Et JB, qui s'était couché hier soir en s'étonnant du brouillard épais qui rendait la visibilité quasi nulle, se réveille en constatant que ce même brouillard non seulement n'a pas quitté Berlin mais s'est également insinué dans sa traduction puisque le mot ouvre la première phrase qu'il doit traduire:
Dehors le brouillard est impénétrable.
De fait: plus la lumière s'intensifie, plus le brouillard s'épaissit. Le givre forme une second peau sur les arbres et les arbustes à tel point qu'on en viendrait presque à se demander si, par endroits, il ne s'agirait pas de neige.
Et si JB est réellement dans le brouillard, il ne sait pas s'il est symboliquement dans le brouillard et préfère de toute façon jeter un voile pudique sur cette question. Ce qu'il sait, en revanche, c'est que par un tour de passe-passe comme seul son cerveau emberlificoté sait lui en jouer, il se réveille avec Hangin' On, de Dame Patsy Todd dans la tête:
Et JB est doublement surpris d'entendre ce morceau sorti en 1969 dans sa tête compliquée qu'il ne l'a pas écouté depuis le 20/01/11, lui indique son mange-disques électronique. Cette chanson qu'il adore et qui est en fait une reprise de Just Enough to Keep Me Hanging on de Cher, qui date de cette même et grandiose année 69, année de révoltes et rébellions et révolutions puisqu'elle marque la naissance d'abord, en juin, à New York, de la première vraie révolte des homos; en Angleterre, celle de la culture skinhead (300 singles de reggae sortent outre-Manche en cette seule année!); enfin, dans la Rance, où le petit JB pousse son premier cri. Et il le pousse le soir tard sans savoir que, de l'autre côté de l'Atlantique, la police américaine fait un raid dans le bureau du parti des Black Panthers:
JB ne sait encore rien de tout cela ni que Angela Davis deviendra plus tard l'une de ses icônes. Grâce à l'INA, on la revoit dans un petit reportage dont JB a fait 4 captures d'écran, et pas n'importe lesquelles:
Toujours est-il qu'en cette année 1969, Patsy Todd fait une reprise de la chanson de Cher, que voici:
Et, 4 années plus tard, en 1973, David Isaacs offre lui aussi sa reprise, si douce et presque nostalgique, aux accents résolument reggae, produite par les Upsetters de Lee Perry:
Tant et si bien que, en se réveillant dans le brouillard mais avec une chanson sortie en cette année de rébellions, JB se dit qu'il commence bien la semaine: dans les révoltes. Sur ce, il souhaite une belle journée à tous ses petits amis.
lundi 31 janvier 2011
dimanche 30 janvier 2011
Le cuir et le bougre
Et JB, en ce dimanche où il neige sur Berlin, traduit la phrase suivante:
Pensant aux ours en peluche qui, s'ils n'étaient en pleine hibernation dans leur grotte française, feraient aussitôt la révolution après avoir lu cette phrase qui leur aurait préalablement arraché des larmes amères — ils se seraient donc rebellés, par exemple en procédant à une fessée en bonne et due forme telle celle-ci, que JB a dénichée sur un site accumulant les photos pour garçons sensibles que lui avait envoyé M. en décembre dernier:
Et, à l'époque, voyant cela, JB n'avait pas manqué (outre de penser qu'elle serait "agréable aux yeux" de M., pour paraphraser une expression que M. adore employer et que JB adore lire) de réagir et de sourire puisque l'auteur de cette gravure n'est autre que Theodor Kittelsen, que JB connaît sur le bout des doigts puisqu'il est LE grand illustrateur norvégien des contes d'Asbjørnsen et Moe. JB avait trouvé sensationnel ce détournement homophile d'une illustration a priori innocente et avait vu là le grand talent de ses comparses: débusquer l'inconscient homoérotique des images (mais aussi des paroles), ce sur un mode toujours joyeux, bref: toujours gai — que l'adjectif s'écrive avec un I ou un Y.
