jeudi 26 février 2009

Biblioteket er bufferen mot idiotiet

Dagbladet:
Hvorfor er det viktig å ha folkebibliotek i Norge?

Johan Harstad:
Et folk som leser er et klokere folk. Et klokere folk er et sterkere folk. Og et sterkere folk er et folk som ikke er konstant i forsvar, som igjen betyr et rausere og mer imøtekommende folk og som dermed åpner seg mer for å innse at vi lever i et samfunn med andre enn oss og at hele poenget med skattepenger er at de skal gagne folket, og dermed ikke må forveklses med lønningskontoen. Kort sagt: Biblioteket er bufferen mot idiotiet.



Hele intervjuet her.

samedi 21 février 2009

The Melodians am Skamstag

Heute ist Samstag und Samstag bedeutet Skamstag, das wissen wir ja schon alle. Und denn es der 3. samstag des Monats gibt es auch der Skanighter in der Völkerfreundschaft. Geil! Problem aber: die Rattenbar hat auch ihren Abend heute, und sogar in der Køpi… Ach, mann ey… Naja, egal. Wir machen es so: erstaml Køpi, dann Völkerfreundschaft. Jut so.
Und heute geht es los mit The Melodians und ein bisschen Rocksteady – ein Klassiker, halt. Es geht um die Liebe, naja, was sonst? Euch viel Spass.

Rubbzzz!

mardi 17 février 2009

Nicos Augen

Je parle régulièrement ici des coïncidences de traduction qui ont une vertigineuse et époustouflante tendance à faire se percuter le travail autour du roman de Johan et celui autour du livre de Sara. Cette fois, la collision a lieu par l'entremise du Velvet Underground, mais aussi de Nico. La Faculté des rêves, de Sara, se déroule pour partie dans ces années de la Factory, les fantômes fictifs de Morrissey, de Maurice Girodias et bien sûr d'Andy Warhol ne cessent de traverser les pages comme autant de réminiscences d'une période qui semble (allez, on va jouer d'autant plus les vieux cons qu'à l'époque j'étais pas encore né) aujourd'hui improbable, irréalisable, ou peut-être sous d'autres latitudes, en Amérique du Sud, je ne sais pas, je n'y suis allé. Bref. Dans le roman de Johan, il est question, donc, de Nico. Voici:
Eyðdis s’est levée, est entrée dans la maison puis en est ressortie une minute plus tard avec un radiocassette dans les mains qu’elle a posé sur l’herbe humide à côté de nous. Play.
Grattements de guitare puis voix acide dans les haut-parleurs.

— Qui c’est ? j’ai demandé.

— Nico.
Chelsea Girl.
J’ai secoué la tête. Je ne connaissais pas.

— Elle était d'origine allemande. Elle a fait partie du Velvet Underground, au début.

— Ah.

Et donc on a écouté Nico. Nico qui avait été mannequin, avait joué dans La Dolce Vita de Fellini, avait été une amie d’Andy Warhol, avait enregistré des disques dont certaines chansons écrites pour elle par Lou Reed, qui avait disparu et qui était morte à Ibiza en 1988, à l’âge de cinquante ans. Elle n’avait pas forcément une belle voix et en même temps ce n’était pas grave, c’est comme ça qu’elle devait sonner.
I’ve been out walking. I don’t do too much talking. These days, these days. These days I seem to think a lot. About the things that I forgot to do. And all the times I had the chance to.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française


Ce qui bien sûr est étonnant, c'est l'autre collision avec la réalité. Il y avait en effet à Berlin, l'été dernier,une exposition consacrée à un photographe pédé allemand, Herbert Tobias, mort depuis. Tobias a beaucoup photographié la mode à Berlin dans les années 60 et, dans cette exposition, j'étais tombé sur cette photo de Nico. C'est d'ailleurs lui qui l'a découverte. Bouleversante de beauté, Nico, mais bouleversante de beauté, la photo, car elle montre une Nico qu'à mon sens on ne connaît pas – à mon sens on ne garde de Nico que l'imagerie américaine, période Velvet, période Factory, comme si l'acmé de sa carrière réduisait définitivement celle-ci à ces quelques années, comme si elle était née ex nihilo à ce moment-là de sa célébrité. Regardons cette photo qui, il me semble, a été prise en 1962.

© Herbert Tobias


Johan fait ensuite mention dans sa fiction de
La dolce vita et du rôle que Fellini a donné à Nico. Car entre-temps Nico la mannequin est devenue une star de la mode. Ce qui est surprenant dans ce passage, dans ces images qui semblent surgir des années 50, pas des années 60 comme on aime à se les rappeler (cf. supra), c'est que justement elles montrent un Nico déjà déjantée, presque déjà sous acide. Et juste une parenthèse, quand on la voit apparaître dans le cadre, avec sa coiffure blonde, puis quand on entend sa voix, on se dit qu'il s'agit de Catherine Deneuve: le timbre est presque identique. Là aussi, on regarde l'extrait de Fellini:



Et justement, en parlant de voix, quand on compare sa voix quand elle parle en allemand dans le film (où elle parle avec une voix plus grave, puisque chaque langue a son intonation qui peut varier considérablement de plusieurs octaves d'une langue à l'autre, cf. l'anglais et le chinois), là on retrouve des accents de la voix de Nico chanteuse telle qu'elle se révèlera sur Chelsea Girl ou le disque avec les Velvet. Mais là, dans le film de Fellini, c'est presque encore une voix de toute jeune fille alors qu'elle a déjà 23 ans. Or, en à peine 5 ans, elle semble avoir perdu une octave, même si elle trafique cette voix qu'elle pousse à son niveau le plus bas.
Pour illustrer sa période américaine, j'ai cherché le morceau Chelsea Girls, puis je suis tombé sur cette version de Femme fatale, où elle écarquille de grands yeux exorbités et acidifiés, où elle semble terrorisée par la foule, où elle paraît si fragile. Et il y a dans ce morceau à l'ambiance complètement foutraque une pureté musicale qui tient au violon qui berce l'orchestration pour le coup plus du tout aussi improvisée qu'elle n'en donne l'air.



Quand je parlais de Nico à Andreas, hier soir, il me disait qu'elle est en fait enterrée à Berlin, dans un cimetière de Grunewald. Sa tombe est paraît-il très simple, à peine visible.

dimanche 15 février 2009

Orka

Je parlais l'autre soir des digressions inhérentes au travail de traduction: on cherche un mot et on finit par dériver sur quelque chose qui n'a a priori rien à voir (certains prendront cela pour une incapacité à se concentrer, d'autres pour de la distraction – dans les deux sens du terme; moi j'appelle ça l'inconscient de la traduction: de la même manière qu'un écrivain doit savoir quel est le passé de son personnage, à quoi ressemble son paysage, mais, tout en même temps, ne restitue pas dans la fiction toutes les informations qu'il possède, et ce quand bien même elles seraient imaginaires, un traducteur doit pour sa part pouvoir visualiser ce qu'il décrit: on ne traduira pas bien un combat de boxe si on n'en a pas regardé un, on ne traduira pas bien un paysage féroïen si on ne sait pas à quoi il ressemble concrètement).

