Reçue hier par la poste la rentrée littéraire, soit trois albums, d'une nouvelle maison d'édition norvégienne, Magikon Forlag, co-fondée par Kristin Roskifte dont j'avais adoré l'abécédaire intitulé 28 pièces et cuisine. Cet album déclinait les lettres de l'alphabet norvégien en fonction de pièces improbables (pièce vide pour la lettre T (tomrom), pièce western pour la lettre W et pièce puzzle pour la lettre P), où les deux habitants de ces espaces absurdes, le couple formé par Alf et Beate (A et B, donc, comme le début d'abécédaire), se parlaient en utilisant que des mots de la lettre en question. Intraduisible, mais épatant.
Depuis, Kristin Roskifte a quitté Cappelen et s'est associée avec Svein Størksen pour créer Magikon, que j'ai découverte il y a peu. Je voulais notamment recevoir cet album qu'elle a illustré et qu'a écrit un des plus grands écrivains contemporains, Jan Kjærstad. L'album s'appelle Mirandas skatkammer, La Salle aux trésors de Miranda, et frappe par son style très 70, très Beatles période Sergeant Pepper, qu'a récemment copié un limonadier américain (hum !). Côté illustration, l'album n'est pas inintéressant même s'il aurait mérité un peu plus de direction artistique, on voit donc l'absence cruelle d'Ellen Seip (hei, Ellen!), LA grande dame norvégienne de l'album – puisque c'est sous ses auspices que la Norvège a remporté en 2007 avec Stian Hole, puis en 2008 avec Øyvind Torseter, le Ragazzi Award à la Foire de Bologne; autrement dit, c'est sous sa direction artistique qu'ont été publiés les deux plus beaux albums du monde pour ces deux années.
Mais retour à Magikon, puisque la surprise ne venait pas de Kristin Roskifte illustratrice, mais de Kristin Roskifte éditrice. Et là, c'est pour le coup un trésor, un petit joyau, d'ores et déjà à mon sens LE album norvégien de l'année 2008. Intitulé Parc et autres créatures (le titre norvégien est cent fois mieux, mais fonctionne sur un jeu de mots), il est signé Øystein Dolmen (quel nom!) pour le texte et le collectif Yokoland pour les illustrations. Le premier est un touche à tout qu'on n'attendait pas ici avec un texte aussi abouti, à la fois poétique ("Les oiseaux aiment jouer avec les sculptures et laisser voleter leurs pensées") et drôle ("Il est très lancé de s'asseoir sur un banc dans le parc et de discuter de questions philosophiques. Beaucoup s'y adonnent tout à fait délibérément."). Mais les seconds, eux sont connus. Du moins ils le sont en Norvège, en Allemagne, en Grande-Bretagne. Il s'agit de trois graphistes qui se sont rencontrés à l'âge de 16 ans au lycée.
L'histoire est racontée par un tout petit moustique que l'on suit de page en page. À chaque fois, ses interventions sont soulignées par une petite flèche empruntée au langage de la bande dessinée, sans pour autant que les phrases en lettres majuscules manuscrites soient insérées dans des bulles. Ce moustique nous détaille donc par le menu la vie du parc de son ouverture à sa fermeture, et les gens, les êtres, les choses et toutes leurs manies que l'on peut y trouver. L'album est jalonné de ruptures tant narratives que graphiques; la plus belle étant lorsque le gardien du parc se perd dans ses pensées et s'imagine sur d'autres planètes – là, les pages deviennent entièrement noires et peuplées de dinosaures et autres créatures oniriques.
Car, certes, le texte est impeccable, mais c'est surtout l'illustration qui épate. Les Norvégiens retrouveront sûrement le trait rond et enfantin de Gry Moursund, du moins avant sa période très "bébé" que je trouve un peu simpliste. Les Français reconnaîtront le travail sur les couleurs que fait Blexbolex dans son somptueux et somptueusement édité Gens. Norvégiens et Français verront au lettrage de l'histoire combien Yokoland a parfaitement digéré l'influence de Kim Hiorthøy et son recours au dessin au trait. Et, enfin, tous se raviront de l'emploi des "techniques diverses" qui voient se côtoyer surfaces monochromes et reproductions photographiques.
Mais le plus étonnant, ici, c'est qu'on a vraiment affaire à un album pour enfants, avec de vraies illustrations pour les enfants. Je veux dire: souvent, quand des éditeurs demandent à des illustrateurs issus du monde du graphisme de dessiner pour un album destiné à la jeunesse, le résultat pèche avant tout par son côté arty très adulte; artistiquement, le travail est irréprochable mais s'adresse avant tout à un public adulte, qui plus est initié au graphisme. Avec cet album, Yokoland montre tout son talent d'illustrateur d'album pour la jeunesse.
Et je suis prêt à parier… allez… 28 roupies de sansonnet que, dès que les éditeurs français vont tomber sur ce collectif, ils vont tous prendre un billet d'avion pour Oslo histoire d'aller leur chanter la romance. Nous avions Kim Hiorthøy et Jockum Nordström hier, nous avons Atak et Blexbolex aujourd'hui, nous aurons Yokoland demain. Puisque tous sont définitivement de la même famille.
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