mercredi 25 janvier 2012

Stig Sæterbakken († RIP)

— Hvorfor må du alltid dra?
Hun vred seg rundt, kroppene våre løsnet fra hverandre med en klissen lyd. Vi lå på ryggen med ansiktene mot hverandre, uttrykket i hennes var helt ubestemmelig, nøytralt nesten: det uttrykte ingenting.
— Hvorfor et det alltid sånn? Hvorfor går det ikke an å være et sted, uten å måtte tenke på noe som er et annet sted?
— Jeg vet ikke, sa jeg.

Usynlige hender, s. 88, Stig Sæterbakken, Cappelen, 2007

mardi 24 janvier 2012

Wohlwollend

Und der JB hat wieder in seiner Reggaekiste wohlwollend gewühlt. Und ist auf die Periode von Lovers Rock stehengeblieben. Weshalb? Weil in seiner Übersetzung das Wort "Glitzerbluse" auftauchte? Deshalb? Der JB in Glitzerbluse? "Ja, das werden wir schon sehn, ha, ha, ha!", wie Lucy es schon im Eifersuchtsduett von Brechts Dreigroschenoper mal sang. Eifersucht, haben Sie gesagt? Oder ist es Eitersucht? Oder Eitelsucht? Jedenfalls singt die Lucy das auch:
Mackie und ich, wir lebten wie die Tauben;
Er liebt nur mich, das lass ich mir nicht rauben.
Da muss ich schon so frei sein,
Das kann doch nicht vorbei sein,
Wenn da so'n Mistviech auftaucht!
Lächerlich

Und wenn das keine Lovers Rock-Songtexte ist, dann weiss der JB keinen Rat!
(Ja, er weiss: er hat extra und wohlwollend das Wort Mist gestreichelt, øøø, pardon… gestrichen. Das hat sicher mit Lovers Rock zu tun).

Lovers Rock also.
Lovers Rock ist hauptsächlich ein englisches Phenomen. Diese Periode der Reggaemusik, die ca. in 1976 anfängt, gleichzeitig mit der Disko, und ca. Anfang der 80-Jahre endet, hat sehr sehr viel schlechte Stücke mitgebracht. Aber auch kleine Schätze, die immer noch unbekannt sind. Wie Keep It Like It Is, von Louisa Mark († RIP), anno 77. Der JB ist nicht einmal 10, weiss noch gar nichts weder von Lovers Rock, noch von den Enttäuschungen der Liebe. Damals war er noch wohlwollend. Lass uns das Lied anhören (eine schöne traurige Ballade, mit der unersetzbaren Stimme von Frau Mark) und anhören wie die Texte von Lucy und Louisa irgendwie ähnlich sind. Ob es sich aber von Eifersucht oder Eitersucht oder Eitelsucht handelt, weiss der JB nicht.
Baby, I need some time to consider
If I'm to accept your offer.
I don't want to make the wrong decision.
Oh, I'm afraid we've got to understand.
I think we should both thing it over.
Do we really want each other
Like we think we do?
Wouldn't it be better
If we just keep it like it is?

jeudi 19 janvier 2012

"Until I found you"

Und nun, liebe kleine Freunde, ein bisschen Rocksteady dank den Dänen von Babylove & The Van Dangos. Mit einem grossen Gruss an G. (Und merkt euch die Alliteration, büdde schøn.)

Et maintenant, chers petits amis, un peu de rocksteady avec les Danois Babylove & The Van Dangos. Enjoy!

vendredi 13 janvier 2012

"I love you like I want you & I miss you like I need you"

Und der JB, heute, ja, liebe kleine Freunde, heute an diesem Freitag den 13. Januar, tja…, an einem Freitag den 13., an diesem Tag, der für viele Glück sowie Unglück bedeutet (übrigens: die Sprachwissenschaft kann dieses deutsche Wort, Glück, nicht genau rekonstruieren, also dessen "Herkunft [ist] unklar", laut der Kluge, ja! also Glück existiert eigentlich nicht, also Unglück existiert eigentlich auch nicht! ist das gerade nicht toll?! an einem Freitag den 13.?!); an diesem Tag, wo die Meisten voll lauter Aberglaube zu Hause bleiben und damit meinen, es könne ihnen nichts böses passieren (und, zack, verbrennen sie sich mit heissem Wasser); an diesem Tag, wo alle Katze grau sind und einige sich graue Haare machen (der JB, der im Dezember 29 wurde, hat sowieso keine graue Haare, nööö), also an diesem genauen Tag hört der JB wieder viel auf Frau Georgette. Und was sagt und singt Frau Georgette? Tja, das:



Also an diesem Freitag den 13. hört der JB Frau Georgette, die über die Liebe erzählt, über eigentlich nichtexistierendes weder Glück noch Unglück, er strickt und häkelt wie wild, trotzdem a bisserl im Angst davor, dass es ihm Unglück passiert, a bisserl im Angst davor, dass Liebe und Glück nicht an das Tür seines sozialistischen Palast nicht klingeln; er schaut desperat und mutig an sein Telefon, dass an diesem Freitag den 13. sich dafür entschieden hat einfach nich zu klingeln — und dann sagt Frau Georgette:



Oh je… Und später, weiter an diesem Freitag den 13. geht der JB auf Frau Georgettes Seite und was liest er? Das:


Doppel oh je und Mist und Doppelmist! Dann entscheidet der JB sich nicht mehr Frau Georgette für heute zu hören und schaltet lieber an Reggae um. Und plötzlich, unerwartet und uneingeladen, singen The Melodians ihr tolles Lied, It's My Delight, das zwar diese Zeile enthält: "It's only a matter of time, and all my dreams will come true"; aber überhaupt diese:
I love you like I want you & I miss you like I need you
Und dann denkt der JB: graue Katze, ich komme! Und dann springt er auf sein Fahrrad und radelt voll lauter Aberglaube zum Nighter hin.

jeudi 12 janvier 2012

"we're back to get some more"

Et JB, par une nuit d'encre, rouvre sa boîte à musique magique et en sort ça: Voulez vouz (sic). C'est signé Ham, c'est islandais, ça date de 1989 et ça dépote. Enjoy!



PS: Tous les petits amis de JB auront bien sûr reconnu l'original identiquement scandinave.

vendredi 6 janvier 2012

Traire: il trait, il trayait, il trai… ?

Et JB, l'autre jour, qui traduisait et travaillait (et l'inverse vaut aussi puisqu'il travaillait et traduisait), était confronté au problème térébrant suivant:
Il voulait conjuguer le verbe extraire au passé simple.
Or non, pas possible, interdit, ainsi que l'indique n'importe quel tableau de conjugaison trouvable sur internet, à savoir le premier venu:


Ainsi donc, on ne peut extraire ni au passé simple, ni au subjonctif imparfait.
JB le savait mais, là, il était un peu dans la marde, comme on dit en québécois. Parce qu'il fallait absolument, pour des raisons de répétition, qu'il emploie le verbe extraire au passé simple.
La tuile aux amandes grillées et calcinées!
Et JB avait une pensée émue pour son père d'accueil danois qui, le siècle dernier, s'était bien moqué de la langue française en disant que, ce qui le faisait se tordre de rire, c'était, dixit, "qu'on puisse pisser en français dans 18 temps" (si on exclut l'infinitif). Quelque vingt-cinq ans plus tard, JB trouve qu'il s'agit là d'une constatation empirique fort instructive.

Restons en Scandinavie et avec les trayeuses — puisque, c'est une réalité que l'on… tait (du verbe taire qui, lui, a un passé simple (il tut) et n'entre donc pas dans le cas de figure qui nous intéresse) trop souvent: les meilleures trayeuses électriques sont de fabrication suédoise, à savoir de marque Alfa Laval (JB vient même d'en trouver une à vendre ici et se demande très franchement s'il ne va pas en faire l'acquisition incontinent) —
Restons donc en Scandinavie puisque, outre extraire, les verbes traire et braire ne se conjuguent pas au passé simple ni à l'imparfait du subjonctif. Extraire étant un dérivé de traire (mais de quelle manière???), peut-on d'ores et déjà entrapercevoir ne fût-ce qu'une règle systémique, si taire ne fait pas partie du lot?
Oui, mon capitaine:
Se conjuguent ainsi les verbes raire, braire et traire (et ses composés). En voici d'ailleurs la liste, tirée d'un savoureux dialogue intitulé Le Jardin des Plantes ou les verbes français, écrit en 1841 par un certain B. Jullien, "membre troisième classe de l'Institut Historique", dans la revue L'Investigateur, journal de la Société des Études Historiques, où deux individus n'ont rien d'autre à foutre de leur journée que de discourir pendant des plombes sur les problèmes posés par la conjugaison française (et JB, qui fait la même chose, compatit complètement):


On voit déjà que la question taraude au quotidien les locuteurs francophones — et qu'elle les taraudait bien avant JB.