Et si ce n'est pas de cela que JB voulait parler dans ce post, mais bien du processus de traduction, il se rend compte au fil de ses recherches d'abord lexicographiques puis linguistiques, à quel point ces dernières reviennent irrémissiblement à l'image reproduite supra et à l'allusion qu'elle induit.
Car le mot qui a valu l'écriture de ce post est évidemment le verbe écharner qui, nous explique le TLF, signifie:
JB a longuement hésité avant de l'employer. Comme ses petits amis le savent, employer des termes trop techniques dans ses traductions littéraires le rebute: le technique tue la littérature, à moins que le terme choisi ne soit employé dans le texte original pour justement créer un effet poétique.
Puis JB s'est dit que les lecteurs connaissent décharner, que les lecteurs ne sont pas idiots, qu'ils reconnaissent la chair qui sert de racine (de… chair!) au verbe écharner.
De plus, dans ce roman de Sara Stridsberg, l'écriture procède d'une accumulation d'allitérations et d'assonances ainsi que d'un décalage, que celui-ci soit syntaxique, lexicographique ou narratif.
Ouh là là, ça c'est un peu compliqué. JB explique.
Le décalage lexicographique consiste pour l'auteure suédoise à former des syntagmes qui sont des oxymorons, c'est-à-dire à associer des termes qui, dans leur signification, ne vont pas ensemble. Cela revient pour elle à écrire: "la lumière dégouline" (et on voit et lit les assonances et allitérations). L'image inconsciente qu'a un locuteur du mot lumière est positive: la lumière, c'est le soleil, l'inverse des ténèbres, le beau temps, ce vers quoi on lève les yeux avant de les fermer de satisfaction. Dégouliner, en revanche, c'est flasque et gluant, c'est massif et anarchique, c'est du surplus qui pollue, c'est négatif.
De la même manière, le décalage syntaxique consiste à associer des phrases sur le même principe. Par exemple:
Ici, donc, même chose que pour le lexique.
La phrase est composée de deux principales indépendantes, reliées par la conjonction de coordination dont le rôle consiste quant à elle à appuyer l'oxymoron, à introduire un rapport logique là où il n'y a assurément pas de cohérence. De fait, la première principale décrit une réalité dégoûtante (confer les adjectifs, confer l'emploi du substantif masse) rehaussée ici encore par l'emploi des allitérations et des assonances. La deuxième principale tend pour sa part vers le positif: elle est ponctuée par le mot désir, l'idée étant ici d'aller vers son rêve, de retrouver ce en quoi on a foi et qui nous rend(rait) heureux — et ce bien qu'il y ait un doute sur les moyens pour y parvenir.
Le décalage narratif enfin puisqu'on passe inlassablement soit d'une période à une autre, d'un personnage à un autre, sans qu'ils aient là encore a priori de cohérence entre eux.
Fort de ce principe d'écriture, JB a décidé d'employer malgré tout le verbe écharner. Pourquoi?
La situation est la suivante: le personnage, une jeune fille mineure, vient d'accoucher. Cela s'est mal passé, elle ne cesse de saigner, la sage-femme a dû lui "frotter et gratter et triturer" l'utérus pour en ôter les restes de placenta. Elle va mourir, même si on le sait pas encore. Écharner, enlever les chairs, c'est donc aussi ce qu'elle a dû endurer. Écharner, c'est que fait le père de l'enfant et le compagnon du personnage, et il le fait, dit-il, "pour ses beaux yeux" à elle. Pardon? Écharner pour les beaux yeux de quelqu'un? Le voilà l'oxymore. La voilà l'absence de logique qui vient rehausser l'horreur de la situation, elle-même rehaussée par l'allitération en N et l'assonance en Ê — d'autant que, dans ce roman, la neige est un symbole positif: c'est la pureté, l'immaculé, l'innocence, cette innocence que la jeune fille (12 ans!) a perdue parce que exploitée (dans tous les sens du verbe) pour sa beauté de fillette.
Voilà donc pour le résultat du processus de traduction.
La seconde explication consiste alors pour JB à détailler comment il en est arrivé là.
