jeudi 11 août 2011

La politique du gaufrier et la tactique du salami

Et JB, qui est justement en train de manger, lit dans son journal le commentaire en “une” du sociologue Oliver Nachtwey, qui dit, à propos des émeutes en Angleterre et de la politique de Cameron (bœuœuœurk) — et c'est JB qui souligne:
Auch die eiserne Lady wollte die britische Gesellschaft einst von Grund auf reformieren und bediente sich dabei der Salamitaktik. 
-> La Dame de Fer voulait elle aussi réformer la société britannique de fond en comble et, pour ce faire, a eu amplement recours à la tactique du salami.

Le linguiste qui sommeille est en constant état de veille en JB (doublé du gourmand qu'il est aussi) s'exclame, la bouche pleine, dans son palais socialiste: "La tactique du salami? Késako?"
Il ne tarde pas à trouver, grâce à Wikipédia:
La tactique du salami est une expression inventée par l'homme politique hongrois Mátyás Rákosi, chef du Parti communiste hongrois, pour décrire l'élimination progressive des pouvoirs extérieurs au communisme (Église, autres partis...), « tranche après tranche, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien ». Cette stratégie est assurée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale au moment du processus de prise de pouvoir par les communistes, qui aboutit à la formation de la République populaire de Hongrie.

JB apprend par la même occasion que la locution idiomatique hongroise (szalámitaktika, en hongrois dans le texte), outre qu'elle est désormais employée dans de nombreuses langues, désigne de nouveaux phénomènes. Les Suédois donnent pour exemple le projet impopulaire puis retoqué de construction d'une autoroute, si bien qu'on en construit qu'une moitié, très vite saturée, pour enfin terminer le tronçon manquant: ni vu ni connu, on obtient l'autoroute entière malgré les protestations. Autre exemple venu d'outre-Manche, la politique tarifaire de Ryanair qui consiste, au lieu d'indiquer dès le départ le prix total du billet d'avion, à afficher une somme modique mais qui va en s'amplifiant au fur et à mesure qu'on ajoute le bagage en soute, l'embarquement prioritaire, le paiement par carte bancaire, l'enregistrement en ligne (et, on se souvient, ce n'était qu'une proposition mais tout de même: l'utilisation en vol des toilettes), etc., etc.

En linguistique, ces formules métaphoriques ont un nom, on les appelle des idiotismes. Il en existe de toutes sortes, et dans toutes les langues. JB citera uniquement ceux qui concernent sa langue maternelle, le français: les idiotismes animaliers (= monter sur ses grands chevaux pour “s'énerver”), les idiotismes gastronomiques (= être soupe au lait, également “s'énerver”), les idiotismes toponymiques (= battre à Niort, pour “nier” — une locution très ancienne attestée déjà chez Oudin sous la formule aller à Niort dans son Curiosités françaises de 1641), etc., etc. Wikipédia les recense toutes ici.
JB ajoutera cependant les idiotismes vestimentaires tel le splendide péter dans la soie, pour “vivre dans l'opulence”; ainsi que (forcément) les idiotismes sexuels (avoir une bite à la place du cerveau, pour “ne penser qu'au sexe”) qui sont différents des idiotismes corporels, ainsi de péter plus haut que son cul (histoire de filer la métaphore précédente du pet), pour “avoir des prétentions excessives”, également une locution française très ancienne puisque Oudin, qui la qualifie de "vulgaire", la cite sous la formule "On ne saurait péter plus haut que son cul".

Mais la tactique du salami a cela de particulier, dans le domaine des idiotismes, qu'elle file la métaphore alimentaire pour l'appliquer à l'exercice de la politique. Ce qui fait penser à JB (il est toujours en train de manger, souvenons-nous) à une locution qu'il a découverte il y a quelques mois à propos de la crise politique belge — et il l'avait trouvée tellement… délicieuse qu'il l'avait conservée:


Ce sont moins les communes à facilités qui intéresse JB mais bien sûr, dans ce contexte, la fameuse politique du gaufrier. Même Wikipédia la recense et l'explique ainsi:
Wafelijzerpolitiek (littéralement politique du fer à gaufre) est le nom donné par les néerlandophones au système belge de compensations instauré dans les années 1988 pour la répartition des fonds entre les deux grandes régions du pays, la Région flamande et la Région wallonne. Un exemple en est le soutien à la firme wallonne Sonaca en compensation aux 3 milliards et demi injectés par le gouvernement dans la banque flamande KBC.
Cette politique du gaufrier, donc un terme néerlandais à la base, repose concrètement sur un "pacte", expliquait dans un article de 2003 le quotidien wallon La libre Belgique, qui a permis grâce à sa distribution égalitaire entre les deux grandes régions d'outre-Quiévrain un maintien des frontières nationales et non plus l'éclatement du royaume, mais a occasionné une dette publique colossale (autre sujet à la mode en ce moment).

La politique du gaufrier est-elle l'inverse de la tactique du salami?
Dans les deux cas, plus on retranche, moins il y a à picorer. C'est le principe de la fameuse peau de chagrin de Balzac.
D'un autre côté, on peut se demander si les Flamands ne pratiquent la tactique du salami également pour s'opposer à la politique du gaufrier: ils retirent telle prérogative fédérale, puis celle-ci, puis celle-là, afin que, au final, il n'y ait plus rien à trancher sur le salami collectif belge.
Bref.
L'objet n'est pas ici de faire de l'analyse politique de comptoir, mais plutôt de s'intéresser à ce type de métaphore culinaire qui s'appliquent à la politique et, dans les deux exemples cités, pour le cas de la Belgique, se rejoignent.

JB a cherché d'autres exemples mais son cerveau a montré ses limites. Évidemment, ses petits amis seront bien avisés d'éclairer ses lumières.

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