Et donc, en cherchant si on pouvait parler de lande pour décrire ces si verts pâturages féroïens, je suis tombé sur différents groupes de musique du coin et du cru. J'ai appris que les Transmusicales de Rennes avaient invité deux groupes féroïens dans leur édition de décembre dernier en compagnie de Yann Tiersen (et puis faut arrêter avec lui, il a tout pompé sur Pascal Comelade, d'abord). Parmi tous les groupes féroïens, il y a Budam dont beaucoup aiment le Clap hands (bon, ok, il est pas mal de sa personne et il en fait des tonnes donc j'imagine qu'en concert les filles sont en pâmoison). Il y a ensuite Teitur (teit en norvégien, ça veut dire con, bêtasson, long à la détente, etc… quant à savoir si le sens est le même en féroïen, là, mystère…), mais il semble resté accroché aux années 70 et au néo-folk qui a un poil tendance à courir sur le popotin. Et enfin il y a Orka. Et là, j'en reste un peu baba. Je trouve ça hyper gonflé de faire de la musique avec une scie musicale et leur espèce de serinette, là, composé avec des bouteilles… C'est très… couleur locale. Bon va regarder et écouter, et comme ça ça nous permettra d'entendre à quoi ressemblé la langue féroïenne – c'est un peu comme de l'islandais mais en nettement moins guttural et saccadé, ça n'en reste pas moins assez étrange…



Bon. Voilà pour ça.
Un autre morceau d'Orka, c'est celui-là, ci-dessous. Servi par un son indus pas forcément désagréable, tant le morceau que la vidéo méga arty sont fooortement influencés de There There de Radiohead. On regarde d'abord Orka, puis ensuite on regarde There There histoire de bien comparer et de savoir de quoi on parle:



Et maintenant, comme promis, l'immense Thom Yorke avec There There. Car enfin, histoire de boucler la boucle et de retomber sur mes pieds, oui, Thom Yorke est présent dans le roman de Johan. Sous une forme méconnaissable et j'espère que Johan ne m'en voudra pas de révéler cette information. Mais, lorsque le héros Mattias farfouille dans les dossiers médicaux psychiatriques de Havstein, l'un d'eux porte le numéro: N°33.FHTYE.82/530/1929/7-22.01.1989. (c'est moi qui souligne). Et le TY, eh oui, c'est notre Thom Yorke… Allez, en route pour le flippage:

Être accro

Just so you know, toujours tiré du roman de Johan (almost done!):

"J’étais sous-alimenté en intimité, j’étais l’enfant biafrais des caresses, j’étais prêt à me donner à tout ce qui voudrait bien croiser mon chemin."

© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction

© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française

jeudi 12 février 2009

Choisir le bon morceau

Travail


Vivre


"en dépit de ce qu'on peut croire"

(…) seulement voilà, jamais ça ne se passera comme ça, en dépit de ce qu'on peut croire, car en permanence il y a des écarts, des fossés qui font qu'on est tiraillés de toutes parts et qu'on ne fait pas assez attention les uns aux autres (…)

© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française

mercredi 11 février 2009

"No one's gonna wanna know ya!"

Il neige ! / Es schneit! / Det snør!

© icke

La beauté du jour

C'est pas beau, ça? C'est tiré du roman de Sara.

Et avril continue son naufrage, tu t’endors à Tenderloin, et chaque fois que tu t’endors tu penses que tu ne te réveilleras pas sauf qu’à chaque fois tu te réveilles et c’est toujours ce mois cruel. Tu rêves de téléviseurs géants avec des monstres gigantesques dedans dont les bras sont tendus dans la chambre. Quand tu te réveilles tu ne te souviens d’aucun nom, tu ne te souviens pas si c’étaient des mammifères mâles ou des mammifères femelles mais tous avaient de la poudre télévisuelle et du maquillage de loup. Dans tes rêves tu te fraies à grand-peine un chemin dans des champs jonchés de filles prostituées assassinées. Elle était recouverte de feuillage et de terre. Elle gisait étranglée derrière l’église. Le micheton s’est enfui sur un vélo de femme. Elle a été retrouvée morte dans la cave. Elle a été retrouvée étranglée dans le parc de Madison Square. Elle a été assassinée à la suite d’abus sexuels en septembre 1982. Elle a été retrouvée sur un chantier de démolition. Elle s’est volatilisée du trottoir en juin. Elle a été étouffée dans sa chambre du Pink Flamingo Hotel.

Mais à un souffle de toi se trouve le Garçon de Soie qui te ressemblait comme une sœur, un polaroïd déchiqueté de nuages écharpés qui bougent au-dessus des plages de sable et au-dessus des vagues géantes dont tu sens les pulsations sous ta planche de surf.

© Sara Stridsberg pour le texte original; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Albert Bonniers Förlag pour l'édition originale; © Éditions Stock pour l'édition française


mardi 10 février 2009

La beauté du jour

Allez, encore un bout de Johan et encore, du même coup, un bout de beauté; c'est plus ou moins la suite de ce que je traduisais tout à l'heure dans l'entrée ci-dessous):

J’ai regardé papa, puis j’ai ajouté :
— J’étais sur le point d’être à nouveau découvert. Tu comprends ? Pile au moment où j’avais réussi à disparaître. Mais maintenant je vais mieux. Oui, ça va bien, merci. Et merci aussi de poser la question.
Papa semblait désespéré. Il a plaqué une main derrière sa tête pour se masser la nuque, il a poussé un profond soupir.
— Mais… Tu sais, Mattias. Il est impossible de ne pas laisser des traces derrière soi. Il y aura toujours quelqu’un pour te voir. Il y aura toujours quelqu’un pour se souvenir de toi. Il y aura toujours quelqu’un pour t’aimer. Presque toujours. Que veux-tu, c’est comme ça…

© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction

© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française

L'effondrement, l'Islande

Ce soir, c'est parti de la traduction d'un passage du roman de Johan. Dans ce passage, le personnage principal est avec son père:
Il y a eu un silence. Puis il a dit :
Qu’est-ce qui t’est arrivé en fait, Mattias ?
Bizarre de l’entendre dire ça. Ce qui en fait m’est arrivé. La question m’a aussitôt angoissé. J’ai senti mon cœur battre plus fort dans ma poitrine, j’ai eu peur que papa ne le remarque.
— Tu sais que la mer monte ? Tout le temps ? D’un centimètre par an. Je t’assure. Et le soulèvement des continents se poursuit à raison de 4 mm par an en moyenne. Ça ne s’arrête pas. Tu trouves pas ça effrayant ?
Mattias.
— Et l’Islande est située au beau milieu de deux plaques continentales. C’est pour ça que l’activité sismique est si importante là-bas. Le pays peut se casser en deux n’importe quand. Ça t’arrive d’y penser de temps en temps ?
Mattias. Qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi tu parles comme ça ? Où est passé le Mattias que j’ai connu ?
Alors j’ai dit :
— Je crois qu’en fait je me suis un peu effondré.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française

Bon, évidemment, moi en tout cas je trouve ça superbe et ça me donne envie de pleurer. Mais ce n'est pas de ça que je voudrais parler. Non.