Le verbe qu'emploie l'auteur est skura ren, littéralement: récurer (= skura) pour arriver au propre, au pur (= ren). Récurer aurait donc dans un premier temps fait l'affaire. Mais non. En quoi?
Pour cela, JB va utiliser les moyens que lui donnent la linguistique et étudier les collocations, les cooccurrences et la proxémie du verbe qui, dans le cas de l'écriture de Sara Stridsberg, se révèlent un outil hyperprécieux. C'est un peu compliqué et JB explique là encore.
Les collocations désignent, pour un mot (qu'il soit substantif, verbe ou adjectif), les autres mots avec lesquels il est systématiquement associé que ce sot d'un point de vue syntaxique ou sémantique. Voyons ce qu'il en est pour le mot désir dont on parlait plus haut:
Les cooccurrences, elles, se rapportent aux mots (toujours: quels qu'ils soient) qui sont susceptibles d'être associés dans un même contexte, que l'on peut retrouver dans une même phrase, qu'ils soient synonymes ou antonymes. Voyons ce qu'il est pour désir:
Enfin, la proxémie étudie quant à elle la proximité de sens des synonymes entre eux. C'est la hiérarchisation sémantique des synonymes. On reprend l'exemple du désir:
Ces outils, autrement dit, le traducteur peut s'en emparer en ce qu'ils vont l'aider à cerner un champ lexical (c'est leur fonction: étudier les champs lexicaux) et, peu à peu, trouver le mot juste adapté aux conditions inhérentes à l'écriture de l'écrivain(e): que celles-ci privilégient le lexique, la syntaxe, la narration, voire, pour le cas de Sara Stridsberg, les trois à la fois.
De fait, pour JB, il s'agit de montrer en quoi récurer ne convient pas dans la phrase traduite supra, de montrer en quoi l'association que le lecteur a du verbe récurer ne va pas dans le sens (la direction) ni le sens (la signification) de la phrase. Le présupposé de départ étant que récurer est un verbe du champ lexical domestique et ménager, qui concerne le foyer et la cuisine. Le présupposé de départ étant que le sémantisme de récurer, qui va vers l'action de nettoyer à fond, purifier (comme l'indique le verbe composé suédois employé par Sara Stridsberg), est débarrassé de son sens possible par l'emploi, par l'usage, donc indirectement par les cooccurrences.
Que nous dit la proxémie? Puisque, quand un traducteur va chercher le mot idéalement exact, il vérifie dans son sens, puis il cherche le synonyme le plus adapté. La proxémie de récurer est la suivante:
On le voit, on est bel et bien dans le domaine ménager: astiquer, frotter, brosser, décaper. Les synonymes les plus proches étant nettoyer et décrasser. Et on voit bien que purifier est encore plus loin. Dans tous les cas, le verbe n'est adapté ni au nettoyage d'une peau d'animal, ni au frottis consécutif à un accouchement — JB parle ici à partir d'un pur point de vue lexical.
Si les verbes récurer et nettoyer ne sont pas enregistrés dans le dictionnaire des collocations, ils le sont en revanche indirectement dans celui des cooccurrences:
Et donc, si on en doutait, on voit bien que récurer concerne le domaine de la cuisine et nettoyer celui du ménage. Dans le deux cas, comme c'était l'intuition et le présupposé de JB, le domaine domestique, du foyer.
Que fait alors JB?
Il va chercher un lexique de la peausserie, laquelle concerne le travail des cuirs et des peaux. Le but étant pour lui, qui ne sait pas encore qu'il va employer le verbe écharner, de trouver le mot qui correspond le plus à ce que fait le personnage (en tant que traducteur, JB est astreint au devoir de fidélité); le mot qui, du point de vue de la proxémie, sera le plus proche de récurer/purifier; qui, du point de vue des cooccurrences tant syntaxiques que narratives, s'adaptera à l'énoncé de la phrase et à son contexte (ce qu'elle dit et ce qu'elle sous-entend); et enfin qui, d'un point de vue poétique et rythmique (confer les assonances et allitérations) tout autant que sémantique (confer les collocations) conviendra au final.
