Reçus ce matin au courrier, les deux tomes de Ugler, une série de bandes dessinées composées par… ta-da… mystère, j'y reviens…, et publiées chez Jippi Forlag, l'éditeur de l'impeccable Hitler, Jesus og farfar (= Hitler, Jésus et grand-père), mais aussi l'éditeur de Jason, que nous connaissons bien en France.
En deux fois 36 pages, ce qui est certes un peu court – d'autant plus qu'on dévore la BD, donc on reste un peu sur sa faim –, le lecteur suit les déboires amoureux de Line. Le point de vue est le sien, ce qui n'est pas sans importance, on verra pourquoi. Line voit souvent sa voisine et meilleure copine, Vicky. Un soir, Vicky embrasse Line sur la bouche, puis lui défait le pantalon ; et ce passage est admirablement traité : la planche constituée de trois dessins montre dans les deux premiers deux mains (celles de Vicky) déboutonner un pantalon, puis, dans le troisième dessin qui occupe les 3/4 de la page, un gros plan sur le visage de Line, radieux. Les deux jeunes filles, puisqu'elles sont en CM2, tombent amoureuses. Elles vont à la piscine ensemble, elles passent leurs après-midi ensemble, elles se couchent ensemble dans les feuilles mortes en se tenant la main. Les choses se précipitent et Vicky demande à Line si elle veut devenir sa petite copine, son amoureuse. Et un jour Line téléphone à Vicky et lui dit: "Je t'aime, Vicky." Sa mère était derrière elle et elle dit simplement: "Line, on mange." C'est le grand talent de ce tome 1: celui de proposer de multiples dessins sans bulle, sans explication, de se concentrer uniquement sur les personnages, leurs réactions, sur le dessin. Et ces réactions sont d'autant plus surprenantes que les personnages sont dessinés sans yeux. Ou plutôt: les yeux ont un contour, mais pas de globe oculaire, pas de pupille, pas d'iris, rien. Deux trous vides qui donnent à cette histoire un aspect fantomatique et à la fois, et c'est contradictoire, un aspect universel. Line, c'est vous et moi.
La suite de l'histoire est triste. Vicky montre un jour à Line la cabane secrète qu'elle avait construite avec Annett, son ancienne petite copine. Là, la machine à fantasme s'active dans la tête de Line qui ne pense plus qu'à Vicky et Annett, toutes deux ensemble, sans elle. Et le lecteur se dit que Line est idiote. Oui, après tout, pourquoi Vicky n'aurait-elle pas eu d'autres petites copines avant elle? Sauf que. Line et Vicky vont à Oslo et se font siffler par les garçons. Line n'est pas dupe: elle voit bien que Vicky biche. Alors elle lui prend la main, et Vicky lui répond, avec ce ton assassin: "Pourquoi tu dois toujours me prendre la main chaque fois qu'un garçon me regarde?!" Et si Line ne s'était pas trompée? Pour preuve, le soir même, rentrées chez elles (elles habitent l'une en face de l'autre), Vicky ne joue pas avec l'interrupteur de la lumière (leur rituel) pour lui dire au revoir. Et puisqu'il est question d'adieux, Vicky annonce le lendemain qu'ils vont déménager. Une histoire d'amour s'achève. Les deux dernières sont un "épilogue". On se doute que cela a lieu des années plus tard. Line et Vicky se retrouve. Les deux derniers dessins sont l'utime coup de couteau pour Line. Vicky: "Ça fait longtemps, dis donc (…) Tiens, je veux te présenter mon copain. Amund, je te présente Line. (…) Ça ne te dérange pas, Line, qu'il vienne avec nous au cinéma?" Il est rare de lire une histoire aussi juste dans son ton, dans son propos, sur l'amour homosexuel chez les adolescents. Car il y a toutes les phases de l'amour, homo ou hétéro d'ailleurs, dans ce récit. Il y a la découverte de l'autre et du corps, l'initiation sexuelle, la relation amoureuse, le doute, puis la séparation. Toutefois, la dimension homosexuelle est ici essentielle. Et là encore elle est admirablement traitée. A priori, c'est Vicky la lesbienne des deux: elle a déjà eu une petite copine, c'est elle qui drague Line. Et c'est Line qui deviendra accro à Vicky alors que, pour Vicky, ce sera juste un passage, puis elle choisira les garçons – ce qui, à l'adolescence existe aussi (ne soyons pas non plus bêtement pro-gay à tout crin). À ce titre, les interrogations sont subtilement abordées via cette scène où Vicky demande à Line si elle sait ce qu'elles deux sont. Line ne sait pas, n'y a jamais réfléchi. Et c'est dans le sable que Vicky dessine le mot: lesbienne. Et l'auteur de la BD a la bonne idée de faire traîner la chaîne de la balançoire sur le mot, comme pour en souligner le danger. Entendons-nous bien: il montre ici ce que cela signifie pour des tonnes et des tonnes d'enfants qui découvrent leur homosexualité – cela veut dire la honte, et c'est ça le problème. Ici, c'est ça le problème de Vicky. Et qui n'est pas le problème de Line. Line est amoureuse est d'une fille, Line est lesbienne – so what? L'angoisse existentielle et identitaire, sinon pour le coup victimaire de Vicky, est rehaussée par ces yeux sans globes oculaire dont je parlais plus haut. Enfin, j'y arrive, on en reste d'autant plus sur le cul que cette BD est signée… Martin Ernstsen. Oui, Martin. Un homme. C'est un peu comme Annie Proulx et sa nouvelle Brokeback Moutain: on est sans voix face à un travail si juste composé par quelqu'un qui n'est pas directement impliqué dans cette histoire. Ce qui me fait penser à ce que l'auteur homosexuel norvégien Odd Klippenvåg avait dit un jour: "Seuls les homosexuels parlent justement de l'amour homosexuel." Eh bien non.