Je voudrais parler de ces digressions nécessaires qu'induisent la traduction. Je le disais pas plus tard qu'hier. Il y a dans ce passage des termes techniques. Il faut les vérifier puisqu'il ne faut pas faire d'erreurs. Donc je m'exécute. (Pan! – !) L'erreur que j'aurais pu commettre aurait été de traduire, et tout le monde comprend ce mot,
vulkanaktiviteter par activités volcaniques. Et ben non, raté. En français, on parle de activités sismiques. Première chose. Deuxième chose, nettement moins fastoche à trouver que la première. Il figure dans le texte norvégien le mot landheving. Ce qui, je me dis, veut dire à peu de choses près: soulèvement de la terre peut-être des terres. Mouais. C'est pas ça, hein. Donc je vais vérifier dans mon dictionnaire en ligne norvégien, mais sans trop y croire [les traducteurs littéraires du norvégien ont un accès gratuit (merci NORLA) à une base de dictionnaires qui est une mine: il y a le norvégien/norvégien, mais aussi le norvégien/français (pas terrible), le norvégien/allemand (franchement pas terrible), le norvégien espagnol (je sais pas trop, no parlo mucho bueno españolo) et le norvégien/anglais (im-pec-cab-ble!) dans les deux sens ; quand je cherche un mot, je regarde 1) dans le dico monolingue, 2) dans le dico norv/fran, 3) dans le dico norv/ang pour être bien certain de mon coup, ensuite j'affine le champ lexical du mot dans les dictionnaires monolingues français (Robert + expressions + synonymes) et vais vérifier les usages concrets du terme sur les sites internet]. Or donc, je vais chercher la signification de landheving dans le dico en ligne, sans trop y croire donc, et de fait, voici la réponse:

En gros: il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé. Parfait. Dans ce cas on va aller voir wikipedia. C'est très pratique pour ça: vous choisissez le site wikipedia à partir du mot que vous avez. En l'espèce, je me mets sur le wikipedia norvégien, je tape landheving. Super, le mot apparaît et est référencé et expliqué. Ensuite, il suffit de regarder dans la liste des langues disponibles possédant un article équivalent, et on a la traduction du mot. C'est génial. Et c'est fiable à 80%, grosso modo. Une ultime vérification s'impose quand même, identique à celle dont je parlais au-dessus. Bon. Sauf que là, ça me donne des articles en allemand, anglais, danois, suédois, polonais, grec, etc. Mais pas français. Fy faen! Comme on dit en norvégien. En lisant cependant les explications, je me rends compte qu'il s'agit d'un phénomène géologique propre au Nord en général et à la Scandinavie en particulier. Une des raisons sans doute expliquant pourquoi il n'y a pas d'entrée en langue française. Comme j'ai un excelllllent (comme Coluche qui disait: Dans l'excellllllllent Libération…) dictionnaire danois/français, je vais le consulter. Voilà le résultat: landhævning (géol.) soulèvement (el. élévation) des continents (el. des masses continentales). D'accord. J'entends mais je ne comprends pas tout à fait. Donc je repars sur Google et je cherche le bon mot à partir des quatre combinaisons lexicographiques données par cet excelllllent Blinkenberg og Høybye (du noms des deux rédacteurs dudit dictionnaire). Et à force de chercher je tombe là-dessus, donc sur un numéro d'un magazine scientifique sur des questions géologiques:
Le réchauffement actuellement constaté de la planète autorise la construction de scénarios de remontée du niveau marin qui sont souvent présentés de façon simplificatrice. Notre planète a connu d'autres périodes de réchauffement qui ne sont pas attribuables à des causes anthropiques, et la situation actuelle est elle-même loin de pouvoir être ramenée à une cause unique. Le niveau marin relatif résulte de l'interférence des variations du niveau marin planétaire et des mouvements d'affaissement ou de soulèvement des continents: en Scandinavie par exemple, les rivages se soulèvent avec une vitesse qui peut atteindre 1 cm par an. En France, où le niveau marin s'élève, le mont Saint-Michel risque cependant l'ensablement.
(PS: c'est moi qui souligne)

Et voilà, j'ai trouvé mon mot. Landheving se traduit en bon français par soulèvement des continents.
Une épine de moins dans le pied.

Après, je m'intéresse à ce que dit le texte. Et c'est là qu'interviennent les digressions.
Johan fait dire à son personnage:
Le pays peut se casser en deux n’importe quand.
Ah oui? Je l'ignorais. Qu'il y avait des volcans toujours en activité, ça oui. Mais que l'Islande pouvait se casser en deux, alors là… Du coup, intrigué, je vais regarder, chercher, lire, je disais hier: m'instruire. Et de fait. J'apprends, à ma grande stupeur :
l'île est toujours en train de croître (d'environ 2 centimètres par an).
2 centimètres par an? Mazette!!! Mais c'est énorme! Ça fait 2 mètres par siècle! Regardons pourquoi:

© Idarvol

Après, le bas de l'article indique qu'on peut suivre en direct les activités sismiques sur le sol islandais. J'adooore! Ni une ni deux, j'y vais. Bon. Au début c'est un peu ardu: tout est en islandais, je ne comprends pas grand-chose à l'islandais, et je tombe sur
des schémas pas possibles, arides et abstrus. Mais à force de chercher, je trouve enfin la page en anglais du site de la météorologie nationale islandaise. Et là voici, cette superbe carte à l'heure pile à laquelle je l'ai consultée, qui indique les tremblements de terre qu'il y a eu dans le sol depuis les 48 dernières heures.

L'étoile rouge, là, dans le sud du pays, montre que, euheu, ça rigole pas, hein, ça pète sec dans le sous-sol… (Normal, c'est une étoile rouge…)
Moi ça me fascine des choses comme ça. Peut-être, sans doute, parce que à la base je n'y connais rien et je n'y comprends pas grand-chose. Et je suis fasciné de voir que des gens y comprennent quelque chose, qu'ils travaillent là-dessus, qu'ils surveillent, qu'ils nous expliquent. Hum. Ça doit être un réflexe atavique de communiste. Ça me rappelle les chiottes des trains polonais pendant la période pré-Chute du mur, où il y avait un grand panneau expliquant le fonctionnement technique du chiotte

Ces digressions, elles sont nécessaires à plus d'un titre. Je pense, je suis convaincu que ce sont elles qui font les bonnes traductions de par les recherches qu'elles impliquent pour trouver le fameux "mot juste". Enfin, elles ont une fonction de soupape de sécurité: pendant un instant, en allant lire ce qui a priori est hors sujet, on sort de la traduction, on se repose, on voyage. On ne s'effondre pas.

lundi 9 février 2009

Grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

À défaut de pouvoir passer sa colère sur bidulemachine qui aboule pas le flouze qu'elle nous doit, on va écouter ça, c'est immarcescible et c'est en rapport avec la hargne. Ça a 30 balais et ça a pas pris une ride. C'est signé The Flying Lizards (et on s'en fout qu'ils aient pompé leur principe sur le Third Reich 'N Roll des Residents et on s'en fout ensuite que The Art of Noise aient eux-mêmes pompé le principe des Flying Lizards).

