, dans l'édition de Lemaunier, effectivement à la page 293. Il apprend que la mention fait partie des Fragments, les quasi toutes dernières œuvres de Ronsard (mort en 1585) dans une pièce intitulée Jugement de Ronsard sur ses contemporains. On lit:


Bon.
Question: le sens employé par Ronsard renvoie-t-il effectivement au coup de folie?
Réponse: oh que non!
Car que signifie à l'époque avoir un coup de marteau?
Même la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie nous l'explique (et c'est JB qui souligne):
On dit proverbialement qu'On n'est pas sujet à un coup de marteau, pour dire, qu'On ne s'assujettit point à venir prendre ses repas à une heure fixe.
Pas convaincus? Qu'à cela ne tienne. Le libéral qu'était Furetière donne à la fin du même siècle une signification identique:


Quel verbe emploie Ronsard après le vers dans lequel il intègre "coup de marteau"? Bingo: "prévoir". Il y a là cette idée de temporalité, de devoir prorogé, d'obligation repousée. Ce que Ronsard veut dire, c'est que certaines personnes ont une propension atavique, et donc en l'espèce rebelle, à ne pas vouloir servir "les Sœurs" en temps voulu, au moment où ils devraient le faire. Tout bornés qu'ils sont, ils n'en sont pas toqués ni cinglés pour autant. Ils ont certes "un coup de marteau (…) dans le cerveau", mais il ne sont pas marteaux pour autant.

Exit, donc, le marteau ronsardien pour signifier la folie et retour au marteau argotique.

Dans le Larousse de l'argot & du français populaire, Jean-Paul Colin est plus avisé, qui, en plus de nous expliquer ce qu'il résume à un seul "adjectif" par "fou, dérangé mentalement", nous précise dans la partie étymologique de l'entrée du terme:
emploi métonymique: rapport de cause à effet entre le coup et le dérangement mental (1882, Chautard).
Le lexicographe renvoie ici à La vie étrange de l'argot, ouvrage publié en 1931 chez Denoël par Émile Chautard et que Céline, JB l'apprend, adorait au point de s'en être abondamment servi, comme l'indique une page consacrée à l'auteur:
Ce livre imposant est devenu un véritable classique de la langue verte, il figurait dans la bibliothèque de Céline qui l’utilisa pour la rédaction de Mort à Crédit. " Pour Céline, "le Chautard" est l’ouvrage de référence en matière d’argot. Il s’agit de La Vie étrange de l’argot, publié par Denoël et Steele en 1931, par Émile Chautard, "de la société de l’Histoire de Paris et de l’Ile- de-France", ouvrier typographe. Ce fort volume de 720 pages n’est pas à proprement parler un dictionnaire, mais une étude thématique, organisée selon le principe "du berceau à la tombe" faite de documents et d’anecdotes qui illustrent l’emploi des formes argotiques. " (Note de Jean-Paul Louis, dans Lettres à Marie Canavaggia, Tome III, index analytique, du Lérot, Tusson, 1995.)

Enfin, dans son Dictionnaire des argots de 1965, Gaston Esnault apporte les précieuses indications suivantes:
marteau, n. m. Coup de marteau 1° Bizarrerie, “"fêlure" au cerveau (populaire avant 1840). — D'où en avoir un coup, un petit coup (1956) et être marteau (1889, peu répandu avant 1896), être "toc-toc", être "piqué".
JB répète: "peu répandu avant 1896".
Et voilà. Merci qui? Merci, Gaston.
Car, pour le coup, l'explication de Gaston corrobore les emplois recensés par le TLF: le coup de marteau donne des citations contemporaines à l'attestation aux environs de 1880; la formule adjectivée se retrouve principalement au XXe siècle.


JB n'en a pas fini pour autant.
Car, hier soir, tandis qu'il cherchait une origine éventuelle en moyen français, il trouvait, en dernière position dans la liste, le sens suivant au substantif marteau:
D. - Par métaphore [Contexte grivois] : ...il attacha au bancq les deux marteaulx qui avoient en son absence forgé sur l'enclume de sa femme (C.N.N., c.1456-1467, 495).
Ça alors! s'exclamait JB dans son palais socialiste.
Pour aussitôt déchanter car force lui était de constater qu'il ne comprenait strictement rien ni à la citation, ni au sens. Certes il comprenait qu'il y avait là un jeu de mots entre l'expression entre le marteau et l'enclume dont on a vu l'ancienneté puisqu'elle était déjà recensée dans le Cotgrave; certes il comprenait que le substantif devait désigner un organe génital, mais lequel?

Ni une ni deux, JB courait consulter le truculent Glossaire érotique de la langue française de Louis de Landes (1861), s'étonnant au passage que le Dictionnaire érotique d'Alfred Delvau, publié trois ans plus tard en 1864, ignore le terme. Quoi qu'il en fût, De Landes expliquait:


Déjà, c'était un peu plus clair dans l'esprit de JB. Mais pas entièrement. JB ne voyait pas par quelle mystérieuse analogie le marteau venait désigner le sexe féminin. Et c'est évidemment Pierre Guiraud qui, dans son Dictionnaire érotique de 1978, venait cette fois éclairer sa lanterne en reprenant comme exemple la citation de Tabarin datant du XVIIe siècle:
marteau (remmancher le) d'une femme “coïter”
La métaphore est, à première vue, curieuse car le marteau fait penser au pénis plus qu'au vagin. Mais l'emploi est motivé, ici, par l'expression remmancher son marteau, le marteau n'étant plus conçu comme l'instrument qui coigne, mais celui dans le trou duquel on enfonce un manche.

Et voilà une autre énigme lexicographique résolue.
JB était, et est, aux anges.
Il peut prendre congé de ses petits amis en leur faisant écouter If I Had a Hammer de Nicky Thomas, reprise en 1970 du Si j'avais un marteau du légendaire… Clo-Clo, écrite par Pete Seeger et Lee Hays. Car, du coup, à la lumière, de la signification sexuelle du substantif, on est en étant de se demander si, en composant reprenant la chanson, Claude savait vraiment de ce sur quoi il turlutait. Auquel cas il était sans doute un peu… marteau.