vendredi 4 décembre 2009

Frau Müller - Frau Herta Müller


Dans votre dernier livre, Atem-schaukel, qui sera prochainement traduit en français, vous êtes partie de l'histoire d'Oskar Pastior, un poète de vos amis qui avait été déporté dans un camp de travail en Ukraine et qui vous a longuement raconté son histoire. Vous partez des objets pour retracer l'expérience concentrationnaire. Pourquoi ce choix ?

Les objets sont tellement importants ! En tout cas quand on n'a rien, quand on se traîne dans le monde avec une toute petite valise. Dans un camp, tout est militarisé, contrôlé. On n'est plus un individu, mais un numéro. Or moins on a de choses, plus on définit les objets. Même le travail en devient un, même les matériaux à partir desquels on travaille, la pierre ou le charbon. On est dépossédé de soi-même et on doit se redéfinir. Les objets permettent cela. On en vient à les personnifier, pour se positionner soi-même.
Le premier choc d'une situation de coercition, c'est cette expropriation totale. Sous les nazis, les juifs devaient partir et tout laisser. Il faut se représenter ce que cela signifie d'être jeté dans le monde sans aucune protection. Les objets nous protègent, ils rendent notre vie supportable. Et en plus, ils ont la propriété singulière de nous survivre. Pensez aux tas de lunettes et de chaussures que l'on a retrouvés à Auschwitz. Ce verre, là sur la table, peut vivre plus longtemps que nous, si personne ne le casse. C'est un petit bout d'éternité. Ça me fait un peu peur, d'ailleurs. Quelquefois, je suis contente quand un objet se casse : il faut bien un peu de concurrence, dans la vie !


© Le Monde /Herta Müller

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