dimanche 30 décembre 2012

Le ratata, le popo et le popotin

Et JB doit traduire cette phrase tiré de la quatrième histoire d'Elling (c'est lui qui souligne):
I neste nå befinner man seg på denne berømmelige benken, med en sonde i rattata.

Qu'est-ce que ce ratatta norvégien, que JB n'avait jamais lu jusqu'à présent?
Le dictionnaire monolingue norvégien ne le connaît qu'avec un seul T et explique:
ratataI -en (spøkef.) bak: falle, gå på ratataen
Etym.:uviss oppr.; muligens eufemistisk for rassen, ræva , jf. ratata II

Donc le ratata n'est autre que le fessier (= bak), le postérieur, l'arrière-train. Ce dont Elling parle donc, c'est que vous vous retrouvez "avec une sonde dans les fesses" — après que vous avez été kidnappé par les extraterrestres qui vous ont choisi vous et nul autre, et vont mener sur votre corps, et plus particulièrement dans votre rectum, des expériences et explorations toutes plus "humiliantes" (dixit) les unes que les autres.

Le dictionnaire ajoute enfin:
Étymologie: origine incertaine, peut-être une formation euphémique de rassen, ræva, voir ratata II
Ræv est l'équivalent norvégien de cul et rass (définition identique) est un des mots les plus grossiers, du moins au goût de JB, des jurons, gros mots et insultes de la langue norvégienne; puisque rass s'utilise également pour diffamer quelqu'un.

Que signifie l'autre ratata, le n°2?
ratataII interj.; brukt for å gjengi raske smell, især maskingeværsalve ratata bom!
Etym.: lydord
ratata II interjection; utilisé pour restituer une détonation rapide, notamment d'une mitraillette ratata bom!
Étymologie: onomatopée

Le Dictionnaire des onomatopées (2003) de Pierre Enckell et Pierre Rézeau propose une acception similaire dans l'entrée consacrée à taratata:, expliquant que ratata ou ratatata est un dérivé du précédent:
1. sons produits par un clairon, par une trompette, par une trompe.
2. bruit du tir d'une mitrailleuse ou d'une mitraillette.
On constate donc qu'il y a une similitude franco-norvégienne pour reconstituer lexicalement le son entendu, un claquement, une détonation. De plus, en norvégien, il n'y aurait donc qu'un pas entre le bruit produit par la mitraillette et celui du fessier. On n'a aucune peine à s'imaginer de quelle manière. Et on va y revenir.

Pour l'heure et pour JB, il s'agit de trouver l'équivalent français le plus adapté à la langue d'Elling, sachant que ce dernier parle un norvégien désuet, soutenu et riche. JB interroge la base dite CRISCO (on reste dans le sémantisme, quoi…), qui donne une liste souvent exhaustive de synonymes:


Pas de doute, JB va utiliser l'épatant popotin et traduire:
L'instant d'après, vous vous retrouvez sur le fameux banc, avec une sonde dans le popotin.

Et voilà le problème est résolu.

Mais JB s'étonne de ce mot, popotin, qui est oh si proche de son équivalent allemand Popo, un mot d'enfant pour désigner, donc, les fesses. Seraient-ils de la même famille? se demande-t-il. Et quelle est l'étymologie de popotin?

Commençons par l'allemand, avec le Kluge, le dictionnaire étymologique de la langue allemande qui nous explique:
Popo Sm. std. kind. (18. Jh). Das im 17. Jh. eingebürgerte Podex "Hintern" wird zu einer kindersprachlichen Reduplikation umgestaltet. Bezeugt zuerst im Nordosten.
-> L'emprunt, au XVIIe siècle, de podex (postérieur) est transformé en un redoublement enfantin. Le mot apparaît d'abord dans le nord-est [de l'Allemagne].

Donc le mot est assez ancien, plus ancien en tout cas que le français popotin, dont le Robert historique de la langue française nous dit qu'il est attesté en 1917 et "est très probablement issu de pot par redoublement à l'aide du suffixe -in." Et, si l'on se reporte à l'étymologie de pot, mais qu'on se concentre sur son évolution lexicale, on trouve en effet:
◊ Par analogie, il fournit un des noms du postérieur humain (1896, argot des ouvriers), en particulier de l'anus (1920) d'où casser le pot "sodomiser", commenté par Proust.

La figure, amplement glosée par les commentateurs, se trouve dans La Prisonnière (pp. 1857 à 1859 de l'édition en Quarto, chez Gallimard, et dans le tome III de l'édition en Pléiade, même éditeur, pp. 841 à 842), après que le narrateur a expliqué: "Albertine disait souvent «casser du bois sur quelqu'un, casser du sucre» ou tout court: «ah! ce que je lui en ai cassé!» pour dire «ce que je l'ai injurié!»"