Et donc, comme le dit notre ami qui sent tout de même un peu la naphtaline, il s'agit de verbes défectifs.
C'est quoi?
Pour reprendre la définition du Grevisse, "les verbes défectifs sont des verbes dont la conjugaison est incomplète". Tous des verbes irréguliers du 3e groupe (autrefois, on parlait de 3e et de 4e groupe) dont voici une liste peu ou prou complète quoi que erronée (être et pouvoir ne sont pas défectifs, pour une liste exacte, voir ici), mais que JB reproduit pour des questions de lisibilité:


Attention, il s'agit de ne pas les confondre avec des verbes impersonnels, lesquels ne se conjuguent qu'à la 3e personne du singulier et/ou du pluriel, qui sont par nature défectif et peuvent appartenir au 1er groupe (avérer, adirer, etc.) ou au 2e (s'agir).

C'est par exemple le cas de braire.
JB peut braire, mais il ne peut pas dire je brais.
Ce dont s'était déjà ému (à juste titre, trouve JB, qui s'illustre assez souvent en âne de première) Émile Littré dans son… Littré:
D'après l'Académie, ce verbe est usité seulement à l'infinitif: braire; aux troisièmes personnes du présent de l'indicatif: il brait, ils braient; du futur: il braira, ils brairont; et du conditionnel: il brairait, ils brairaient. Cela est trop sévère. D'abord un fabuliste, faisant parler des ânes, pourrait employer sans hésiter les autres personnes: je brais, tu brais, nous brayons, vous brayez; de même au futur et au conditionnel. Puis rien n'empêche de se servir de l'imparfait: il brayait; et des temps composés: il a brait, il avait brait, etc.
En cela, Mimile copiait quelque 30 à 40 ans plus tard ce que son collègue Pierre-Alexandre Lemare écrivait dans le volume 1 de son Cours de langue française en 1819:


Ainsi que les petits amis de JB peuvent le constater à l'œil nu, le sujet est chaud bouillant, hautement polémique, et risque, si vous n'y prenez garde, de vous faire fâcher à mort avec vos meilleurs poteaux lors d'une discussion post-repas, après que les convives se sont rassasiés d'un bon plat de hure.
JB en veut pour preuve le bien-nommé et salvateur Club Inutile qui s'insurge "contre la discrimination verbale" et lance "un appel à la régularisation des verbes défectifs":


Il tombe sous le sens que JB a déjà rejoint le club et paie sa cotisation.

À en croire Wikipédia, les verbes défectifs le sont car ils sont également "archaïques". Il est certain que vouloir placer dans la conversation courante et quotidienne les verbes ardre, issir et souloir est un exercice périlleux et qui demande beaucoup de témérité.
Toutefois, et pour revenir à l'exemple qui nous occupe et nous préoccupe, traire fait partie du langage courant. JB en veut pour preuve son sémantisme sexuel fort répandu (mais, JB l'a vérifié, a priori assez récent: ni le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, ni les différents dictionnaires d'argot ne recensent cette acception). Il suffit pour s'en convaincre de tapoter dans gougueule traire + porno et on obtient… 689 000 réponses! Siii! Donc "archaïques", les verbes défectifs, escouzé-moi pour la déranche, mais là, vous repasserez.

Revenons cette fois sérieusement à nos verbes défectifs et au verbe traire et à ses composés, donc à extraire. Car, ainsi que JB l'a constaté, le sujet est vraiment, mais alors vraiment problématique. Et JB a des sueurs froides quand il lit, dans Les formes conjuguées du verbe français de Pierre Le Goffic, la précision suivante:


Aïe aïe aïe! Si les grammairiens vont même débusquer les fautes dans les traductions, alors JB a sérieusement intérêt à se tenir à carreau. De fait, jusque-là, ces messieurs et dames pistaient seulement la prose française. Et des perles, concernant la conjugaison du verbe extraire au passé simple, ils en ont trouvées! Ainsi du Grevisse qui cite Julien Green lequel, dans son journal, à la date du 19.XII.1948, notait:
Il ne voulait pas que les filles de ferme trayassent les vaches.
Hiii…
Ou alors cette chère Marguerite qui, dans Les petits chevaux de Tarquinia, écrivait:
Une fois les poissons ramenés dans la barque, il s'en distraya.
Re-hiii…
Et ce sans parler de Stendhal qui, s'amuse toujours le Grevisse, "emploie °distraisant (26 janvier 1806) et °extraisant (20 août 1805)".