Et puis un autre jour, quand on sera moins en colère, on mettra un autre morceau tout aussi immarcescible des mêmes Flying Lizards, à savoir leur reprise cette fois de Sex Machine, de James Brown, voire, encore mieux et encore moins connu l'ébouriffant et hilarant Mandelay Song d'une de mes idoles: Kurt Weill († RIP). Mais ça, c'est pour un autre jour. Pour l'instant, l'exutoire à la colère:





Et comme nous on n'est pas chien, nous, eh ben nous on vous met aussi pour le prix d'un l'original qui a 50 balais. Il est signé Barrett Strong et il est tout aussi épatant (et c'était le premier hit de Motownjust so you know). Voilà. Et puis venez pas vous plaindre qu'on n'est pas sympatoche sinon vous vous prenez une châtaigne dans la cheutron.




PS: Pour tous ceux qui s'interrogeraient sur la signification de la fameuse phrase "but you give them to the birds and bees", les oiseaux et les abeilles en question font référence à la sexualité, et, très précisément, à l'éducation sexuelle. L'expression aurait été inventée, nous indique tant answers.com que wikipedia, par… par… Cole Porter (ce que pour le coup j'ignorais totalement)! Aïe am véry véry impressionnède.

Un instant d'effroi

Tout a commencé par cette traduction du roman de Johan:
LienJ’ai pensé à l’espace, je me suis dit que si je devais partir maintenant, mettons pour le milieu de la Voie lactée, et si j’y allais à la vitesse de la lumière, il me faudrait vingt et un ans pour y arriver, alors que NN, étendue dans son lit, serait forcée d’attendre trente mille années avant de me voir revenir.
Sauf que, personne ne voyage aussi vite.
Voilà à quoi je pensais quand j’étais triste.
Einstein veillait à ce que nous ne nous éloignions pas trop l’un de l’autre.

Réflexe de traducteur, je lis un mot dit "technique" et donc je vais vérifier (si j'emploie le bon mot, si la terminologie annexe est correcte, si ma représentation est la bonne, etc.) Et donc je lis: Voie lactée. Je vais dans Wikipedia vérifier la Voie lactée. Évidemment, comme je suis curieux, et en plus comme je n'y connais absolument rien en physique/chimie/mathématiques (non, pas la biologie: depuis, j'ai appris), bref, comme je suis une brèle en sciences, je lis. Ça m'intéresse. Je m'instruis. (Et bien sûr en attendant, piégé par ce réflexe capitaliste du rendement, je me dis que je ne traduis pas…)

Et là je tombe sur cette photo de la Voie lactée:
© NASA

Je continue de dérouler l'article. Et là, je tombe sur une autre photo, qui correspond à la Voie lactée et ses galaxies satellites:
© Richard Powell

Là, je suis littéralement pris d'un vertige. Accompagné de ce que les Scandinaves nomment si bien et sus i magen, une expression si difficile à traduire en français: une aspiration à l'estomac. Quand soudain on est pris de panique et qu'on a l'impression d'une aspiration au niveau du ventre.
Et donc, voilà: je vois cette photo et tout d'un coup la peur, la terreur s'abat sur moi par le truchement de cette question très triviale, très ordinaire, que se posent des millions de gens, que se sont posée des milliards de gens avant nous: mais qu'est-ce qu'il y a au-delà de notre univers? Et plus que ça, je me dis: si ça se trouve, il y a tout autre chose, une autre réalité – qu'est-ce qui me prouve que cette réalité est bien réelle et n'est pas une construction?
Cette question terrorisante, la toute première, il ne m'a pas fallu très longtemps pour en identifier l'origine. Il m'a simplement fallu tourner la tête sur la gauche, la relever vers l'étagère du haut de la bibliothèque et plisser les yeux vers les livres de cet auteur, puisqu'il s'agit de lui. En voici certains, du moins les plus vieux, auxquels je prête une certaine valeur bibliophile (à l'époque je courais tous les bouquinistes pour trouver les exemplaires des vieux livres publiés dans les années 70 aux éditions Champ Libre et chez J.C. Lattès, dans la collection Titres SF):


Oui, bien sûr: Philip K. Dick. Qui d'autre?
Cette terreur éprouvée, c'est la terreur que m'a transmise la lecture des romans et des nouvelles de Philip K. Dick, et sans doute la terreur qu'il a dû éprouver lui aussi. À l'époque, en 1990, pendant tout l'été 1990, j'ai dévoré l'œuvre de Philip K. Dick. Elle a failli me rendre fou. Vraiment. Mais c'est une autre histoire.
Cette terreur, c'est celle la réalité plurielle. Je me souviens d'une nouvelle de Dick (je ne sais plus laquelle) où une équipe attend le passage, mettons à 16 heures, du vaisseau spatial censé venir les chercher. Et ledit vaisseau arrive à 15h58, ils sont étonnés de cette légère avance mais ils embarquent à l'intérieur. À 16 heures pile arrive un second vaisseau… L'équipage attend, mais les hommes ne donnent pas signe de vie. Ces hommes, cette équipe qu'ils étaient venue chercher, a disparu. Le lecteur se dit que le premier vaisseau était un faux, une illusion, une hallucination, pour répondre un terme dickien. Mais après, on se pose, ou plutôt, il faut se poser la question inverse: et si c'était le second vaisseau, le faux?? Quelle est la vraie réalité? La réalité… réelle, si j'ose dire?
Dick n'aura de cesse de se poser ces questions qui forcément nous paraissent des questions folles, des questions d'aliéné. Justement, se demande-t-il: et si la vraie réalité n'était pas celle de l'aliéné? Voire: et si la réalité perçue par l'hallucination procurée par les drogues n'était pas la vraie réalité? Voilà aussi pourquoi les maladies mentales et les produits stupéfiants sont si présents dans l'œuvre littéraire de Dick, parce qu'ils ouvrent sur une autre réalité, une réalité parallèle.
Néanmoins, je voudrais surtout citer l'auteur, et cette citation est extraite de la nouvelle
Comment construire un univers qui ne s'effondre pas deux jours plus tard – un texte passionnant qu'on peut lire comme une clé nous ouvrant non seulement sur l'univers dickien, mais aussi sur l'écriture de science-fiction, mais aussi sur la perception philosophique, mais aussi sur la perturbation psychique :

(…) Et puis j'ai commencé à me dire: Peut-être chaque être humain vit-il dans un monde unique, un monde privé, un monde différent de ceux qu'habitent tous les autres humains, et dont ils font l'expérience. Et cela m'a amené à m'interroger: Si la réalité diffère d'un individu à l'autre, pouvons-nous parler de réalité singulière, ou devrions-nous en fait parler de réalités plurielles? Et s'il existe des réalités plurielles, certaines sont-elles plus vraies (plus réelles) que d'autres? Que dire de l'univers d'un schizophrène? Peut-être est-il aussi réel que le nôtre. Peut-être nous est-il impossible d'affirmer que nous sommes en contact avec la réalité et pas lui, peut-être devrions-nous plutôt dire: Sa réalité est différente de la nôtre qu'il ne peut pas nous l'expliquer et que nous ne pouvons pas lui expliquer la nôtre. Le problème dans ce cas, c'est que si l'on expérimente des univers subjectifs trop différents, il se produit une rupture de la communication — et c'est qu'est la véritable maladie.
1985, (excellemment bien) traduit par Emmanuel Jouanne, in: Le crâne, Denoël, 1986

