mercredi 19 janvier 2011

La crête (de coq) du punk

JB fait sa revue de fesses, øøøh, pardon… sa revue de presse matinale et apprend que le squat appelé Liebig 14 ou L14, sis au numéro 14 de la rue (= Strasse) éponyme, non loin du palais socialiste de JB, va être vidé. C'en est fini de 20 ans d'occupation, puisque l'immeuble a été squatté aux lendemains de la chute du Mur. Les promoteurs ont gagné, les autonomes doivent partir. Mais, indique le journaliste de la TAZ, les soutiens dont bénéficient le L14 seraient "énormes", à tel point que "des actions de protestation ont eu lieu devant l'Ambassade d'Allemagne à Londres". Diantre, s'écrit JB in petto. L'article est illustré par la photo suivante:


Mais qui es-tu, bel étranger? s'interroge JB toujours son for intérieur en s'adressant au punk au joli visage. Tu as une bien belle crête, lui déclare-t-il ensuite.
La seconde d'après, JB repense à cette réflexion lexicographique qu'il s'est faite il y a de nombreuses années. Le français parle de crête, l'allemand de Iro et l'anglais de mohawk. JB se demande donc: pourquoi chaque langue a-t-elle son terme spécifique? pourquoi passe-t-on d'une première nation (comme disent les Canadiens) à une autre pour désigner cette coiffure érigée, évoquant donc tantôt les Iroquois, tantôt les Mohicans, voire, tantôt les… Cherokee?


Puisque, première surprise, les langues tant danoise (confer l'image ci-dessus), norvégienne que tchèque (Číro, diminutif de Čerokýz) utilisent l'antonomase (= la substantivisation d'un patronyme, comme poubelle en français et sandwich en anglais, du nom de leurs inventeurs) cherokee pour désigner ce qu'en français on nomme la crête. La crête, ou crête de coq, est aussi employée dans les deux premiers idiomes (= hanekam) cités à l'instant, ainsi qu'en néerlandais (= hanenkam; hane signifiant coq dans les trois langues). Mais cette crête française est le diminutif de crête iroquoise et c'est par ce gentilé que les Allemands (= Iro), les Polonais (= Irokez) et les Russes (= Ироке́з) désignent aussi la coiffure. Le Wikipédia français prend le relais de cette explication lexicographique:


Enfin, ultime première nation à être convoquée dans cette désignation capillaire: les Mohicans, ou Mohawk en anglais, terme qu'utilisent également les langues espagnole (= mohicano), portugaise (= moicano), italienne (= moicano ou le mohawk anglais, la langue italienne ne rechignant pas aux anglicismes) ou suédoise (= hawk, par apocope). Les Suédois, ont également une terminologie très riche pour désigner les différents types de crêtes, ainsi que le Wikipedia suédois nous l'indique:


Or donc:
1) le deathhawk, ou la crête de la mort (hö!) est souvent porté par les gothiques et les psychobilly.
2) le trihawk comporte cinq pointes
3) le GG-Rhawk en comporte 5 et doit son nom à GG-Richard (quant à savoir qui est cet homme, ça…)
4) le crosshawk part non pas comme le veut la tradition du front pour rejoindre la nuque, mais traverse le crâne d'une oreille à l'autre.
À cet égard, JB apprend enfin qu'on qualifie de spike toute crête dont "les cheveux longs du milieu sont dressés et séparés “en pics”". Enfin, au rang des variétés tant capillaires que sémantiques, la langue anglaise n'est pas en reste, qui a éprouvé le besoin de fixer dans son lexique la richesse formelle du cheveu lui-même fixé et relevé sur le crâne rasé. C'est ici que ça se passe.

Car sinon, au quotidien, les Suédois emploient le même terme que leurs voisins scandinaves ou les Français, à savoir crête de coq, qu'ils appellent tuppkam, de tupp = coq et kam = crête. Et, en cherchant dans gougueule images les occurrences visuelles du tuppkam, qui désigne avant tout la crête du punk, JB tombe sur cette merveilleuse photo:


Et JB est doublement ravi par cette photo qu'il apprend également, grâce au Robert en 6 volumes que la locution Avoir la crête rouge signifie “être colérique”.


Ce recensement effectué, c'est l'occasion idéale, avant de passer à l'étymologie, de nous interroger sur l'orthographe de crête de coq puisque nous en avons deux spécimens réunis sous nos yeux.
Mais juste avant, allant vérifier les articles du Robert en 6 volumes, JB apprend également à sa grande stupeur que les crêtes de coq se mangent. Ça alors! Elles peuvent être cuisinées en pâté et on les appelle alors des béatilles (toujours au pluriel) - quel mot merveilleux! le TLF nous renseigne:


Les crêtes de coq peuvent aussi être "rôties, frites, à la broche, farcies". Qui donc cuisine encore des crêtes de coq de nos jours?!? Eh bien beaucoup de gens, mes petits amis, puisqu'une recherche quantitative dans gougueule nous donne… 35 500 résultats! "Par ma queue!" comme disait Papa Moumine, histoire d'employer un autre appendice.

