Et elle l'a emmené où, cette balade? À Beelitz, là où on récolte à partir du mois d'avril jusqu'au 24 juin les meilleures asperges du monde — mais ce n'étaient pas les champs d'asperges que JB est allé contempler. Non, mais le Beelitz-Heilstätten, un ancien hôpital pour tuberculeux construit entre 1880 et 1930 (non que JB soit encore tuberculeux, ça va, merci). Le sanatorium constitue un complexe gigantesque, en pleine forêt, dont une toute petite partie seulement a été réhabilitée en centre neurologique post-cure. Mais le gros des constructions est à l'abandon, dont l'intérieur est majeure partie inaccessible pour éviter les dommages que le squat et le vandalisme ont occasionnés depuis la chute du Mur. On peut voir des photos ici.
De fait, les bâtiments ont beaucoup souffert des destructions consécutives à la Seconde Guerre mondiale et Arno Specht, l'auteur du guide que JB avait emporté de déclarer: "(…) en punition, peut-être, que le blessé de guerre Adolf H. y a soigné aux lendemains de la Première Guerre mondiale? Toujours est-il que, en l'occurrence, les plus mauvais médecins du Beelitzer-Heilstätten, aurait épargné à l'humanité beaucoup de misères…"
Toutefois une partie des bâtiments ont continué d'être utilisés par les Soviétiques comme hôpital militaire et, grâce au Wikipedia allemand, JB apprend qu'Erich Honecker y a été soigné de son cancer du foie (et JB de se poser la question si Honecker avait une hépatite C et, auquel cas, comment il l'a contractée - bref), avant de fuir à Moscou avec son épouse le 13 mars 1991:
Quoi qu'il en soit, devant le pavillon de chirurgie, JB voit ça:
© icke
Mais qu'est-ce que c'est que ça? se demande JB.
© icke
Mais c'est un pistolet! Voire: un pipistolet, histoire de ne pas le confondre avec son cousin le revolver.
Et la question que se pose immédiatement JB, là, devant le pavillon de chirurgie désaffecté et en ruines est: pourquoi le pipistolet est-il dénommé d'après le pistolet?
Et l'explication que JB est uniquement en mesure d'apporter, là, devant le pavillon de chirurgie désaffecté et en ruines, sans son matériel de lexicographie et de linguistique (sans quoi, s'il trimballait ses dictionnaires en balade, il serait vraiment sinoque) est: Marie Laforêt connaissait déjà la vérité quand elle chantait en 1973 La bague au doigt. JB cite et souligne:
J'ai tout ce qu'il faut pour rendre un homme heureux
J'ai de la patience et de l'esprit pour deux
J'ai bon caractère et ne me plains jamais
Mais cesse de jouer avec ton pistolet.
Une fois rentré dans son palais socialiste, JB se précipite sur son Robert historique de la langue française. Il apprend que le mot pistolet est dérivé de pistole, "emprunté (1544) à l'allemand Pistole, lui-même emprunté au tchèque píšťala “sifflet, flûte”, puis, par analogie de forme “arme de feu portative” (la même langue nous a donné obus)."
Et JB de se demander pourquoi le tchèque exporte deux mots relatifs aux armes. Vérifiant l'étymologie de obus, le Robert lui indique que "le composé signifie d'abord “catapulte” et se répand au moment des guerres contre les Hussites". Aha. Et les guerres contre les Hussites? Wikipédia prend le relais:
Bon, un problème de réglé.
Maintenant, celui qui nous occupait: le pistolet et le pipistolet.
JB baisse les yeux sur l'explication du Robert.
Pistolet désigne une arme à feu courte et portative. [Ouais, bon, d'accord.] Le mot, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, est concurrencé par revolver, employé à tort. [OK.] ◊ Ultérieurement, il a développé le sens figuré et familier de “personne bizarre, peu recommandable” (1829, drôle de pistolet) et diverses valeurs analogiques. [JB adore et la ressortira, celle-là: "Ce type est décidément un drôle de pistolet!"] ◊ Par analogie de forme avec l'arme, il désigne un bossoir courbe [bon, on pige déjà plus rien] servant à hisser ou à amener les embarcations (et d'abord l'arc-boutant sur lequel s'amarre la misaine, 1831) [c'est de mieux en mieux!], un instrument de tracé (1842) et un petit pain rond à la croûte lisse (1852) surtout en français de Belgique. [Bla, bla, bla…] ◊ Par analogie de forme de fonctionnement [encore "par analogie"?!?], il sert à désigner un pulvérisateur à main (1924), notamment dans peinture au pistolet.
Et c'est tout! Et c'est un scandale. Le Robert ignore avec un mépris crasse le pipistolet. C'est de la pipiphobie. Mais que fait Act Up-Paris?Comme Act Up-Paris ne fait rien (tautologie?), JB va consulter le Littré. Là, oh rage, oh désespoir, oh armurerie ennemie, idem: rien sur le pipistolet. Voire, affront scandaleux, le Littré ajoute un article supplémentaire aux neuf autres qui concernaient déjà le sémantisme du pistolet, mais ignore toujours autant le pipistolet.
Vexé comme un pou, JB va voir dans le TLF et, là, il trouve:
Un urinal? Ça se dit? Mais JB l'ignorait com-plè-te-ment!!! Pourquoi la vie lexicographique et sémantique a-t-elle caché à JB pendant tant d'années ce secret? Le dictionnaire vient de révéler "la fleur de son secret" (¡hola Pedro!). JB fonce fissa à l'urinal (façon de parler, hein):
Mais oui. Urinal se dit. Urinal se dit et s'emploie depuis des lunes et des lustres. Attesté depuis le milieu du XVe siècle, même! Ça alors… Mais, à cet égard, le Littré est plus précis encore, qui atteste un orinal dans les années 1200. Les dictionnaires réservent décidément des surprises.