La plus mystérieuse, la plus simple, la plus atroce se montra dans la réponse qu’elle me fit d’un air de dégoût, et dont, à dire vrai, je ne distinguai pas bien les mots (même les mots du commencement puisqu’elle ne termina pas). Je ne les rétablis qu’un peu plus tard, quand j’eus deviné sa pensée. On entend rétrospectivement quand on a compris. «Grand merci! dépenser un sou pour ces vieux-là, j’aime bien mieux que vous me laissiez une fois libre pour que j’aille me faire casser…» Aussitôt dit, sa figure s’empourpra, elle eut l’air navré […]. Mais pendant qu’elle me parlait, se poursuivait en moi […] la recherche de ce qu'elle avait voulu dire par la phrase interrompue dont j'aurais voulu savoir qu’elle eût été la fin. Et tout d'un coup deux mots atroces, auxquels je n'avais nullement songé, tombèrent sur moi: «le pot». […] Et tout à coup, le retour au regard avec haussement d’épaules qu’elle avait eu au moment de ma proposition qu’elle donnât un dîner, me fit rétrograder aussi dans les mots de sa phrase. Et ainsi je vis qu’elle n’avait pas dit «casser», mais «me faire casser». Horreur! c’était cela qu’elle aurait préféré. Double horreur! car même la dernière des grues, et qui consent à cela, ou le désire, n’emploie pas avec l’homme qui s’y prête cette affreuse expression. Elle se sentirait par trop avilie. Avec une femme seulement, si elle les aime, elle dit cela pour s’excuser de se donner tout à l’heure à un homme.

Et donc le pot pour le postérieur. L'acception n'est présente dans aucun des dictionnaires d'argot du XIXe siècle — idem du popotin, absent lui aussi. Il faut attendre celui de Gaston Esnault (1965) qui, dans le 6e sens (sur 7, le 7e étant la chance) explique:
6° Postérieur: En avoir plein le pot, être excédé (argot des ouvriers, 1896). Occupe-toi de ton pot, même-toi de ce qui te regarde (ibidem). ETYM. Ellipse de pot à moutarde (1488), à crottes (1654).
Ainsi donc le pot-postérieur vient du pot de chambre. Le sens apparaît plus que par ellipse: par métonymie. C'est la relation de cause à effet, ou de contenant à contenu (comme dans boire un verre: on ne boit pas le verre, mais le liquide qu'il contient), qui crée la signification, et donc le sens, et donc le mot.

Quid maintenant du popotin, que Gaston Esnault cite également?
Postérieur (argot des soldats, 1917): Se manier le popotin, se hâter (argot des voyous, 1928; argot des écoliers, 1937).
Avant de voir ce que notre gars Gaston dit de l'étymologie, JB va vérifier sur Gallica (le site de la BeuNeuFeu) quels documents nous indiquent ses occurrences les plus anciennes. Sans surprise, on ne retrouve pas le mot dans un roman, mais dans des revues. La première date de 1920, paraît dans La Voix du combattant, donc un "périodique" destiné aux militaires ou anciens militaires et, ce faisant, confirme ce que le gars Gaston précisait en cernant l'aire sociale de l'emploi du mot. Popotin est utilisé dans un poème écrit en argot, aujourd'hui assez cryptique, mais JB en reproduit malgré tout l'extrait:


Caramboler le popotin doit signifier botter le cul, en français populaire moderne — mais on ne trouve pas d'entrée dans le Dictionnaire des argots d'Esnault.

La seconde occurrence date de 1922 (04/01), se trouve dans un feuilleton intitulé Le gosse infernal, ou plutôt un "ciné-roman comique" ainsi que le nomme son auteur, André Dollé, et publié dans un autre périodique destiné aux militaires: Le Journal des mutilés, réformés et blessés de guerre. Le passage met en scène deux enfants et, d'un point de vue lexical, nous montre implicitement comment le mot passe de l'argot des soldats à celui des élèves:


Reste maintenant à se pencher sur l'étymologie et à répondre à la térébrante question, qui taraude en tout cas JB: Popo et popotin sont-ils des cousins? Autrement posé: le postérieur français serait-il un petit-fils du fessier allemand?
À en croire notre gars Gaston, c'est affirmatif, mon capitaine!
ETYM. Origine incertaine; le synonyme popo est d'avant 1900 et peut être soit de l'allemand Popo, idem, soit une variante enfantine de POT 6°.

Ça alors! s'exclame JB dans son palais socialiste.
Ou est-ce trop beau et trop simple pour être vrai?
Hum… Sans doute.
Le Trésor de la langue française, dans la partie étymologique du terme, cite effectivement l'explication du gars Gaston, mais, à ce jour, c'est davantage celle d'Alain Rey et Jacques Cellard, dans leur Dictionnaire du français non conventionnel (1980) qui primerait:
[Ils] y voi[en]t un redoublement de pot «postérieur» (1896) avec une suffixation enfantine qui peut avoir été influencée par potin «bruit».

Ça alors! s'exclame derechef JB dans son palais socialiste.
La boucle est bouclée et ce parfaitement.
L'explication étymologique se base sur les mêmes principes, tant morphologique que lexicaux, pour le norvégien ratata et le français popotin. Tous deux viennent d'un substantif signifiant fessier et tous deux se créent à travers un bruit émis. Enfin, dans le deux cas, l'origine est "incertaine". Du point de vue traductionnel, on ne peut être plus raccord!

Et voilà, JB a terminé son enquête, mais ne prendra pas congé de ses petits amis sans leur montrer la couverture d'un roman de gare utilisant le terme popotin. Ça vaut son pesant de cacahuètes (en un seul mot!) et ça ressemble à ça:


C'est évidemment macho en diable et publié en 1954, dans une collection qui comportera 14 titres aux noms tous plus éloquents les uns que les autres et qu'un certain "Tonton Pierre" explique ici. JB ne résiste pas au plaisir de recopier cette précision dudit tonton:

Huit titres seront frappés d’interdiction de vente aux mineurs et d’exposition / affichage, et deux titres – “C’est une fille très bien” et “C’est une belle garce” (faudrait savoir alors ?!) seront au cœur de poursuites judiciaires en 1955 et 1957.

Sur ce, babaille, hein!

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