Dick va bien évidemment plus loin en se demandant si l'être humain authentique existe vraiment dès lors que nous créons des êtres humains qui ne le sont pas…

Si je reviens à mon point de départ, à savoir le texte de Johan, ce roman qui est aussi un roman sur la maladie mentale, sur l'exclusion, sur la marge, sur le fait de se mettre soi-même en marge (mais en même temps: sur le fait de vouloir vivre, de ne pas mettre fin à sa vie, de vouloir vivre mieux, de vouloir accéder à une part de bonheur, si on y arrive), ce roman qui est aussi un roman sur l'espace, sur la science-fiction, sur la projection mentale d'univers lointains, différents du nôtre (le dernier roman de Johan n'est-il pas un roman de science-fiction), alors, alors c'est bigrement intéressant. Je veux dire: les parallèles sont troublants. Je ne cesse depuis un mois que je suis sur cette traduction, mais aussi sur celle de Sara, de montrer à quel point ces histoires se chevauchent, et peut-être n'est-ce pas un hasard si je les traduis en même temps, et peut-être n'est-ce pas un hasard si j'en suis précisément le traducteur.

La question que pose Dick est la suivante: et si l'hallucination tant de l'aliéné que du drogué n'était-elle pas la vraie réalité? et si notre réalité normale, centrale, bien-portante n'existait pas mais plutôt la réalité anormale, périphérique, marginale, aliénée? et si nous n'étions que le jouet d'une instance supérieure qui nous dirige?
La question que se pose Sara est la suivante: qu'est-ce qu'un être marginal, à partir de quel moment devient-on marginal et soi-disant dangereux pour la société? qu'est-ce que la folie et qui décide de la folie? cela peut-il être la société qui est source de folie parce qu'elle est excluante? qu'est-ce qu'un diagnostic, un état pathologique sinon une autre construction, à l'instar de la masculinité ou de la féminité?
La question que se pose Johan est la suivante: refuser d'être au centre, dans la lumière, revient-il forcément à s'opposer à la société? vouloir être dans la marge signifie-t-il forcément être un marginal, un aliéné, un être dangereux pour la société? comment puis-je me construire dans la société dès l'instant où mon désir est considéré comme un désir marginal, anormal et que dès lors je suis exclu?

Alors quand, par surcroît, la réalité vient infirmer la fiction comme il m'est arrivé de le vivre le 23 janvier, quand le jeu des coïncidences impose leur présence et perturbent le cours lisse des choses (Johan parle de la tombola tragique des coïncidences; en norvégien, c'est encore plus beau: tilfeldighetenes tragiske tombola), c'est évidemment déstabilisant. Ou plutôt: ce peut être déstabilisant. C'est en tout cas troublant.
Dans cette même nouvelle que je citais plus haut, Dick en parle justement. Voilà ce qu'il dit:
Nous avons la fiction qui parodie la réalité et la réalité qui parodie la fiction. Nous avons deux choses qui se chevauchent dangereusement, qui se brouillent dangereusement l'une l'autre. Et, en toute probabilité, ce n'est pas volontaire. Cela fait en réalité partie du problème. On ne peut pas légalement contraindre un auteur à étiqueter correctement ce qu'il produit, comme une boîte de boudin dont les ingrédients sont mentionnés sur l'étiquette… On ne peut pas le forcer à déclarer quelle partie est vraie et laquelle ne l'est pas s'il ne le sait pas lui-même. C'est une expérience épouvantable que d'écrire quelque chose dans un roman, en croyant qu'il s'agit de pure fiction et d'apprendre plus tard — peut-être des années plus tard — que c'est vrai.
La force de la littérature, c'est sans doute de permettre l'identification. Le temps d'une lecture, on peut s'identifier à un personnage, on peut se reconnaître dans un personnage, on peut avoir l'illumination de reconnaître un état qu'on croyait être le seul à avoir éprouvé alors que soudain un écrivain nous le montre, nous l'explique, le rend accessible, présent.
La difficulté du traducteur, c'est cet éternel équilibre entre l'obligation de fidélité et le refus de servilité. Nous devons êtres fidèle au texte, servir l'auteur et son propos, mais nous devons pouvoir nous en distancier sans quoi le texte traduit ne peut être intelligible. Je ne sais pas, au fond, si on traduit bien quand s'opère chez le traducteur le phénomène d'identification qui lie un lecteur à l'auteur et son œuvre. Si, bien sûr que la traduction n'en sera que meilleure. Mais au prix de quelles traversées, quand il s'agit d'une re-connaissance d'une émotion douloureuse? Répondre à cela suppose de glisser dans un récit très intime. Trop intime?

dimanche 8 février 2009

La force tumescente

(Toujours avec Stephin Merritt, ses 69 Love Songs sur des amours non-discriminatoires (comme le dit si bien la langue anglaise).)

Je me souviens que, dans une ancienne vie, aux lendemains du nouveau millénaire, j'avais interviewé Stephin Merritt sur ces/ses chansons d'amour. L'entretien avait fini sur cette question qu'il (se/me/nous) posait:
Une chanson peut-elle pornographique?
Il répondait par la négative. Il expliquait qu'un film, un roman, une photo, une peinture peut être pornographique. Mais pas une chanson. Évidemment, il n'expliquait pas pourquoi, en quoi – il avait même ponctué la conversation là-dessus.

Et donc une chanson n'est pas pornographique. Une chanson n'a pas de force tumescente. Du coup, ça me fait penser à cet extrait du Chant d'amour (le film et non le poème), de Jean Genet, sur lequel je suis tombé l'autre jour par hasard, et qui constitue le parfait antidote à la pornographie – et, dans le même registre, il faudrait parler de la capacité détumescente de la scène pornographique déjà visionnée, déjà appréciée: la très contradictoire propriété quasi sédative d'une scène de film porno sur le spectateur qui, s'il la revoit, n'y trouve plus la même excitation, comme si l'excitation survenue avait tué l'excitation à venir.
Toujours est-
il qu'il se dégage une force tumescente de cette scène du Chant d'amour où on ne voit rien de sexuel, où tout repose sur le suggéré, sur ce rapport ambigu et ambivalent du montré/caché qui a tant séduit les penseurs de la théorie queer. De toute façon, et le cinéma l'a parfaitement compris (confer Marlon Brando dans Un tramway nommé désir), la cigarette a toujours eu un pouvoir érotique démesuré, à commencer par le fait d'allumer la cigarette de quelqu'un (ou la sienne d'ailleurs, mais il faut que quelqu'un regarde) en craquant une allumette et en portant cette allumette à la bouche de la personne.
Allez, on regarde cette scène tirée du Chant d'amour :

samedi 7 février 2009

Rodeo men

Quand est-ce que j'en parlais la dernière fois?
Comparons la littérature avec la musique.

