Un retour dans la Rance, ou en Frangst comme dit cette chère Alexandre, ça mérite bien de s'arrêter une peu pendant 6'46'' pour écouter Youkali, un morceau composé par Kurt Weill, et chanté ici par Teresa Stratas, qui en livre ainsi la plus belle version existant à ce jour.
Kurt Weill a vécu de mars 1933 à septembre 1935 en France. Il fuyait les nazis. À leurs yeux il était devenu un artiste dégénéré. Il est parti avec Lotte Lenja dont il a divorcé en 1933. Ils étaient récemment divorcés, et pourtant ils sont partis ensemble. Ils ne se quitteront jamais, voire, se remarieront en 1937. En 1934, il aura composé Je ne t'aime pas, chanté par Lys Gauty (dont Anne Sofie von Otter livrera en 1995 la plus belle version ; j'y reviendrai un autre jour) et qui sonne comme la chanson de l'amour impossible en général et de l'amour impossible entre Weill et Lenja en particulier.
Mais en 1935, il y a donc Youkali, dont Roger Fernay a écrit les paroles impérissables. L'idée de Youkali, c'est qu'il existe un endroit où le bonheur et le désir et l'amour ("partagé", insiste Fernay) sont de mise. Cet endroit est à portée de main, tous les jours quelqu'un nous invite à y aller. Et, pour nous, savoir que ce pays existe nous aide à vivre, à survivre. Sauf que, voilà, raté, ce pays n'existe pas. C'est une utopie, "une folie", dit aussi Fernay.
Si on lit, si on écoute cette chanson dans le seul cadre de ce qu'elle nous dit, c'est évidemment vertigineux et d'une rare beauté : le bonheur et l'amour existent bel et bien, mais il va falloir aller loin pour le trouver ; et tant pis, on y ira, on l'atteindra. Mais cette chanson a des accents plus tristes encore quand on connaît justement la biographie de Weill. Youkali devient une chanson sur l'exil forcé, sur une vie stoppée en plein vol, sur ce que cela signifie de de devenir sans terre, sans nation.
En 1935, Kurt Weill et Lotte Lenya s'enfuient aux États-Unis, où ils vivront jusqu'à leur mort.
Plus tard, après la mort de Kurt Weill en 1950, Lotte Lenja (devenue Lenya pour les Américains) crée en 1962 la Kurt Weill Fondation. Juste avant sa mort en 1981, elle désigne Teresa Stratas comme digne successeure de la direction de la Fondation.
Et donc Teresa Stratas chante Youkali et c'est une pure extase — bon, d'accord, au niveau théâtral, son jeu est nul. Mais bon. Ça n'a reste pas moins superbe.
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