De fait, JB découvre que le terme est recensé dans le tout premier dictionnaire de la langue française, celui de Nicot:
De même, Furetière en fournit une explication fort détaillée dans son Dictionnaire Universel de 1727:
Décidément intrigué, JB entame une enquête sur l'urinal. Et il en trouve des vertes et des pas mûres, mais surtout des liquides, concernant l'urinal. Il apprend en fait que l'observation de l'urine a servi pendant très longtemps de diagnostic aux médecins, ainsi que un site consacré à l'histoire de la pharmacie le lui révèle. C'est ce qu'on appelait l'uroscopie:
Ou cette gravure, extraite d'un manuscrit du XVIe siècle intitulé sommairement mais judicieusement Sur les urines dont nous parle doctement l'Université de Virginie:
Ou enfin celle-ci, du XIVe siècle et anglaise:
A priori, l'uroscopie a à ce point amusé les gens qu'il existe moult satires et blagues sur le sujet. En voici une, datant de 1693 et tirée de Historiettes divertissantes tirées de Guichardin et d'autres auteurs avec plaisanteries et divers dialogues en italien et en françois (ouf!), ouvrage écrit par un dénommé… Pompa (ça ne s'invente pas!), et dont JB souhaite absolument faire profiter à ses petits amis:
Ha ha ha! Qu'est-ce qu'on se dilate la rate!
Mais revenons aux choses sérieuses. L'épatant site sur l'histoire de la pharmacie nous expliquait également que le patron des médecins, Saint Côme, est représenté avec un urinal à la main:
Tiens tiens…, se dit JB, on retrouve la matula latine dont parlait Nicot. Bizarre bizarre. JB décide de, ni une ni deux, vérifier dans le Gaffiot. Et là, il tombe sur le… non pas pot de chambre (quoique…), mais le pot aux roses. Puisque voici ce qu'indique le dictionnaire latin
Car qu'est-ce qu'on lit? Le troisième sens de matula n'est autre que: “homme niais, cruche”. Or quel sens a donné le mot pistolet, ce sens que JB adore??? Il le donne en mille à ses petits amis et le leur rappelle en citant cette fois le Littré:
Bingo!
Et si les deux sens ne sont pas tout à fait synonymes, on assiste dans les deux cas à une formule dépréciative et moqueuse qui partent d'un terme dont le sens est identique: celui du pot de chambre. Quant à la cruche synonyme, JB a déjà glosé sur sa fortune sémantique et comment le terme a fini par désigner un individu idiot. Histoire d'être bien sûr de ce qu'il avance, JB va d'abord vérifier dans le Lexique étymologique latin-français de Ferdinand Jacob (1883), où il trouve même quelques précisions:
Le sens est "injurieux" tout comme le sens de pistolet est "familier".
Et JB recopie du coup ce qu'expliquait le Dictionnaire Robert historique de la langue française par rapport au mot cruche:
◊ Le mot désigne un récipient à anse et, en Suisse, une bouillotte. Par métonymie, il se réfère au contenu d'une cruche, empiétant sur le sens de CRUCHÉE n. f. (v. 1220) aujourd'hui quasiment sorti de l'usage. Par un développement métaphorique analogue à celui de pot, casserole, cruche réalise l'idée désobligeante d'un "manque de finesse", s'appliquant comme nom (1633) et comme adjective à une personne ignare et niaise.
En conclusion: urinal, pistolet, imbécile = même combat.
Mais notre pipistolet, au fait, il vient d'où? et de quand?
Le TLF date le sens à 1913 en renvoyant à Gaston Esnault et son Dictionnaire des argots dont JB s'empare sans perdre un dixième de seconde:
PISTOLET n.m. Urinal (hôpitaux, 1913), dit ultérieurement revolver (argot des soldats, 1917). Étymologie: Image de forme.
Ainsi donc, comme dans toute l'histoire du mot pistolet, les sens se sont formés à partir de l'analogie (JB insistait là-dessus plus haut). C'est l'observation de l'objet qui a donné lieu à l'association sémantique. De la même manière que les médecins miraient l'urine des patients. La boucle est parfaitement bouclée.Et, en guise de conclusion, JB ne résiste pas au plaisir de présenter cette parodie norvégienne d'une chanson indienne de Lata dont les paroles en hindi signifient véritablement, et à l'identique, des mots norvégiens. Pas pas n'importe lesquels. Aussi, pour que ses petits amis ricanent eux aussi, il va traduire en bas. Mais on écoute d'abord:
Ce qui nous donne:
Conne, conne, conne / Qu'est-ce qu'elle est conne, cette chemise de nuit pleine d'urine / Touche-la, touche-la donc, cette chemise de nuit pleine d'urine / Nous deux sur le lac, dans le parc, qu'est-ce qu'on s'ennuyait / Est-ce que tu as autre chose à me donner, mon caca? / Oui? Encore plus? / Cent méchants Polonais brûlent l'arrière-cour / Qu'est-ce qu'elle a dedans? / Conne, conne, conne / Qu'est-ce qu'elle est conne, cette chemise de nuit pleine d'urine…
1 commentaire:
Ah, merci, maintenant j'ai compris!
Dazu hören wir die Lokalmatadore:
"Wenn et sein muss sing ich übern Pisspott...yeah"
Enregistrer un commentaire