Dans les trois exemples, les auteurs et traducteurs ont utilisé la désinence du passé simple employé pour la conjugaison des verbes du 1er groupe. Extraire étant un verbe du troisième groupe, primo on comprend pourquoi le Grevisse ajoute un ° quand il cite le verbe conjugué: il marque ainsi une forme non établie, incorrecte ou hypothétique; secundo, on s'étonne qu'un grammairien tel que Pierre Le Goffic propose d'utiliser cette forme erronée.

Que faire? disait déjà Lénine, pas du tout à propos de la conjugaison en général, ni de celle du français en particulier.
Le Grevisse ne propose aucune solution.
Notre fameux (fumeux?) Club inutile suggère:


Dupré, dans son Encyclopédie du bon français (une mine!) de 1972, insiste:
Comme le fait remarquer justement Aristide (Figaro Littéraire, 6 novembre 1967), “il faut condamner le monstre: ils extrayèrent, qui fait croire à l'existence d'un verbe extrayer”.
Alors que faire?
Avant de répondre à cette question, il faut aller sonder la linguistique qui va répondre à nos interrogations et, surtout, nous expliquer pourquoi la situation prend des tours aussi non seulement insolubles, mais également prompts à déclencher une guerre civile (JB n'exagère qu'à peine, comme d'hab).

Et, justement, au risque de faire tomber dans les pommes ses petits amis, JB l'annonce comme ça, d'emblée, à brûle-pourpoint, sans prendre de gants:
Autrefois, et ce jusqu'au moyen français, c'est-à-dire circa jusqu'en 1550, le verbe traire (et donc ses composés) se conjuguait à tous les temps.
JB allant à présent communiquer le tableau de conjugaison du verbe traire au passé simple, il conseille à tous ses petits amis sensibles soit de fermer les yeux, soit de prendre une profonde inspiration, soit de se précipiter sur leurs sels. Attention, éloignez les petits nenfants de l'écran, ils pourraient être traumatisés:


Et non content de cela, JB va également livrer le tableau de conjugaison du verbe braire, montrant ainsi que, déjà, le verbe était défectif, mais qu'il possédait un passé simple. Attention, là aussi c'est très dur:


Alors qu'a-t-il bien pu se passer?

Si les petits amis de JB sont vigilants et perspicaces (ce qu'ils sont), ils n'auront pas manqué de remarquer que JB n'a cessé de parler de "traire et ses composés": extraire, retraire, distraire, soustraire, abstraire, attraire, portraire, rentraire et enfin l'ancien fortraire. Ce qui signifie donc que traire a connu, jadis, une fortune particulière. Et pour cause.
Jusqu'au moyen français, on employait le verbe traire dans le sens qu'a de nos jours le verbe tirer. On peut regarder le long article que consacre au verbe le Dictionnaire du moyen français mais, là encore pour des raisons de lisibilité, JB préférera la définition synthétique que propose le Lexique Godefroy:


Toutes les définitions passées du verbe traire au sens de tirer sont aujourd'hui tombées en obsolescence, hormis dans le syntagme nominal “un animal de trait”. Et, en consultant les différentes acceptions de traire, JB a un orgasme traductionnel puisque: que ne signifie pas, entre autres, ledit verbe en moyen français? JB le donne en mille à ses petits amis:


Ça alors!
JB est donc à la fois traducteur et traiteur/tireur, s'il ose dire. Si traduire, c'est aussi tirer (< traire), alors cela autorise alors certaines adaptations dont certains traductreurs/trices prétendent qu'elles constituent une exagération. Si traduire, c'est pousser (un des sens de traire), alors cela libère le traducteur du surmoi traductionnel (si JB ose dire) qui l'empêche parfois de se libérer de l'injonction de fidélité qui lui est faite implicitement et qu'il admet servilement.

Mais revenons à la conjugaison du verbe traire.
La linguistique et la grammaire historique peuvent-elles nous expliquer pourquoi traire est devenu un verbe défectif?
Oui mon capitaine!
Et à cela, trois raisons.