• La littérature, d'abord. Extrait de Brokeback Moutain, in: Les pieds dans la boue, Annie Proulx, traduit par Anne Damour, Rivages, 1999 (année de publication originale: 1999):
Ennis amena la main de Jack à sa bouche, tira une bouffée de cigarette, exhala la fumée:
— En tout cas pour moi, sûr que t'as l'air d'être un seul morceau. Tu sais, je suis resté pendant tout ce temps-là à me demander si j'étais… Je sais que je le suis pas. je veux dire: tous les deux on a une femme et des enfants,non? J'aime le faire avec une des femmes, ouais, mais putain, on peut pas comparer. J'ai jamais pensé à baiser avec un autre mec, sauf que je me suis branlé une centaine de fois en pensant à toi. Tu le fais avec d'autres types, Jack?
— Ça va pas,non? dit Jack, qui avait monté autre chose que des taureaux. Tu le sais bien. La vieille Brokeback nous a accrochés pour de bon et c'est sûr que c'est pas fini. Bordel, faut trouver ce qu'on va pouvoir faire maintenant.
— Cet été-là, dit Ennis, quand on s'est séparés après avoir été payés, j'ai attrapé de telles crampes au bide que je me suis arrêté et j'ai essayé de gerber, j'ai cru que j'avais mangé quelque chose de mauvais dans le restaurant à Dubois. Ça m'a pris près d'un an pour comprendre que j'aurais pas dû te laisser disparaître de ma vue. Il était trop tard alors, bien trop tard.
— Mon ami, dit Jack, on est dans un foutu pétrin. Faut s'débrouiller pour trouver une solution.
— Je doute qu'on puisse rien y faire maintenant, dit Ennis.


• La musique. Extrait de Papa was a rodeo, in: 69 Love Songs, The Magnetic Fields, 2000 (Stephin Merritt):
The light reflecting off the mirror ball
looks like a thousand swirling eyes
They make me think I shouldn't be here at all
You know, every minute someone dies

What are we doing in this dive bar
How can you live in a place like this
Why don't you just get into my car
and I'll take you away I'll take that kiss now, but

Papa was a rodeo - Mama was a rock'n'roll band
I could play guitar and rope a steer before I learned to stand
Home was anywhere with diesel gas - Love was a trucker's hand
Never stuck around long enough for a one night stand
Before you kiss me you should know
Papa was a rodeo



Patsy Todd am Skamstag

Heute ist es Samstag, und obwohl es draussen ganz grau ist, ist es wieder Skamstag und gestern war es der Nighter im Tommyhaus und übel war die Party überhaupt nicht, ganz im Gegenteil.

Ce post aujourd'hui comme pour se rédimer (et, donc, en profiter pour utiliser un verbe oublié…), pour se racheter (c'est déjà plus moche et furieusement financier) des mots quelque peu injustes envers Patsy Todd. I'm sorry, Patsy. Don't be mad at me, please!
Patsy Todd est connue pour ses duos avec, principalement Stranger Cole et Derrick Morgan. On (je!) dispose de peu d'éléments sur celle qui s'appelle en réalité Millicent Todd: pas d'entrée à son nom dans Wikipedia, idem dans allmusic.com; et si les sites de musiques jamaïcaine daignent la référencer, elle est réduite à jouer les "moitié", cataloguée sous le nom de Stranger & Patsy ou Derrick & Patsy – ce qui en dit long, en somme, sur la domination masculine dans la musique en particulier et dans la vie en général. Bon.
Il nous reste sa voix, flûtée, ces morceaux "feel good" et notamment ceux avec Stranger Cole qui semble vouloir chanter en sourdine pour la laisser dominer la chanson, comme c'est le cas dans My love, le morceau que j'aurais voulu présenter parce qu'il passe quasi en boucle cette semaine, mais dont il manque les dix dernières secondes. D'où le choix de When I call your name, un des hits du duo Stranger & Patsy… allez: du duo Patsy & Stranger.

Rubbzzz!

vendredi 6 février 2009

Aux armes, etc…

Excellent post à lire chez le kumpel Fabrice C. qui déplore (et je compatis) que nos joueurs nationaux, forts de l'intimation gouvernementale qui leur est désormais faite de chanter notre placide et paisible hymne national, n'entonnent pas ces paroles par trop oubliées – je le cite, lui et Rouget de Lisle:
Quoi ! des cohortes étrangères / Feraient la loi dans nos foyers !
ou:
Sous nos drapeaux que la victoire / Accoure à tes mâles accents / Que tes ennemis expirants / Voient ton triomphe et notre gloire !
(Aaah… Accoure à tes mâles accents, j'adooore. Aujourd'hui, a posteriori, ça pourrait presque être détourné par un garçon sensible – mais bon, ça aussi c'est une autre histoire.)


Putain ce qu'elle est décidément rance cette (f)Rance…
Allez, Serge, merde quoi, reviens, je t'en supplie!



PS: Et c'est pas pour dire, mais cette période reggae du gars Gainsbourg est franchement trop méconnue.

jeudi 5 février 2009

Magick!

Ah oui. Ça fait un bail que je voulais mettre cette vidéo (que ces… grnumpf! d'Universal ont bloquée pour ne pas qu'elle soit sur les blogs). À l'époque où elle était sortie, je l'avais montré à pas mal d'amis. Les trois quarts n'y voyaient que du sexe. Le dernier quart était terrorisé et ne voulait plus jamais la revoir.
Question: est-ce une version moderne de Warm leatherette?


http://www.youtube.com/watch?v=gy-mRFnBWiI

Nord

I går fikk Nord, filmen som Erlend har skrevet manus til, premiere i Trondheim og Oslo.
Og på fredag til søndag blir den vist i Berlin! Da kan jeg se den!

Hier et avant-hier, le film Nord, dont Erlend a écrit le scénario, a été montré en avant-premièe à Trondheim puis à Oslo.
Et, de vendredi à dimanche, il va être diffusé au Zoopalast à Berlin, dans le cadre de la Berlinale. Ce qui va me permettre de voir Erlend.
Ci-dessous la bande-annonce.

Gestern und vorgestern hatte der Film Nord, dessen Manuskript Erlend Loe geschrieben hat, Premiere in Trondheim und ann in Oslo.
Und, am Wochenende, wird er im Zoopalast gezeigt, im Rahmen der Berlinale. Kommt jemand mit? Schnell, schnell…
Unten das Trailer.


"Parce que je vais mieux"

Traduit à l'instant (en écoutant By your side, de CocoRosie, dans sa version enregistrée lors du concert à La Volksbühne, à Berlin donc, en 2005 – j'y étais! l'après-midi je m'étais fait tatouer…). Traduit, donc, à l'instant. Johan, toujours:

— Au fait… Pourquoi tu ne chantes plus ? Ça fait longtemps que je ne t’ai plus entendu chanter…
— Pourquoi ? Parce que je vais mieux.
Et à ces mots je suis parti.


PS : En regardant sur youtube, just in case, pour voir si la vidéo de la Volksbühne s'y trouvait, et elle ne s'y trouvait pas, mais j'ai déniché cette version, qui est très proche de celle dont il est question supra. Allez, on se la regarde, les consolations et les réconforts sont toujours, toujours bons à prendre.



