Et JB doit traduire la phrase :
– Det er glatt, sa Melissa. – Det er sånn underkjølt regn.
Du coup il s'y colle (hö !) :
— Il y a du verglas.
Hum… Il hésite pour la suite (ça rime, dirait Mathea dans le livre de Kjersti). C'est quoi de la underkjølt regn ? Littéralement : de la pluie refroidie ? Il voit la note d'Ingvild – car Ingvild a annoté son texte pour ses traducteurs·trices. En quasi vingt-cinq ans de métier, JB n'avait jamais vu ça : un auteur ou une autrice qui prend le soin (et le temps !) de tout expliquer ce qui paraîtrait compliqué à un·e non-norvégianophone de naissance. Ingvild indique donc :
Mais oui, c'est bien sûr ! C'est de la pluie verglaçante. Comme Ingvild l'explique. Et elle précise également que le syntagme est "très adulte" pour la jeune fille de seize ans qu'est Melissa. Elle ajoute que Melissa "est fière de la [l'expression] connaître". Ce qui signifie in fine qu'il faut absolument conserver dans la deuxième partie de la phrase cette fameuse pluie verglaçante. Ok. JB continue :
— Il y a du verglas. C'est de la pluie verglassante.
Mais ! Il y a une faute hénaurme !!! Pourquoi JB fait la faute, lui qui a une orthographe pourtant pas dégueu ? Il a sans doute été aveuglé, lui qui a toutes les tares oculaires de la planète (au moins !), par la désinence -as du mort (!) mot verglas… Pour qui sonne le glas mais pour qui tonne le verglas ! Bref.
Et puis d'abord pourquoi on dit verglas, avec un S, et verglacé, avec un C ? C'est quoi, encore, cette distinction chichiteuse typique de la langue française ?!?
JB n'est pas le premier à s'interroger. Dix ans avant lui, le journaliste Bruno Dewaele, dans La Voix du Nord, a tiqué sur la différence orthographique – il a d'ailleurs fait dans le titre de son article la même mauvaise blague, ou presque, que JB :
Pour répondre à la question posée par Bruno, JB lit dans le tome 3 de la toujours impeccable Grammaire historique de la langue française de Poul Nyrop (elle date de… 1909 !) que matelas est un emprunt à l'italien : materasso. Mais Popoul explique également qu'il s'agit d'une "formation analogique" ou le -as "s'est substitué à d'autres terminaisons, surtout à -at, et à l'italien -accio, -asso". Et s'il ne glose pas sur échalas (ou dans le tome 1, mais rapport à un rhotacisme où le L du mot a remplacé un ancien R – bref, JB ne va pas non plus y passer des plombes, question phonétique et morphologie linguistique !), il explique cependant que le substantif verglas s'écrivait autrefois verglaz et est "tiré de l'ancien verbe verglacier". C'est ce qu'on appelle un déverbal, un substantif tiré d'un verbe, tout comme combat est le déverbal de combattre.
Car, de fait, JB et son nouveau poteau Bruno n'étaient pas loin d'une certaine vérité avec leur blague à deux balles sur le glas et le verglas. Une vérité certes pas étymologique (glas vient du latin classum, où le C est devenu G par assimilation [comme pour le mot glaire qui vient de clarus – glaire, JB adore !], alors que le glas de verglas est tiré de glace comme on l'a vu plus haut et qu'il vient du latin glacia), mais bel et bien orthographique, la vérité. Jusqu'en moyen français, les deux mots s'écrivaient pareil, ainsi que le dévoile le Dictionnaire de l'ancienne langue française (du moyen français, en fait) de Frédéric Godefroy :
Mais il n'ose pas glais et glaire – si, trop tard.
N'empêche, JB n'est pas tout à fait convaincu par ce verglas qui donner verglacer. Il se dit qu'il irait bien jeter un œil dans Le bon usage, la certes inamissible mais imbitable (en ce qu'il faut un quart d'heure avant de trouver ce qu'on cherche, plus un autre quart d'heure pour comprendre ce qu'on lit) grammaire des Belges Grevisse et Goosse. Et il trouve cette précision :
Et JB est bien content que ce soit "bien glissant", car il a du même coup trouvé la bonne traduction à sa phrase :
— Ça glisse dehors. La pluie est verglaçante.