1) Une caractéristique morphologique.
Les langues, au fil de leur évolution, ont tendance à évincer la difficulté, à écarter les formes compliquées, à supprimer certaines lettres embarrassantes voire carrément certaines syllabes. Exemples: hostel est devenu hôtel; de nos jours, en français parlé, on élimine quasi systématiquement le ne de la négation (“il est pas venu”). C'est ce sort que subit le verbe traire. Le grand grammairien qu'était Ferdinand Brunot le mentionnait dans son ouvrage La pensée et la langue, évoquant la lente disparition du passé simple et du subjonctif imparfait dans le langage courant:


Autrement dit, à conjugaisons compliquées, disparition progressive dans l'usage. On se souvient également de l'hésitation de nos anciens dans la conjugaison du verbe traire. Et, dans son Histoire de la langue française (1905 - 1938), le même Brunot nous explique que, concurrencé par tirer, la conjugaison de traire va très vite devenir incomplète pour peu à peu faire du verbe un verbe défectif:


John Palsgrave (1480 - 1554) est un grammairien anglais qui, avec L'éclaircissement de la langue française (1530), a produit la toute première grammaire française, quoique écrite en anglais. De la même manière qu'un des tout premiers dictionnaires français est également anglais, celui de Cotgrave (1611). On voit toutefois que c'est à peu près à l'époque de Palsgrave que l'hésitation entre tirer et traire s'effectue. Si on regarde dans sa grammaire, on voit qu'il donne comme traduction du verbe to draw, to pull le verbe tirer, mais conjugue le verbe traire:


Autrement dit, traire subit le même sort que ouïr, lui-même concurrencé par écouter. Il est autrement plus facile de conjuguer des verbes réguliers tels que tirer et écouter que des verbes irréguliers tels que traire et ouïr. Cela vaut en 2012 comme cela valait déjà en 1512. À preuve, la morphologie actuelle des emprunts à l'anglais. Chaque fois que le français moderne importe un verbe anglais, il va lui ajouter le -er du premier groupe, qui propose la conjugaison la plus simple.

Mais l'autre raison, qui découle de celle-ci et explique la transformation de traire et, de fait, ouïr en verbes défectifs, est d'ordre sémantique.

2) Une caractéristique sémantique.
Et c'est un autre grammairien qui nous explique le phénomène, Kristoffer Nyrop, lequel, avec sa Grammaire historique de la langue française (1909). Le lexique de la langue subit ce que le Danois appelle la "restriction de sens". Autrement dit: tel mot, qui autrefois connaissait plusieurs significations, voit celles-ci se réduire et, avec le temps, ne plus avoir qu'un seul sens. Cela se produit pour des raisons dites "emphatiques" (l'exemple étant notamment: pour les Parisiens, “le bois” se rapporte immédiatement à celui de Boulogne) ou historiques. C'est le cas du mot république qui, à partir de 1789, va connaître une nouvelle vigueur et fortune que l'on sait. Dans ce cas de figure, les mots vont prendre "un sens spécial", dit Nyrop.
Traire participe de ce phénomène mais s'inscrit dans une évolution bien particulière qui a… trait (!) au champ sémantique de l'agriculture. Le français possède une quantité de mots dont le sens spécial n'est plus qu'agricole: labourer ne signifie plus travailler mais uniquement remuer la terre; poulain ne désigne plus que le petit du cheval alors que, autrefois, il faisait référence au "petit d'un animal quelconque"; pis "se disait d'abord des hommes et des animaux", etc. Idem de traire:



Ceci posé, reste la solution de notre énigme:
Comment conjuguer traire et donc extraire au passé simple et, partant, au subjonctif imparfait?

Dupré comme Grevisse se rapportent à Émile Littré qui disait, à propos de extraire:
Le parfait [= passé simple] j'extrayis, l'imparfait du subjonctif j'extrayisse sont inusités, à tort; on devrait les remettre en usage; car rien dans l'euphonie ne s'y oppose.
Puis à propos de distraire:
Si le parfait défini de l'indicatif et l'imparfait du subjonctif manquent aujourd'hui, c'est seulement par défaut d'habitude. Autrefois ces temps existaient, et l'on pourrait les reprendre: je distrayis, que je distrayisse.

Donc pas de extraya ni extrut mais extrayit.

