lundi 21 janvier 2013

Des soutiens-gorge bonnet F, couleur chair, banals

Et JB se voit traduire cette phrase d'Ingvar Ambjørnsen, qu'il écrit ainsi dans un premier temps:
Inutile de s’empêtrer plus longtemps dans des bavardages banaux.
Hum, se dit-il in petto. Y a un truc, comme disait Gérard Majax en son temps:



Banaux? s'écrie-t-il dans son palais socialiste. On n'est pas au four! Ni au moulin d'ailleurs. Car, pour autant que JB sache, banal devient banaux au pluriel quand il désigne une réalité du moyen âge, mais sinon? Quand il s'agit du quotidien, des choses banales, comment s'accorde l'adjectif au masculin pluriel? Banals ou banaux? Hum.
Dira-t-on?
Ginette a fait les soldes en jupe-culotte, elle s'est acheté deux cache-cœur banaux pour aller avec.
Ou dira-t-on plutôt?
Patrice s'est fendu de commentaires banals à propos du ball-trap de dimanche dernier.
Hum.
Raoul a fait l'acquisition de deux godemichets banaux voire grotesques — ce n'étaient pas des Jeff Stryker.
Luce a commandé un couple de soutiens-gorge bonnet F, couleur chair, assez banals en somme.
Hum et triple hum.

De prime abord, le TLF donne dans la pluralité non discriminatoire:



Les auteurs belges du Grevisse tout aussi belge expliquent d'emblée:
Banal, comme terme de féodalité, fait au masculin pluriel banaux: fours, moulins BANAUX. — Quand il signifie "sans originalité", il fait banals ou, un peu moins souvent, banaux.
Alors ça, peste JB dans son palais socialiste, c'est bien une réponse à la Grevisse, toujours à ménager la chèvre et le chou! Grrr!

Banal, dans un contexte médiéval, renvoie au ban et à la banalité:
I.− DR. FÉOD. Droit que le seigneur avait d'imposer l'usage de son four, de son moulin, de son pressoir et autres objets lui appartenant, à ses sujets et de percevoir une redevance sur cet usage.
Le Robert historique de la langue française poursuit l'explication, et JB fera des sauts de puce du substantif à l'adjectif, d'origine germanique, et d'un dictionnaire à l'autre:
BAN n. m. est emprunté (vers 1130) au francique °ban "loi dont la non-observance entraîne une peine", restitué par l'ancien haut allemand ban "commandement sous menace de peine, défense, juridiction" et par l'ancien norrois ban "défense".
Ainsi, poursuit le TLF, le suzerain faisait annoncer publiquement l'étendue de son ban: il "proclamait le ban". D'où l'expression convoquer le ban et l'arrière-ban qui, précise le Robert, "a pris le sens figuré de "s'adresser à tous ceux dont on peut attendre aide et secours". Il poursuit son explication de l'évolution sémantique de l'adjectif (et c'est JB qui souligne):
BANAL (…) Après la disparition du régime féodal, le mot s'est maintenu comme synonyme de "communal", surtout dans four, moulin banal (pluriel: banaux) jusqu'au XIXe siècle. ◊ Par extension, et par l'intermédiaire d'un sens non marqué qualifiant une personne qui se met à la disposition de tout le monde (1688), l'adjectif est passé au sens figuré actuel, "sans originalité, sans personnalité, à force d'être utilisé, vécu, regardé" (1798).

Bon, voilà pour l'approche diachronique sémantique, donc l'évolution du terme, qui nous permet de comprendre notamment pourquoi il y a un hic, un truc grammatical. À ce sujet, le Grevisse liste un nombre égal d'auteurs ayant recours à banals et banaux, dont Romain Rolland qui, le comble, utilise les deux d'une œuvre à l'autre.

Que faire, dès lors? Hum.
JB pourrait contourner le piège et écrire:
Inutile de s’empêtrer plus longtemps dans des bavardages d'une banalité confondante.
L'affaire serait faite et bouclée — et c'est marre.
Mais Dupré, dans sa toujours aussi impeccable Encyclopédie du bon français dans l'usage du français contemporain (1972) vient rappeler JB à l'ordre:
Beaucoup de Français, gênés par ces hésitations, évitent d'employer le masculin pluriel de banal, soit en remplaçant le nom masculin par un nom féminin, soit en disant: "d'une grande banalité". Il faut avoir plus de courage.

Fichtre et bigre!
JB, un peu parano sur les bords et les côtés, se sent visé, lui qui est pourtant d'une vaillance à toute épreuve.
Et Dupré poursuivait sa diatribe en ces termes, attention ça vole:
Suivons la règle absurde de l'Académie, pour ne pas être mal jugés par les demi-savants qui prennent les académiciens pour des législateurs; mais souhaitons qu'une normalisation intervienne bientôt et impose l'un des deux pluriels pour tous les cas.

Il faut dire, à la décharge de Dupré, que la 8e édition (1932-1935) du Dictionnaire de l'Académie n'était pas catégorique sur ce point et, par conséquent, laisse flotter un doute fâcheux. Sa 9e édition (en cours de rédaction depuis 1990) est désormais plus claire et ne porte plus à ambiguïté:
1. (Pl. Banaux, -ales). FÉOD. Qui était mis à la disposition de tous moyennant le paiement d'une redevance au seigneur. Un four, un pressoir banal. Des moulins banaux. Par ext. Accessible à tous. Forêt banale. Pâture banale. 
2. (Pl. Banals, -ales). Courant, ordinaire. Une affaire, une situation banale. Voilà un cas peu banal ! Par ext. Qui manque d'originalité, commun. Un visage banal. Son mobilier est banal. Une expression, des phrases banales. Des compliments banals. Subst. Évitez avant tout le banal.

Donc JB dira: des bavardages banals.
Mais il ne l'écrira pas. Non.
Entre-temps, il s'est dit que bavardages banals, en plus de créer une cacaphonie (oooh!) cacophonie avec ce retour de graphie en ba, induit une redondance pléonastique: un bavardage est, en soi, banal. Il va donc opter pour un autre adjectif et préférer:
Inutile de s’empêtrer plus longtemps dans des bavardages oiseux.


Or, si JB revient à Dupré et à ses commentaires au sujet de l'Académie, il remarque la phrase suivante:
Beaucoup de grammairiens sont de cet avis: Cayrou, Lanusse et Yvon, Martinon, Sudre…
Quoi? Un grammairien s'appelait Lanusse? Eh oui. Et il a surtout rédigé des grammaires scolaires, tant pour les enseignants que pour les élèves:



Lanusse, Ça ne devait pas être facile à porter tous les jours… Pourtant, c'est un nom bien courant, gascon, dont la répartition géographique est concentrée dans le Sud-Ouest:


En cherchant des informations sur le grammairien dont le nom complet était Jean Marie Maximilien Lanusse, qu'il avait lui-même réduit à Maxime Lanusse, JB est tombé sur ce curieux panneau indicateur:


Non content d'être un patronyme, Lanusse est aussi un toponyme. Et cela fait repenser à JB, rapport à la grammaire, rapport au curieux, qu'il a appris ce week-end les pluriels des mots allemands Anus et Phallus. Il ne les connaissait pas et est quasiment tombé à la renverse en lisant qu'ils donnaient respectivement, au pluriel, les formes Ani et Phalli. Du coup, JB imaginait le dialogue suivant, entre un proctologue et son collègue dermatologue:
— J'ai ausculté aujourd'hui trente ani, j'en peux plus!
— Et moi vingt-trois phalli, quelle plaie!

Sur ces mots banals et oiseux, JB retourne au travail. Babaille!

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