Sur ce site, JB va trouve quelles étaient autrefois les opérations successives de l'élaboration du cuir:
Et c'est là qu'il voit écharnage. C'est exactement ce que fait le compagnon du personnage dans le roman. Dans écharnage, comme JB insistait plus haut, il y a le mot chair — JB ne va pas se répéter, il a déjà expliqué.
JB va ensuite vérifier dans un autre lexique/glossaire si le verbe écharner n'existe pas. Bingo — voici les collocations verbales de cuir, donc les différents travaux qui procèdent à l'élaboration du cuir, de la peau d'animal:
Et voilà, c'est fini: JB sait qu'il va employer le verbe écharner.
Or, dans cette liste, JB aperçoit une multitude de mots qu'il a inconsciemment fréquentés dans sa jeunesse et son enfance, lui qui allait au lycée dans une ville dont l'activité économique était la chamoiserie: l'équipe de foot en garde la trace puisqu'elle s'appelle les Chamois niortais, de “chamoiser le cuir”; la toponymie en garde elle aussi la trace puisqu'il existe là-bas un Quai de la Mégisserie, de “mégisser le cuir”.
Avant de reprendre son travail, JB s'offre une petite distraction, se souvenant qu'à la même époque que l'ours fessant l'humain, il avait appris, question cuir, qu'on parlait dans l'industrie de la chaussure de “cousu norvégien” — et il avait été ravi de constater que son "pays de travail" s'illustrait une fois encore. Il avait même fait une capture d'écran du “montage” (c'est le terme technique en usage) en question:
Et ce n'est pas tout, toujours rapport à la faculté qu'ont les garçons sensibles de débusquer l'inconscient homoérotique des images mais aussi des paroles, puisque JB se rend compte que Paraboot® (la "grosse pompe" (comme on disait alors!) à la mode chez ces derniers dans les années 90) fait maintenant des collections très, mais alors très ciblées:
Bref. JB va donc se perdre dans l'origine de ces mots du travail du cuir. Et surtout de ce verbe qui ne cesse de l'étonner: mégisser, dont le TLF lui indique qu'il est synonyme de mégir:
Là-dessus, JB s'interroge évidemment sur l'étymologie. Le même TLF précise que le mot remonte à 1430, du moyen français mesguichier. JB va chercher dans le Dictionnaire du moyen français, ne trouve rien, fait une recherche alphabétique et tombe cette fois sur:
Voici donc avec quel mélange on mégissait les peaux.
Or, en haut à droite, JB aperçoit une étymologie qui rapporterait le nom au latin medicari. Il ne faut pas être grand clerc (même en 2011 et non plus en 1430), pour voir qu'on est face à un terme de médecine.
JB est définitivement intrigué, sa curiosité est définitivement piquée (un peu comme lui, quoi). Un peu avant mégis, il trouver le verbe meger. Et là, bingo:
Ainsi donc, parce que la fonction du médecin était de méger, donc de traiter, ce traitement a fini par désigner également celui des peaux, d'où le mégissage, ce traitement en particulier du cuir, d'où le Quai de la Mégisserie, ce dernier substantif étant à la fois, nous dit le TLF, l'"industrie et [le] commerce des peaux mégissées et, par métonymie., [le] lieu d'exercice de cette activité".
De fait, en ancien français, celui que nous qualifions aujourd'hui de médecin s'appelle alors mege, comme l'indique Wikipédia:
Un substantif que le TLF connaît encore:
Mège, subst. masc., vx. Synon. de médecin. Région. Synon. de charlatan, médicastre. En soignant ses douleurs avec des herbes, des pommades de son invention, il avait acquis par toute la Camargue, de Trinquetaille à Faraman, une grande célébrité de mège guérisseur, surtout pour les fièvres et les rhumatismes (Daudet ds Lar. Lang. fr.). Des moralistes s'inquiètent de voir tant de sots et d'ignorants se mêler de soigner, tant de «mèges» (médecins) incapables qui, ne sachant même pas panser une blessure, s'aventurent à opérer (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p.87).