JB aimerait terminer sur un exemple trouvé dans la grammaire de Palsgrave. Nyrop nous a en effet expliqué que la polysémie peut finir par aboutir à une restriction de sens. De même, on sait que cette même polysémie peut rendre un mot tabou: c'est le cas, pour ne prendre qu'en exemple, du verbe baiser qui, dès qu'il est prononcé, ne renvoie plus à embrasser mais à avoir des relations sexuelles. Aussi, et à cet égard, vu ce qu'on a constaté sur l'évolution sémantique récente du verbe traire, vu l'évolution sémantique du substantif harnais qui, dans certains cercles, devient un vêtement à part entière, JB ne peut que remettre au goût du jour la phrase de Palsgrave:

lundi 2 janvier 2012

L'oubli, la mémoire, l'amour (1)

Et JB, qui, au propre comme au figuré, s'est fait remonter les bretelles (qu'il a forcément rouges) parce qu'il a oublié son blog tatoué et fumeur (mais disons plutôt qu'il a négligé), est, en ce début d'année, en cette année commençante, face à ce mot:
minneløs.
JB traduit:
amnésique.
Or problème.
Cette composition n'est pas référencée dans le dictionnaire norvégien:


Le dictionnaire propose donc le verbe minnes = se souvenir et le substantif minnelse = séquelle.
Et, visiblement, la langue norvégienne n'a pas de mot pour désigner l'adjectif amnésique:


Autrement dit, la langue norvégienne a adopté la terminologie médicale (elle-même adoptée en français en 1771) pour le substantif, dont elle possède par ailleurs une composition qu'on peut traduire littéralement par perte (= tap) de (= s) mémoire (= hukommelse). Un petit rappel pour les personnes qui pèchent avec les compositions germaniques (anglais, allemand, norvégien, etc.): c'est toujours le second mot qui devient le mort de départ en français.

Donc JB recommence et décompose le mot norvégien:
sans mémoire.
Puisque cet adjectif, minneløs, est également une composition qui assemble le substantif minne (= mémoire) et le suffixe privatif -løs (= sans). Mais attention, comme on le voit, le norvégien a deux mots pour mémoire: hukommelse, qui désigne la faculté de se souvenir; et minne, qui l'objet de cette action, c'est-à-dire le souvenir en tant que tel.

Alors que faire?
La clé se trouve dans le texte, comme souvent. L'histoire, dans ce roman de Lars Saabye Christensen, est celle d'un homme qui se réveille le 4 janvier 2001 et qui a perdu la mémoire. Or le récit est raconté par un narrateur extérieur, qui interpelle régulièrement le lecteur, qui connaît le personnage, affirme ne l'avoir jamais quitté des yeux. Ce narrateur est une instance immatérielle dont JB ne dévoilera pas l'identité au risque de tout révéler aux futurs lecteurs de ce roman. Premier pré-requis traductionnel.
Le second se situe dans l'écriture de l'auteur, toute en allitérations et en images poétiques ou lexicographiques. JB va donc conserver cette forme périphrastique sans mémoire, mais va lui préférer sans souvenirs puisque, dans les faits, c'est ce qui se passe et qui est important: Kim Karlsen n'a plus de souvenirs, mais il voudrait se souvenir. La traduction donne donc:
Ainsi que je l’ai souligné tout à l’heure, Kim Karlsen était encerclé par l’instant car l’instant constitue la seule histoire de la personne sans souvenirs. Oui, la personne sans souvenirs est toujours pour l’instant, comme le dit la locution; le pas suivant reste le premier, en même temps qu’il est le dernier.

JB a par ailleurs choisit le substantif la personne à cause justement du double sens du terme en français. Personne, c'est à la fois quelqu'un ET personne! Et Kim Karlsen est, lorsqu'il se réveille, lui aussi à la fois quelqu'un et personne. Pourquoi, en quoi? Hélas, JB ne peut le révéler, mais si ses petits amis sont perspicaces, ils auront compris…

Freud, dans un article de 1910 intitulé Sur le sens opposé des mots originaires, s'était déjà étonné de cette dualité du signifié basé sur un contraire morphologique. Citant une brochure du linguiste Karl Abel, datant de 1884 (donc aux balbutiements de la linguistique), Freud relève quelques exemples: without en anglais, "c'est-à-dire “avec-sans”". Il cite aussi le latin "sicus sec — succus suc". Il poursuit: "En allemand, Boden signifie aujourd'hui encore la partie la plus haute aussi bien que la partie la plus basse de la maison." Etc.
Pour le psychanalyste, c'est la preuve que le langage du rêve, qui pratique aussi l'inversement en termes de signification, où ce qui est montré et/ou dit signifie en réalité le contraire, est un prolongement d'une forme du langage humain. Il conclut:
(…) nous sommes autorisé à apercevoir une confirmation de notre conception du caractère régressif et archaïque de l'expression de la pensée dans le rêve.