PS2: Entre-temps, les sœurs machin, là, des CocoRosie sont devenues inaudibles, je trouve, un peu des caricatures d'elles-mêmes. Bon. Please show me wrong.

mardi 3 février 2009

Collisions/Collusions

Ce post, celui-ci, je voulais l'écrire il y a plus de 10 jours, très précisément le 23 janvier – et puis le temps a passé puisque le temps passe, et puis et puis et puis. Et puis aujourd'hui je reçois un mail qui m'a fait très plaisir et dont l'auteur disait qu'il aimait lui aussi les "jeux de référence" et les "circonvolutions intertextuelles". Question: faut-il réactiver ce qui est passé, ce qu'on n'a pas eu le temps de faire?

Quoi qu'il en soit, mon goût pour les collisions en chaîne de coïncidences n'étant pas entamé (et j'en ai fourni de nombreux exemples ici), je n'ai pu que m'étonner, en ce 23 janvier, il y a donc 10 jours, combien la fiction est rattrapée par la réalité. Le même jour, je traduisais un passage du roman du Johan ainsi qu'un autre du roman de Sara, qui tous les deux étaient très proches, et voilà que l'actualité venait ponctuer, parachever l'air de famille, boucler la boucle. Et pour peu qu'elle ne soit pas bouclée (elle ne peut pas l'être…), ce post viendra ajouter son arc à tout ce cercle pas forcément vertueux (du moins aux yeux d'une certaine autorité) mais en tout cas concentrique.

D'abord Johan. Ensuite Sara. Ensuite l'actualité.

1) Johan, toujours tiré de Buzz Aldrin. Le personnage principal, Mattias, est allé fouillé dans les dossiers médicaux psychiatriques de Havstein, psychiatre de profession, et tombe sur celui d'une des deux filles avec qui il cohabite dans leur communauté:
Les premiers symptômes remontent à novembre 1998 et évoquent des manifestations récurrentes d’anxiétés, de troubles dissociatifs, de syndrome confusionnel, chaque fois plus aiguës. Délire : la patiente a l’impression que « quelqu’un » la poursuit pour s’emparer d’elle, décrit des voix qui se chevauchent et qu’elle capte à la suite d’une « erreur ». Ces voix sont supposées être celles de marins cherchant le meilleur moyen pour lui ôter la vie. Le père de la patiente décrit également des épisodes d’hallucinations et de délires visuels rapportés par la patiente elle-même, laquelle n’est toutefois pas en état de les identifier comme tels. Il s’agit majoritairement de « marins morts qui dans la journée arpentent ma cuisine en tapant des pieds et qui la nuit chuchotent debout à côté de mon lit, ils sont dégoulinants de flotte » (explications fournies par la patiente). La présence imaginaire constante de ces créatures induit chez elle une peur de se déplacer hors de la maison, une peur de manger, de dormir, etc. La première hospitalisation date du 21.01.1989 en raison d’une TS à son domicile de xxxxxxxxxxx, découverte par son amie, xxxxxxxxxxxxxxxx, qui, avec le père de la patiente, la conduit à l’hôpital. Admise aux urgences de l’hôpital de Tórshavn, puis transférée le lendemain matin dans nos services. Traitement mis en œuvre : antipsychotiques atypiques et thérapie psy. pdt. 4 semaines. (…) 19.02.1989 : le premier diagnostic posé sur la pathologie a été un syndrome de Ganser, aujourd’hui remplacé par une réaction psychotique doublée de symptômes évoquant une schizophrénie. Nous sommes très peu renseignés sur cette pathologie, et notamment sur son étiologie, mais de nombreux signes donnent à penser que les facteurs biologiques ont une importance non négligeable, ainsi que des réactions biochimiques cérébrales.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française


2) Sara, toujours tiré de
La faculté des rêves. Valerie Solanas, après avoir tiré sur Andy Warhol, est internée dans un hôpital psychiatrique:
DOCTEUR RUTH COOPER (riant, puis retrouvant aussitôt son sérieux) : Je crois que tu vis dans un fantasme et que tu te trouves, pour l’heure, dans une réaction schizophrénique de type paranoïde.
VALERIE : Mazette. Et moi je peux te parler de l’infériorité flagrante des hommes. De l’ordre naturel établi. Alors qu’il n’y a aucune raison de faire intervenir des souris mâles. Les souris femelles peuvent avoir entre elles des bébés souris. Je peux te parler de mes recherches en laboratoire.
DOCTEUR RUTH COOPER : En dépit de tes efforts acharnés par apparaître comme une misanthrope rigide, implacable et cynique, tu es en réalité une enfant épouvantée et déprimée.
VALERIE : Appelle-ça comme ça si ça te chante. De toute manière, tu ne connaîtras jamais mon vrai prénom.
DOCTEUR RUTH COOPER : Une petite enfant épouvantée, voilà ce que tu es. Mon sentiment, c’est que tu es minée par la peur, minée par la haine de soi.
VALERIE : Mon sentiment, c’est que tu es une petite femme à hommes épouvantée. Mon sentiment, c’est que tes efforts sont totalement vains. Mon sentiment, c’est que tu n’es qu’une petite suceuse de bites vraiment bêtassonne. Mais ce n’est pas ta faute. Tout est lié à ton enfance malheureuse dans le patriarcat.
DOCTEUR RUTH COOPER : Nous parlons donc d’une réaction schizophrénique de type paranoïde, doublée d’une dépression profonde et de potentialités destructrices colossales.
VALERIE : Je ne suis pas malade.
DOCTEUR RUTH COOPER : Tu es très malade, Valerie. Ce qui ne signifie pas que tu ne sois pas une femme obstinée et très intelligente.
VALERIE : Ce n’est pas une maladie. Au risque de me répéter : mon état n’est pas un état pathologique. Mais plutôt un état d’extrême clarté, un état de lumière blanche éblouissante, projetée par une lampe chirurgicale scialytique sur tous les mots, toutes les choses, tous les corps, toutes les identités. Rien qu’une brasse coulée pour m’éloigner de toi, rien qu’un cri proféré loin de toi, Docteur Cooper, et tout paraît déjà différent. Ton prétendu diagnostic correspond à la description exacte de la place de la femme dans un système de psychose de masse. La schizophrénie, la paranoïa, la dépression, les potentialités destructrices. Au sein du patriarcat, toutes les filles savent que la schizophrénie, la paranoïa, la dépression, ne sont nullement une description d’un état pathologique individuel. C’est le diagnostic parachevé d’une construction sociale, d’un régime politique fondé sur des outrages incessants perpétrés contre la capacité cérébrale de la moitié de la population, un régime fondé sur le viol.
DOCTEUR RUTH COOPER : Je veux t’aider, Valerie. Mais j’ai besoin d’en savoir plus sur toi pour être en mesure de le faire.
VALERIE : J’ai moi-même une formation universitaire au sein d’une institution psychiatrique et d’un laboratoire animal dans une université du Maryland. Ce qui signifie que je pose moi-même les diagnostics.
© Sara Stridsberg pour le texte original; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Albert Bonniers Förlag pour l'édition originale; © Éditions Stock pour l'édition française