Mais l'orthographe, donc
En français écrit, on ne confondra pas l'appendice surplombant la tête des gallinacés mâles et les excroissances d'origine vénérienne enlaidissant les régions intimes des humains quel que soit leur sexe biologique ou modifié.
Ainsi, une crête de coq désigne la huppe tégumentaire des coqs, puis la houppette sculptée des punks.
En revanche, la crête-de-coq, avec des traits d'union, s'il vous plaît, renvoie quant à elle à d'abord à une fleur appelée la rhinante, ainsi que nous le confirme le Littré:


… puis, attesté en 1834 (précise le Robert en 6 volumes), fait allusion aux "excroissances d'origine vénérienne", des papillomes dus à un virus, le papillomavirus, auquel font partie tant l'herpès, la verrue que, autre mot pour désigner la crête-de-coq: les condylômes.

L'un n'excluant pas l'autre, un punk peut donc parfaitement être simultanément pourvu d'une crête de coq et d'une crête-de-coq, celles-ci étant respectivement exécutées pour la première par un coiffeur, pour la seconde par un chirurgien. La nuance est… (c'est le cas de le dire!) de taille! Quant à savoir si la crête de coq peut être un trait d'union, ça, JB en est persuadé, lui qui a fait sienne la philosophie de l'amour entre les peuples. Pour ce qui est à cet égard, du trait d'union susceptiblement incarnable par le papillome, JB jettera un voile pudique. Mais.
Mais il montrera que la médecine connaît le mot depuis plus longtemps. Ainsi, le volume 6 du Dictionnaire de médecine de Nicolas-Philibert Adelon, publié en 1823 indique:


Une "excroissance syphilitique"? Mais ça n'a rien à voir!
Et ça c'est passionnant.

La syphilis, arrivée en Europe en 1494 avec les troupes de Christophe Colomb qui revenaient d'Amérique, a littéralement ravagé l'Europe avant de se disséminer en Afrique puis en Asie. Les formes prises au départ par la maladie, plus virulente, sont horribles en tous points et n'ont rien à voir avec la symptomatique actuelle: des pustules purulentes et pestilentielles recouvrent tout le corps, les cheveux tombent (certains affirment qu'on aurait là l'origine de la vogue des perruques), des parties du corps suivent le même chemin (paupières, nez, œil), les os et les articulations sont atteints, la démarche des personnes atteintes s'en trouve altérée, puis très vite l'atteinte neurologique devient totale et c'est la folie qui se déclare - le tout en un temps record, là où aujourd'hui il est question de dizaines d'années. L'ampleur de la propagation, la rapidité de sa dissémination, l'universalité de sa contagion (hommes comme femmes sont atteints, de même que religieux, soldats, nobles, enfants, bref: tout le monde), font de l'épidémie, en plus de sa transmission sexuelle, une horreur comme une terreur.
Si la maladie se transforme, elle regagne en virulence en ce XIXe siècle. Elle marque tant les esprits que le lexique en gardent les traces, à l'instar des cicatrices que la syphilis laisse sur les os. Il n'est donc guère étonnant que la médecine prenne en 1823 les condylômes pour une atteinte syphilitique. Ce que confirme le Dictionnaire des termes de médecine, chirurgie, art vétérinaire, pharmacie, histoire naturelle, botanique, physique, chimie, etc. de Louis Jacques Bégin, également publié en 1823:



Et ça aussi c'est passionnant: un "virus syphilitique". Il faut de fait attendre 1905 (à Berlin!) pour comprendre la syphilis n'est pas due à un virus mais à une bactérie, le tréponème pâle. Avant son traitement avec la pénicilline à partir de 1940, voici comment on soignait le mal. C'est l'ouvrage, publié en 1839 mais datant de 1740, La médecine, la chirurgie et la pharmacie des pauvres [sic: "pour les pauvres"], dont l'auteur présumé est Philippe Hecquet, qui nous l'indique — et on adore déjà les analogies légumières associées au mot:


JB ne va pas pousser le vice à confectionner un "onguent fait avec de l'huile de semence de lin et des jaunes d'œufs agités longtemps ensemble", mais il va y songer. En revanche, il s'interroge sur cet étrange syntagme nominal: pierre infernale. En consultant ses dictionnaires, il apprend que l'adjectif est utilisé ici par analogie aux feux de l'enfer et s'emploie dans l'alchimie. L'acception a été introduite dans la 4e édition du Dictionnaire de l'Académie:


Maintenant que nous savons tout sur les crêtes-de-coq, leur origine comme le traitement approprié pour nous en débarrasser,
nous pouvons dès à présent revenir à nos questions capillaires et nous concentrer sur le terme français crête puisqu'il est intéressant, en l'espèce, à maints égards et que nous n'allons décidément pas nous éloigner de l'anatomie intime. Le Robert historique de la langue française nous renseigne:
CRÊTE n.f. est issu (vers 1160) du latin crista, désignant une crête d'oiseau puis, par analogie, l'aigrette d'un casque, la dentelure d'une feuille, la crête d'un mont, etc. L'origine de crista est douteuse, mais il semble apparenté à crinis (-> crin).

JB n'aime pas ça. JB trouve toujours douteux qu'on lui dise qu'une origine est "douteuse". Il va vérifier dans le Gaffiot et trouve le pot aux roses (ou, pour rester dans la botanique, le gazon, qu'il fût maudit ou pas):


Pardon? La crête désignerait aussi le clitoris? Hein?!?!?
Certes. Mais chez Juvénal et son long poème où il décrit la décadence romaine (composé entre 90 et 127 après le désormais fameux JC, donc bien longtemps avant JB), les Satires, où il n'y va pas de main morte question érotisme et pornographie. Juvénal est célèbre encore aujourd'hui en français pour être l'auteur (dans les Satires) de cette phrase passée locution Et le passage en question est le suivant: "Mens sana in corpore sano" = "Un esprit sain dans un corps sain".
Le terme crista pour désigner le clitoris apparaît deux fois dans ces seize poèmes et, ainsi que nous l'indique le Gaffiot, dans le sixième. JB en cite un, d'abord en latin, puis en français:


Cependant, il semblerait que cette acception soit un hapax, c'est-à-dire un mot qui, dans le sens employé par l'auteur, n'apparaît qu'une fois, à savoir chez lui. Puisque, en latin, le clitoris se disait landica:


Ce qui toutefois, pour en finir là-dessus, est intéressant est l'emploi par Juvénal de crista, donc de crête, donc de mont, alors que le mot clitoris, qui nous vient du grec kleitorís, signifie… montagne. Il est certain qu'un regard ne fût-il qu'empirique sur l'excroissance féminine suffit à comprendre l'analogie.

Mais la crête en tant que houppette punk, donc. Quand apparaît-elle?
Il se révèle que les dictionnaires l'ignorent. Rien dans le Robert, rien dans le Larousse de l'argot et du français populaire, rien évidemment dans le Littré et rien dans le Larousse. C'est de la punkophobie, ma parole!
Mais le chouchou lexicographique de JB, il a nommé Pierre Merle, veille au grain et nous propose cette (comme d'habitude) superbe définition dans son Nouveau dictionnaire de la langue verte:
CRÊTE n.f. Par métonymie, jeune homme ou jeune fille héritier (tière) ou se considérant comme héritier (tière) de la vague punk (1975-1980) et arborant sur la tête une crête d'Iroquois, colorée ou non, généralement sucrée ou fixée au gel, avec tempes rasées. […] On dit aussi: un(e) iroquois(e), un(e) crêteux (teuse), un crêtu, ou, si c'est un garçon, un coq (parler ici d'une “poule” renverrait en effet à un tout autre registre).
Ha ha ha! Ce Pierrot, c'est quand même le roi de la définition!
Mais il va plus loin en nous expliquant:
CRÊTE DE OUF n.f. L'expression, au fond plus débonnaire qu'insultante, fut entendue à plusieurs reprises par l'auteur, et pour la dernière fois le 16 avril 2007 devant le Forum des Halles où devisaient, dans leur succulent parler, une demi-douzaine de jeunes garçons apparemment désœuvrés. La crête peut naturellement faire référence à la coiffure du punk ou du post-punk. Il peut aussi s'agir de l'apocope du mot “crétin”. On aura d'autre part compris que ce “ouf”-là est le simple verlan, bien peu inventif au demeurant, de “fou”.

À quoi fait référence Pierrot quand il parle de "la coiffure du […] post-punk"?
Fait-il allusion au fauxhawk, donc à la fausse crête?