Toutefois, le mege, comme il est précisé, est devenu très vite, en moyen français, un charlatan — et c'est JB qui souligne:
Mais il y a mieux. Une megeresse, qui n'a rien à voir avec la mégère (ainsi nommée d'après l'une des trois Furies, les déesses de la vengeance), c'est en moyen français:
Et JB se souvient que, à l'époque du moyen français, on féminise les professions sans que cela pose un problème quelconque. On parle par exemple, dans le même domaine, de le rebouteresse, le féminin du rebouteur/rebouteux.
De même, on sait que les femmes n'étaient à l'époque pas (encore!) exclues de l'exercice de la médecine. C'est notamment Jean Louis Brau, dans son ouvrage La sorcellerie (1986), qui nous renseigne:
C'est uniquement lorsqu'on a commencé à fixer l'orthographe du français, qu'on a décidé de supprimer la féminisation des professions — période qui correspond à l'exclusion des femmes du monde professionnel.
Toujours est-il que, et on le voit plus haut, les femmes soignaient les enfants. Mais ce qu'on lit également, c'est le mot mire. Puisque c'est ainsi qu'on appelait à l'époque les médecins:
Et une femme médecin (on voit bien que le français de 2011 empêche le mot médecine, certes à cause du mot médecine et de l'ambiguïté que la coexistence susciterait, mais pas seulement — ce qui n'était pas le cas au Moyen Âge puisque la médecine désignait aussi la “femme du médecin”, comme quoi la règle qui a prévlu plus tard et derrière laquelle se retranchent aujourd'hui les Académiciens ne tient pas) — cette femme médecin s'appelait… gagné, miresse:
Et le Musée de la Médecine de Paris de nous le confirmer:
Quant à JB, il est ravi. Lui qui, il y a pile une semaine, expliquait à ses petits amis l'origine du pistolet et de l'urinal et racontait tout de la science de l'uroscopie retombe le dimanche suivant sur ses pieds. Quel bonheur!
Mais laissons les mires et les miresses et revenons aux meges et aux megeresses et au mégissage (on pourrait cependant, dans un avenir proche, revenir sur les très nombreux dénominations qui désignent les médecins en ce Moyen Âge).
Revenons au cuir qui faisait l'ouverture de ce post. Puisque JB parlait des garçons sensibles, qu'ils aiment les ours (en peluche ou pas), le cuir (la peau naturelle ou la seconde peau) et les pompiers (de métier ou de hobby), les bottes et les chaussures (en montage norvégien ou pas).
De fait, pour beaucoup d'entre eux, dès les années 1960 mais encore aujourd'hui, le cuir représente un élément sinon un instrument de la panoplie (JB ne choisit pas ce mot au hasard, qui fait penser au déguisement) de ceux qu'on appelait dans les années 1970 les clones. Celui qui l'a le mieux représenté n'est autre que Tom of Finland, dont JB parlait en décembre dernier à propos de Lee Majors et du navet pseudo-viking dans lequel il a tourné pendant cette même décennie 70 (et qui est le 4e article le plus lu du blog tatoué et fumeur! dingue!).
Rien que pour ses petits amis, JB reproduit deux spécimens cloniques du finlandais émigré chez les Yankees qui, comme d'hab chez Touko Laaksonen (son vrai nom), exhibent leur anatomie nullement hypertrophiée (pas une seule seconde!!!) avec une désarmante décomplexion:
Mais avant lui, la jonction directe entre le visionnage homoérotique par les garçons sensibles d'une réalité hétérophile se passe en la personne du cinéaste américain Kenneth Anger. On trouve notamment une image dans Invocation of My Demon Brother (1969) reproduite ci-dessous, où l'on voit une photo de James Dean dans La Fureur de vivre (1955):
Dans le même film, on voit la fascination qu'exerce le blouson en cuir sur le cinéaste et, partant, les motards en général, ici les Hell's Angels:
L'autre icône de Kenneth Anger et datant des années 1950, c'est bien sûr Marlon Brando et son rôle dans L'Equipée sauvage (1953), où l'acteur joue le rôle d'un motard semant la terreur dans une petite ville. Là encore, le cinéaste queer américain reproduit une image de celui qui s'illustrera d'une autre façon vestimentaire iconique en portant le marcel (lequel deviendra lui aussi un élément d'une autre panoplie des garçons sensibles):
Au point que Kenneth Anger filme un avatar de ce même Brando, mais ici résolument queer avant l'heure, dans son film culte Scorpio Rising (1961-1963):
Quoi qu'il en soit, en moyen français, le cuir, qui désignait tant la peau de l'homme que de l'animal, possédait un lexique d'une richesse insoupçonnée. Et si l'on cherche une preuve selon laquelle les garçons sensibles ont toujours été attirés par le cuir, JB la sert sur un plateau à ses petits amis:
Quels usages, quelles locutions, quelles collocations avaient le mot cuir en moyen français?
