dimanche 16 décembre 2012

Nous sommes gay et cool et smart et sexy

Et, tandis qu'à Berlin il fait nuit noire, à Paris, dans la Rance, ça défile pour la reconnaissance du mariage pour tous, de la PMA pour toutes et contre l'homophobie de tout poil et l'obscurantisme notamment religieux.

JB, qui hier regardait les infos dans El Mundo, a vu ce tract reproduit:


Beh! s'est alors écrié JB dans son palais socialiste. Y a une faute! Y a une hénaurme faute d'orthographe!! L'adjectif gay ne prend pas de S!!! On dit: Nous sommes gay.

Du coup, JB s'est dit: "Le doute m'habite." JB s'est dit: "Il faut vérifier." Selon lui, les adjectifs étrangers employés en français ne s'accordent ni en genre ni en nombre et demeurent donc invariables.
Alors?

Alors le Grevisse est formel:
Beaucoup d’adjectifs empruntés tels quels ont tendance à rester invariables, — surtout en genre, notamment quand leur finale se prête assez mal à recevoir la désinence du féminin.

Ah, quand même! a chuchoté JB dans sa barbe inexistante. JB est peut-être nigaud, mais question grammaire et orthographe, il l'est moins.
Toutefois, sachant que le Grevisse n'est pas non plus le parangon de la modernité et a tendance à proposer des réponses de Normand sur les points litigieux et/ou compliqués, à ménager la chèvre et le chou dès qu'il y a contestation, JB a tenté de chercher ailleurs. Il dit bien tenté parce qu'il n'a quasiment rien trouvé.

Il s'est d'abord emparé de son Jouette, sachant pertinemment que les chances de trouver une réponse claire étaient minimes — parfois, le Jouette élude carrément les difficultés, voire se trompe.
Pas loupé. Aucune mention précise dans l'article 7 intitulé "Adjectifs invariables". Ou plutôt si, le paragraphe d) aborde indirectement la question:
Les adjectifs du langage populaire ou argotique (dont la vie est généralement brève).
Pincez-moi, je rêve! s'est exclamé JB dans son palais socialiste.
Depuis quand, JB cite, riquiqui, popote, sado-maso (!), gnangnan, gaga, zinzin ont une "vie (…) brève"?? Mais qu'est-ce que c'est que c'est (oh!!!) ces sornettes?!
Dans la liste non exhaustive, JB en trouvait quelques-uns auxquels il pensait tels que in et sexy. Pour les autres, il fallait se reporter aux entrées respectives. Ainsi, cool et smart sont déclarés invariables. Mais sélect s'accorde. Black et gay figurent mais sans mention d'accord (ni d'exemples) pour l'adjectif.
JB avait prévenu ses petits amis, le Jouette n'est pas fiable.

Du coup, il a cherché sur la toujours impeccable Banque de dépannage linguistique québécoise. Sans se faire d'illusions. Les Québécois étant partisans de la traduction systématique des anglicismes, JB voyait mal comment ils proposeraient d'accorder des adjectifs anglo-saxons adoptés tels quels en français. Et, de fait, rien. Tout au plus a-t-il appris que chic (emprunté à l'allemand) est invariable en genre, mais en nombre:

L’adjectif chic est invariable en genre. Chic a eu autrefois un féminin, chique, mais il est tombé en désuétude. On dira donc aussi bien une femme chic qu’un homme chic.

Exemples :
- Quelle chic fille!
- C’est la rue la plus chic du quartier.
  
Pour ce qui est de l’accord en nombre, l’usage a varié au fil du temps. Au XIXe siècle, chic ne s’accordait pas en nombre, mais depuis l’accord tend à se généraliser. Ainsi, aujourd’hui les lexicographes ne sont pas unanimes : les uns donnent toujours chic comme invariable, les autres comme un adjectif variable.


Ce que confirmait d'ailleurs le TLF:
Prononc. et Orth. : [ʃik]. 1. Ds Ac. 1932. 2. Var. chique. La docum. montre que la graph. chique a eu une certaine vitalité au xixes. a) Comme graph. du subst. masc. : Si vous aviez eu, voyez-vous, un peu de notre «chique », vous l'auriez empêché de courailler (Balzac, La Cousine Bette, 1846, p. 348). b) Comme graph. de l'adj. au fém. : Est-elle jolie ta mère? S'il faut juger sur l'échantillon de ta bouche, elle doit être un peu chique! (Balzac, La Rabouilleuse, 1842, p. 372). Except., on trouve cette graph. au xxes. : Je frissonnais en entendant taxer de « chiques représailles » un bombardement de Karlsruhe (Gide, Journal, 1938, p. 1320).


Sinon, le seul document qu'ait trouvé JB est une étude lexicographique datant de… 1995, par John Humbley et Liselotte Bidermann-Pasques, consacrée à l'utilisation des mots anglais dans la presse, plus précisément dans le dais excellent Libération. Pour ce qui nous concerne, voici leurs résultats:


Ils confirment a priori la règle indiquée par le Grevisse. Mais indiquent que l'usage est plus souple. Que gay, comme dans l'exemple liminaire, s'accorde en nombre peut se comprendre du fait de sa proximité avec gai dont il est par ailleurs l'homophone. À constater que black s'accorde également, faut-il en déduire que les adjectifs qui vont qualifier des traits identitaires de l'individu auront tendance à s'accorder? Mouais… Ou bien parce qu'ils sont passés dans le langage, à l'instar de chic ou sélect, tous deux introduits grosso modo au début du XIXe siècle? Leur présence ancienne dans la langue française faciliterait l'accord? Autrement dit: plus un adjectif est employé dans le langage courant, plus les locuteurs le traitent comme les autres adjectifs.
Objection votre honneur: sexy et cool ont connu la même richesse et, pourtant, ils ne s'accordent pas. Leur importation date respectivement de 1925 et 1952. Et, second bémol, pourquoi jamais d'accord au féminin? Pourquoi les locuteurs accordent très facilement en nombre mais jamais en genre? On demande un ethno-linguistique à la 2!


JB récapitule les accords des adjectifs empruntés en prenant des exemples de la vie quotidienne.
Bien qu'elle ait arrêté tous les buts et soit restée zen, Nadine est sortie du match groggy.
(spéciale dédicace à G!!!)
Raymond, tu as une pince à seins très sexy!
JB n'apprécie pas la musique techno mais adore les sons reggae.
Grâce aux reflets auburn de sa nouvelle teinture, Raoul a séduit Lucien.
(Lequel Lucien était quant à lui très aux burnes de nature.)
Décidément in, Léone se pavanait dans une soirée sado-maso lancée, vêtue d'une cape kaki.
Patrice et Jacky, deux députés gay(s), fréquentaient des charcuteries sélect(es).
Maryse, relax, a pour animal de compagnie Grisette, une chatte mastoc.
Ulrike était très smart avec sa veste en cuir hyper cool.
(re spéciale dédicace à G!!!)
Ces garçons sensibles black(s) n'étaient pas adeptes des poupées vaudou.
Josy et Luce, mes chéries, vous ne faites pas vraiment snob(s) avec votre blouse en nylon carrément out.
La droite n'est pas open et les homophobes sont kapout.


Et voilààà. Babaaaille!

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