Un mot sur le titre. Ugler en norvégien. Chouettes, en français – comme l'animal. Vicky dit aussi à Line que leur "jeu" amoureux, quand elles font l'amour, c'est "chouetter". Line et Vicky s'aiment, et elles chouettent. Chouette! Un autre et dernier mot sur les dessins. Ils sont en noir et blanc. Mais à voir la couverture en couleurs (et l'autre encore en-dessous), et le magnifique traitement qui en est fait, on se dit qu'une version similaire mais colorisée serait elle aussi impeccable.
Dans le second tome, Line est entrée dans l'adolescence, c'est l'époque de Nirvana (donc circa début des années 90), et Line est définitivement lesbienne. Vraiment? Le propos de cet opus est en creux une critique de l'adolescence norvégienne dont l'interrogation existentielle de ses protagonistes se résume à deux questions : 1) quand est-ce qu'on picole et qu'on est bourrés jusqu'à dégueuler? 2) qui est amoureux de qui et qui a embrassé qui? C'est donc de puérilité qu'il est ici question et on peut déplorer justement une certaine absence de cette angoisse et de cette passion qui étaient à l'œuvre dans le premier tome. Ce que Martin Ernstsen a réussi à restituer en revanche, c'est la langue adolescente des années 90, complètement disparue aujourd'hui, ou quasi. On lui sait également gré de citer LA série culte de cette décennie, j'ai nommé… ta-da… Angela, 15 ans, que toute famille normalement constituée (c'est-à-dire passablement névrosée) devrait avoir l'obligation de regarder ensemble pour essayer de trouver une issue aux conflits parents/enfants.
Bref, on attend le #3 avec impatience. Mais aussi qu'un éditeur français ou belge se lance dans l'aventure et publie ces Chouettes.
2 commentaires:
Je suppose que tu connais le livre "Hilsen som elsker deg" de Per Knutsen. Trés padogogique mais pas mal)(Cappelen 2003.) Il écrit d’un garçon à onze ans qu’est homosexuelle. La protagoniste est une fille, mais le garçon a aussi un rôle important dans cette livre. I y a aussi deux tomes suivants, mais maintenant sans ce garçon. Et ici l’auteur est aussi homosexuel.
En annen ting som forundrer meg mer og mer er at det på norsk heter "homoFILi" mens det på «alle andre" språk heter "homoSEXualité"(fransk) ,"HomoSEXualitet" (svensk) etc. (Kilde : wikipedia). I følge samme mer eller mindre solide kilde : Danskene bruker også Homoseksualitet, "omdirigert fra Homofili". Tror det norske ordet "homofili" oppsto i 70-åra en gang, og veit i hvert fall at Gerd Brantenberg ergra seg enormt over dette. (Før 70 - åra het det nok homoseksuell på norsk også men til gjengjeld var det få "dannede" som våget å ta ordet i sin munn.)
Forøvrig : godt nytt år ! Maintenant il va vers les temps plus lumerieux! (Og der fikk jeg vel noen solide røde streker av min proffeseuse tenker jeg! )
Og i Oslo er det 8 minusgrader akkurat nå!
Der har du et poeng, Eli. Angående dette med homoFILi.
Du må huske at "homofili" var ordet som ble brukt på 50- og 60-tallet. Dengang måtte homosexualiteten være anstendig, ren på seg. I disse snerpete årtier kan du finne i utallige mannlige tidsskrifter det om at "homofile menn bør leve sin legning uten å virke frastøtende overfor heterofile, bare slik oppnår vi aksept." Du må heller ikke glemme at homosexualiteten var ikke minst forbudt men også strengt bestraft men fengselbøter. I Frankrike f. eks. i 1970 ble homosexualiteten erklært som "landeplage" som måtte bekjempes med alle midler: det var politiregistrer som hersket helt til François Mitterand, i 1981, ble valgt som president og avskafte forbud på homosexualitet. I Tyskland var situasjonen ikke bedre med §175.
På begynnelsen av 70-tallet, etter Stonewall-opprøret i juni 1969, fantes det mer og mer homser og lesber som rett og slett var trøtt av dette politiske synet om homoseksualiteten og av homoseksuelle. Nå skulle det ikke lenger hete homofili og det måtte gås tilbake til detsom gjorde vår forskjell, nemlig seksualiteten.
I Norge ble ordet 'homofili' beholdt og det er fortsatt i bruk. Kanskje skyldes det av at Norge er et fremdeles veldig religiøs og kristent og praktiserende land, hvor kirken fremdeles en stor makt har. Altså ikke noen sekularisert land som f. eks. Danmark og Sverige (og Franfrike for denskas skyld).
Der går vi også tilbake til noe som jeg grubler mye for tiden, dvs: hvordan ord som skjermbrett eller skalkeskjul for en realitet som man ikke vil nevne. Som for eksempel "gay kids" (som vi jo snakket om), det høres veldig kult og harmløst ut enn når man sier "homofile barn". "Homofile barn" blir med en gang farlig fordi det knyttes til en realitet som vi umiddelbart serfor oss og forstår og skjønner – og dette vil vi ikke!
Jeg kommer til å blogge om det en gang i framtida.
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