Bingo, une connotation sexuelle.
JB en veut pour preuve:
Chevaucher en cuir. "Faire l'amour" : ...Ny de monsieur l'acoustrement, Qui chevauche en cuir seulement. (Mère Ofic.T., c.1500, 107).
Mais il y a encore mieux.
On a vu tout à l'heure dans le lexique de la peausserie, qu'une des actions consistait à “corroyer le cuir”, c'est-à-dire à “apprêter le cuir après le tannage, en lui donnant de la souplesse”, nous explique le Dictionnaire de moyen français. Or il nous indique également une locution en vigueur à l'époque, une collocation qui utilise le verbe conroyer, équivalent de corroyer:
Conroyer le cuir. "Faire l'amour" : Madame, vous plairoit il point Me prester [ja] vostre conroie, Si vous voulez que je conroie Vostre cuyr (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 872).
De fait, nous explique le Dictionnaire Godefroy, autre dictionnaire de moyen français, corroyer vient de conreer qui signifie au départ "mettre en ordre, apprêter", de là "apprêter, préparer", de là "donner de l'apprêt". Et Godefroy de nous dire:
Ainsi donc, dans tout ce travail de mégissage, corroyer ou conroyer le cuir avait une dimension sexuelle. Et pas seulement pour les hétérophiles, ainsi qu'il est indiqué dans l'exemple ci-dessus. Également pour les bougres, ou les boulgres, mot qui vient de bulgarus = bulgare. Que signifiait bougre à l'époque? Le Dictionnaire du moyen français répond à notre question (et JB met en rouge une phrase magique, comme quoi les couples existaient déjà, si tant est qu'on en ait douté):
Mais que signifiait cuir en jobellin, cet "argot homosexuel (…) qu'utilisaient les prostitués pour tromper la police et les clients", expliquait Thierry Martin dans les Ballades de François Villon, une édition bilingue (moyen français/français moderne) de 1998, offerte à JB par… M. (!), qu'il gardecomme une Bible comme le Capital. Des poèmes présentés, traduits et expliqués par Thierry Martin. Lequel, dans un lexique en fin d'ouvrage, nous précise que:
Une prochaine fois, JB parlera des tribades, les homosexuelles qu'on appelait ainsi également en moyen français, et on verra que, à l'époque, histoire de rester dans notre développement sur le mot mire, qu'un mirely n'est autre que…
Allez, babaille, hein!
Il parle de la peau d’ours qui l’attend dans la nouvelle maison et qu’il a passé toute la nuit à écharner dans la neige rien que pour elle et ses beaux yeux.
Pensant aux ours en peluche qui, s'ils n'étaient en pleine hibernation dans leur grotte française, feraient aussitôt la révolution après avoir lu cette phrase qui leur aurait préalablement arraché des larmes amères — ils se seraient donc rebellés, par exemple en procédant à une fessée en bonne et due forme telle celle-ci, que JB a dénichée sur un site accumulant les photos pour garçons sensibles que lui avait envoyé M. en décembre dernier:
Et, à l'époque, voyant cela, JB n'avait pas manqué (outre de penser qu'elle serait "agréable aux yeux" de M., pour paraphraser une expression que M. adore employer et que JB adore lire) de réagir et de sourire puisque l'auteur de cette gravure n'est autre que Theodor Kittelsen, que JB connaît sur le bout des doigts puisqu'il est LE grand illustrateur norvégien des contes d'Asbjørnsen et Moe. JB avait trouvé sensationnel ce détournement homophile d'une illustration a priori innocente et avait vu là le grand talent de ses comparses: débusquer l'inconscient homoérotique des images (mais aussi des paroles), ce sur un mode toujours joyeux, bref: toujours gai — que l'adjectif s'écrive avec un I ou un Y.