3) Dans son édition du 23.01.2009, Libération interviewe 6 représentants de différents cercles et milieux professionnels dans le cadre de ce que le quotidien nomme Le front des refus. Chacun à leur manière, chacun dans leur domaine, ces personnes s'insurgent contre la politique de Nicolas Sarkozy. Parmi eux est interviewé Elie Winter, psychiatre à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif et psychanalyste. Voici ce qu'il dit:
«Notre "Appel des 39" est en réaction immédiate avec le discours de Nicolas Sarkozy, le 2 décembre à l’hôpital psychiatrique d’Antony, où il a fait l’amalgame du malade mental et du fou dangereux. Le fait que ce soit le président de la République qui parle change la donne. Cela ne concerne plus seulement la psychiatrie, cela touche à tous les contre-pouvoirs. Ce qui nous est paru insupportable, c’est la négation, le déni de la maladie psychique, le déni de la psychose. Nier la folie, c’est nier la vie. Le discours de Sarkozy ne tient aucunement en cause qu’il y a quelqu’un de souffrant. Un schizophrène a besoin d’être aidé. A ce jour, plus de 20 000 personnes ont signé notre appel. Evidemment, entre les différents appels, les mots sont différents, mais on doit discuter ensemble pour préparer ensemble l’avenir.»

lundi 2 février 2009

Sara & Antje

L'autre jour, Jörn lançait ce défi internettien un peu vain et demandait à trois lecteurs de son blog (pour preuve, l'un des trois a refusé de se soumettre à l'exercice) d'ouvrir un livre à la page 123, de compter 5 lignes et d'écrire les trois suivantes. Comme un bon petit soldat par trop docile, je me suis emparé du premier livre venu (vu que, hé!, j'en ai toujours à portée de main) et cet après-midi là, c'était celui de Sara. Et voilà que, pas plus tard que maintenant, je viens de traduire les trois lignes en question. Les voici:
Mais il y a aussi le grand le combiné noir, la désespérance et le sable qui te soufflent dans la figure et qui t’esquintent les yeux. Pendant ces conversations sa voix donne l’impression de se trouver dans un monde sous-marin. L’odeur : le sel, le fer, les mensonges, le menthol.
© Sara Stridsberg pour le texte original; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Albert Bonniers Förlag pour l'édition originale; © Éditions Stock pour l'édition française


Toutefois, en bon petit soldat décidément trop servile, j'ai décidé de faire l'effort d'aller chercher un roman allemand et j'ai choisi
Tupolew 134, ce magnifique roman d'Antje Ravic Strubel, sorti en 2004 et qui avait reçu un accueil très, mais alors très élogieux de la presse allemande. Je me souviens de l'avoir lu pendant les deux premières semaines de juillet 2005. Je logeais chez Volker & Udo, il faisait très chaud, nous prenions des bains de soleil (enfin, eux… moi j'étais à l'ombre) dans le petit jardin de la Weberwiese, juste à côté du premier immeuble de la RDA, oui, celui-là sur le frontispice duquel figure une phrase manuscrite de Bertolt Brecht. À intervalles réguliers, je lisais quelques passages à Udo tant j'étais fasciné par cette écriture qui, je m'en rends compte maintenant, n'est pas sans rappeler celle de Sara justement.
L'histoire se base sur un fait réel: le 30 août 1978, un avion de la LOT, reliant Gdansk en Pologne à Berlin-Schönefeld en RDA, a été détourné par des pirates de l'air (qui avaient pour seules "armes" des pistolets… en plastique!), exigeant du commandant de bord qu'il se pose non loin, à l'Ouest, à Tempelhof. Partant de ce fait divers, l'auteure a construit une fiction dans laquelle elle expose l'histoire de ces deux pirates de l'air: Lutz Schaper et Katja Siems. Le personnage principal est cependant cette figure étrange de Katja, que l'on suit depuis la fin de son adolescence jusqu'à l'âge adulte, jusqu'à ce qu'elle parte en Pologne avec Lutz, attendant la venue de son amant ouest-allemand qui… ne viendra jamais (pourquoi? il faut lire… désolé).
Ce qui est fascinant, pour nous lecteurs occidentaux qui avons si peu et/ou si mal connu la RDA, voire pas du tout d'ailleurs, c'est l'air de famille qui ressort de ce portrait. Katja grandit à Ludwigsfelde, non loin de Berlin, dans le Brandebourg. Et elle s'ennuie. Et cet ennui, c'est le nôtre, à tous, c'est cet ennui adolescent, la conscience épidermique, viscérale, de ne pas être à sa place, de ne pas être dans sa vie. Sauf qu'à la différence des personnages de Carson McCullers ou d'Arnaud Cathrine (qui ont si magnifiquement ourlé de tels personnages), Katja n'a pas la possibilité de quitter la RDA. La RDA, à l'époque, c'est un monde fermé, duquel il est difficile de sortir, même pour des vacances dans les autres pays de l'Est. L'auteure ne le dit pas, c'est moi qui le dis, mais c'est important à savoir. Tout ce que Katja dira de cette vie, sa vie, une vie qui sent le métal, la sueur, la graisse, comme une odeur de renfermé, de poussière, de vieux, mais pas seulement – une odeur qui était typique des pays de l'Est, qui n'existe plus aujourd'hui, mais que j'ai retrouvée par hasard en juillet 2007 à la gare ferroviaire de Sassnitz lorsque je prenais le ferry pour aller au Danemark, et c'était tellement étrange, presque 20 ans après la Chute du Mur, de retrouver une odeur que l'effondrement du Rideau de Fer avait emportée avec elle), et donc Katja dit: "Je n’ai plus envie de vivre comme ça." Et cette phrase constitue pour le lecteur la seule piste qui puisse expliquer qu'un jour elle en viendra à détourner un avion. De fait, si elle avait vécu ailleurs, à l'Ouest, elle aurait pris le premier train pour la capitale. Mais là, aller où?
La grande réussite de ce roman, qui est en cela une grande réussite d'écriture, une gageure littéraire, c'est tout du long de rendre Katja totalement inaccessible. Car c’est l’objet et l’objectif du roman : montrer un personnage dont on ne saura jamais rien, on aura beau l’interroger (ici, au sens propre, c’est-à-dire dans le cadre d’un interrogatoire), on aura beau recueillir les avis de ses proches, de sa famille, elle restera un mystère. On pourrait dire d'elle qu'elle est une créature apathique, aboulique, psychopathe si on prend le terme dans son acception la plus littérale. Il y a d'ailleurs cette phrase éblouissante de justesse une fois qu'elle a fait l'amour (car qui n'a pas, une fois dans sa vie, ressenti cela?): "Il est entré dans mon corps et il n’a même pas remarqué que je n’y étais pas, dans mon corps."
Voilà.

Et donc, retour aux fameuses trois lignes de la page 123 tirées de Tupolew 134 et laissées dans le blog de Jörn, ici en traduction française:
Il pense que les yeux de Katja scintillent. Sauf que, quand les symptômes du fantasme et ceux de l'amour se ressemblent, ce peut être dès lors un signe qui tend vers les deux à la fois. S'il prenait ça pour de l'amour, il aurait toutes les peines du monde à prétendre qu'elle ne l'aime pas; si au contraire il préférait le fantasme, il aurait identiquement toute latitude de n'y voir que du fantasme.

© Antje Ravic Strubel pour le texte original
© Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction

© Verlag C.H. Beck pour l'édition originale