Fausse ou vraie, toujours est-il que la crête du punk a exactement la même acception et renvoie à la quasi même réalité que la "touffe" des casques romains empanachés dont nous parlait le Gaffiot.
Sauf que.
Visiblement, elle fait référence, donc, à la coiffure que portaient certaines premières nations. Mais lesquelles? Les Mohicans? Les Iroquois? Ou bien les Cherokees?
Il semble en tout état de cause que les Mohicans l'emportent. Et James Fenimore Cooper, qui s'y connaissait à leur sujet puisqu'il a écrit (en 1826) à propos du dernier, est un bon témoin. Effectivement, dès le troisième chapitre (et c'est JB qui souligne), il parle de notre crête chérie:
The former [= un Mohican] was seated on the end of a mossy log, in a posture that permitted him to heighten the effect of his earnest language, by the calm but expressive gestures of an Indian engaged in debate. his body, which was nearly naked, presented a terrific emblem of death, drawn in intermingled colors of white and black. His closely-shaved head, on which no other hair than the well-known and chivalrous scalping tuft was preserved, was without ornament of any kind, with the exception of a solitary eagle's plume, that crossed his crown, and depended over the left shoulder.
Rien que pour M., JB reproduit une gravure insérée dans l'édition américaine de 1896:


Et on peut admirer ici l'altière stature d'un chef mohican peint par Joseph Brant, lequel chef ne déparerait pas dans une soirée oï (et ailleurs aussi, se dit JB):



Néanmoins, la question demeure. Pourquoi les Français parlent de iroquois et les anglais de mohicans? À ce que JB sache, les deux premières nations étaient alliées des Anglais contre les Français pendant les guerres qui les ont opposés en Amérique. Mais les Iroquois portaient eux aussi la crête. Hum. JB trouve une réponse:


C'est Dylan Jones, le savant de la couèffe et autres frisures (confer son ouvrage Haircults, en français Coupes et looks) qui prétend que l'appellation est erronée. Voire:


Ce que nous savons désormais, c'est que Mohicans et Iroquois sont de la même famille et qu'ils sont crêteux les uns comme les autres. Voilà un autre problème de résolu. Aussi, pour fêter ça, et rien que pour ses petits amis, JB a déniché sur des pages pédagogiques canadiennes le dessin d'un Iroquois où la crête est bien mise en valeur. Le dessin a cela de particulier que les petits nenfants peuvent le colorier. Les petits amis de JB peuvent donc faire pareil, non sans avoir au préalable imprimé le motif:



Toute cette histoire, pour JB, c'est le pompon, s'il ose dire. Car il en apprend de belles. Il apprend que les punks existaient déjà à l'époque des Grecs. Mais siii!!! On les voit d'ailleurs représentés sur le fameux Disque de Phaistos, découvert en 1908 et daté du IIe millénaire avant JC, donc du IVe avant JB:


Et alors là, mes petits amis, ce disque, il en a fait couler de l'encre. JB renvoie tout bonnement et paresseusement à l'article de Wikipédia, mais il souhaite reproduire la thèse qui explique la présence du keupon puisque, et JB l'a surligné:


Mais les scientifiques n'y sont pas et JB a l'explication. Où le disque de Phaistos a-t-il été trouvé? En Grèce, certes. Mais où, en Grèce? Bingo: en Crète.
Mais siii!!! La Crète. La Crète et la crête. C'est parce que les Crétois portaient la crête qu'on a baptisé ainsi leur île. Toutefois, l'orthographe française étant ultraprécise, elle a éprouvé le besoin (datation non-connue) de distinguer le panache capillaire de la terre insulaire (comme elle l'a fait avec la préposition adverbiale sur et l'adjectif sûr(e) qu'elle a doté d'un accent circonflexe pour le différencier du premier). Et la merveille linguistique ne saurait être complète si on soulignait que nous avons encore affaire à une antonomase!

Toutefois, il y a mieux encore!
En effet, on a retrouvé en 2003, à Conyclavan en Irlande, une momie. Conservée dans une tourbière (il y en a beaucoup au Danemark) et datée grâce au carbone 14 à une période allant de 392 à 201 avant JC. Or cet homme avait un signe particulier. Très particulier. On regarde sa tête :


Mais oui, il a une crête! L'homme de Conyclavan était un punk!!!
Et ce n'est pas tout! Il employait du gel pour faire tenir sa crête. Siii! Vé-ri-dique. Un gel en résine:


Donc plutôt que du gel ou de la laque ou tous ces vilains produits qui mettent Dame Nature à mal, JB propose à tous les punks et les punkettes de faire comme l'homme de Conyclavan et d'avoir recours à la résine de pin. Allez, tous dans la forêt.
Mais avant, on écoute ces bons vieux lurons de Ludwig von 88 qui nous chantent Les iroquois aux cheveux verts. Ugh!

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