Il ne traduit pas c'est glissant, parce que ça ferait deux gérondifs l'un à côté de l'autre, ce n'est pas très heureux. Quoique… Ou si ? Non. Ingvild a bien précisé que Melissa était fière d'employer un mot d'adulte. Donc on va la faire bien parler (JB est encore au début de sa traduction, il ânonne un peu dans les voix, c'est normal). Contrairement à sa petite sœur, la narratrice de l'histoire, qui a un langage dit plus enfantin, un registre légèrement plus relâché, un langage parlé, quoi.
Bon, ceci fait, JB retourne à son verglas et aux preuves qu'il ne trouve pas convaincantes. Mais d'abord pourquoi verglas ? D'où vient ce mot ? Alain Rey (RIP †) et ses camarades expliquent dans le Dictionnaire historique de la langue française :
La revoilà, la fameuse glace qui explique le C de verglacer. Bon, compris. Adjugé, vendu. Ceci dit, ils se trompent : Popoul nous a expliqué que verglas était un déverbal, alors que Linlin nous soutient l'inverse. Hum. Non, JB, tu ne vas te lancer dans une énième recherche étymo-lexico-grammaticale !!!
N'empêche, quelle belle étymologie… Verglas parce que la glace à l'apparence du verre. JB a un orgasme étymologique ! Et doublement quand il pense que, dans les langues germaniques, glas signifie verre. C'est génial !
Et Frédo Gode le lui confirme, non pas l'orgasme, mais la magnifique origine du mot. En moyen français, verglacer, à l'époque verglacier comme on l'a vu, s'écrivait plutôt comme ça :
Seulement voilà, JB n'est pas au bout de ses surprises, ni de son orgasme. Car quand il consulte le TLF, il voit dans la rubrique étymologique la remarque suivante (c'est lui qui souligne) :
Étymol. et Hist. 1. 1193-97 « tomber par l'effet du verglas » verreglacier (Hélinant, Vers de la Mort, éd. Fr. Wulff et E. Walberg, V, 3, p. 5); 2. 1381 « faire du verglas » avoit... verglacié (Lit. remiss. in Reg. 119, Chartoph. reg., ch. 58 ds DuCange, s.v. Gelicidium); cf. 1530 il verglace (Palsgr., p. 559); Besch. 1845 le considère comme ,,vieilli``; 3. 1521 verglacé « couvert de verglas » ici fig. cœur verglacé (Marguerite d'Angoulême, Lettres à G. Briçonnet, éd. Chr. Martineau, M. Veissière, t. I, p. 33); 1580 Decembre. Gelé... verglacé (La Porte, Epith., 106 vods Hug.).
De quoi ? Un cœur verglacé… Gloups. Comme c'est beau. Comme si Marguerite disait: "L'amour me transit, j'ai le cœur verglacé." Pauvre Marguerite d'Angoulême (1492 – 1539) qui deviendra la grande Marguerite de Navarre, la grande écrivaine.
Cette précision étymologique est de taille dans la mesure où elle nous apprend que Marguerite crée ainsi un néologisme à travers son image poétique – et ça, seul·e·s les grand·e·s y arrivent. En utilisant une analogie, elle donne à la langue française un nouveau sens du verbe verglacer, en l'espèce du participe passé adjectivé. Ce n'est pas rien. Et doublement pas dans la mesure où ce néologisme est le fait d'une écrivaine : on se regorge toujours (JB le premier) de ceux inventés par Balzac, un mec, mais pas assez de ceux inventés par les autrices. Ça va être le prochain combas combat de JB, tiens.
Mais qu'a-t-elle écrit très exactement à ce Guillaume Briçonnet, évêque et confident, notre Marguerite chérie ?
(…) afin que le pauvre cœur verglacé et mort de froid puisse sentir quelque étincelle de l'amour en lequel je désire le consumer et le brûler en cendres.
Oh, Marguerite… Marguerite et son "pauvre cœur verglacé".
Marguerite et JB dans le verglas, même combas !
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