Or, au risque de décevoir certains (à commencer par JB), Freud s'est trompé. Il s'est trompé non pas dans son raisonnement, mais dans son analyse. Et c'est un autre chouchou de JB, Émile Benveniste, qui l'a montré dans un article de 1956 intitulé Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne.
Benveniste explique que "le propre du langage est de n'exprimer que ce qu'il est possible d'exprimer". Et il ajoute tout de suite après: "Ceci n'est pas une tautologie."
Autrement dit, pour peu que le principe de contradiction régisse la formation lexicale, encore faut-il que que la pensée des locuteurs ne distingue pas de contraire entre deux réalités. Or, insiste Benveniste, le langage ne peut pas exprimer le rien. Toute réalité restituée par un mot signifie quelque chose. Là où le linguiste rejoint le psychanalyste, c'est au niveau de la fonction. Et peut-être Benveniste aurait-il dû employer le terme langue et non langage. La langue, c'est ce qui nous est donné, c'est un peu comme un dictionnaire, disait Ferdinand de Saussure: tel mot désigne telle chose, telle réalité. Après, le locuteur s'empare de ce dictionnaire et de ces mots et, grâce à la pensée, leur attribue ce sens ou un autre d'ailleurs, choisit d'utiliser ou pas tel mot et en préfère un autre: c'est le langage.
Autrement dit, pour revenir à Freud et Benveniste, le rêve et la langue ont tous deux un langage particulier qui fonctionne par refoulements, par non-dits, par contraires, par contradictions — que ceux-ci soient voulus ou non, apparents ou non, et qu'ils le soient pour le locuteur et le colocuteur. C'est là-dessus que Benveniste termine son article (et c'est JB qui souligne):
On peut, au niveau du langage, préciser: il s'agit des procédés stylistiques du discours. Car c'est dans le style, plutôt que dans la langue que nous verrions un terme de comparaison avec les propriétés que Freud a décelées comme signalétiques du “langage” onirique. On est frappé des analogies qui s'esquissent ici. L'inconscient use d'une véritable “rhétorique” qui, comme le style, a ses “figures”, et le vieux catalogue de tropes fournirait un inventaire approprié aux deux registres de l'expression. On y trouve de part et d'autre tous les procédés de substitution engendrés par le tabou: l'euphémisme, l'allusion, l'antiphrase, la prétérition, la litote.

Là, JB a un petit orgasme traductionnel.
Puisque c'est exactement le raisonnement qu'il a suivi pour résoudre son problème de traduction. Il est certes parti de la langue, de la morphologie du mot minneløs, mais il a suivi le langage, le style de l'auteur. C'est l'écriture fictionnelle telle que la pratique Lars Saabye Christensen qui a apporté une solution à ce qui était compliqué à traduire, pour des raisons linguistiques, lexicographiques, stylistiques, et surtout narratives.

Mais JB aimerait citer la toute fin de l'article de Benveniste en ce qu'il nous aide à être mieux nous-même:
Ce qu'il y a d'intentionnel dans la motivation gouverne obscurément la manière dont l'inventeur d'un style façonne la matière commune, et, à sa manière, s'y délivre. Car ce qu'on appelle inconscient est responsable de la manière dont l'individu construit sa personne, de ce qu'il y affirme et de ce qu'il rejette ou ignore, ceci motivant cela.
Benveniste nous dit ici deux choses.
Primo: le style façonne une identité, l'affaire est entendue, et il est le prolongement d'un inconscient, donc de choses refoulées.
Secundo, et c'est le plus important: nous sommes libres. Libres dans la pensée, libres dans le langage. Libres de dire ou de ne pas dire. Et donc libres de refouler.
Le (la) psychanalyste rétorquera certes au linguiste que le refoulement empêche aussi de se libérer. Mais il permet aussi de survivre. Pour combien de temps? Benveniste s'arrête aux portes de sa spécialité, la linguistique, et n'empiète pas sur celle de la psychanalyse. Il ne répond donc pas à cette question, et JB va suivre son exemple (le lâche!).

Il montrera plutôt, demain ou une autre jour, comment l'oubli et la mémoire sont en fait, dans la langue, liés par l'amour. Reste à savoir s'ils sont aussi liés par l'amour dans le langage…