Et si ce n'est pas de cela que JB voulait parler dans ce post, mais bien du processus de traduction, il se rend compte au fil de ses recherches d'abord lexicographiques puis linguistiques, à quel point ces dernières reviennent irrémissiblement à l'image reproduite supra et à l'allusion qu'elle induit.
Car le mot qui a valu l'écriture de ce post est évidemment le verbe écharner qui, nous explique le TLF, signifie:
TECHNOL. Enlever les chairs, les graisses de la surface interne d'une peau, fraîche ou tannée, ainsi que toutes les parties accessoires en vue du corroyage. Écharner un cuir, une peau :
JB a longuement hésité avant de l'employer. Comme ses petits amis le savent, employer des termes trop techniques dans ses traductions littéraires le rebute: le technique tue la littérature, à moins que le terme choisi ne soit employé dans le texte original pour justement créer un effet poétique.
Puis JB s'est dit que les lecteurs connaissent décharner, que les lecteurs ne sont pas idiots, qu'ils reconnaissent la chair qui sert de racine (de… chair!) au verbe écharner.
De plus, dans ce roman de Sara Stridsberg, l'écriture procède d'une accumulation d'allitérations et d'assonances ainsi que d'un décalage, que celui-ci soit syntaxique, lexicographique ou narratif.
Ouh là là, ça c'est un peu compliqué. JB explique.
Le décalage lexicographique consiste pour l'auteure suédoise à former des syntagmes qui sont des oxymorons, c'est-à-dire à associer des termes qui, dans leur signification, ne vont pas ensemble. Cela revient pour elle à écrire: "la lumière dégouline" (et on voit et lit les assonances et allitérations). L'image inconsciente qu'a un locuteur du mot lumière est positive: la lumière, c'est le soleil, l'inverse des ténèbres, le beau temps, ce vers quoi on lève les yeux avant de les fermer de satisfaction. Dégouliner, en revanche, c'est flasque et gluant, c'est massif et anarchique, c'est du surplus qui pollue, c'est négatif.
De la même manière, le décalage syntaxique consiste à associer des phrases sur le même principe. Par exemple:
Ici, donc, même chose que pour le lexique.
La phrase est composée de deux principales indépendantes, reliées par la conjonction de coordination dont le rôle consiste quant à elle à appuyer l'oxymoron, à introduire un rapport logique là où il n'y a assurément pas de cohérence. De fait, la première principale décrit une réalité dégoûtante (confer les adjectifs, confer l'emploi du substantif masse) rehaussée ici encore par l'emploi des allitérations et des assonances. La deuxième principale tend pour sa part vers le positif: elle est ponctuée par le mot désir, l'idée étant ici d'aller vers son rêve, de retrouver ce en quoi on a foi et qui nous rend(rait) heureux — et ce bien qu'il y ait un doute sur les moyens pour y parvenir.
Le décalage narratif enfin puisqu'on passe inlassablement soit d'une période à une autre, d'un personnage à un autre, sans qu'ils aient là encore a priori de cohérence entre eux.
Fort de ce principe d'écriture, JB a décidé d'employer malgré tout le verbe écharner. Pourquoi?
La situation est la suivante: le personnage, une jeune fille mineure, vient d'accoucher. Cela s'est mal passé, elle ne cesse de saigner, la sage-femme a dû lui "frotter et gratter et triturer" l'utérus pour en ôter les restes de placenta. Elle va mourir, même si on le sait pas encore. Écharner, enlever les chairs, c'est donc aussi ce qu'elle a dû endurer. Écharner, c'est que fait le père de l'enfant et le compagnon du personnage, et il le fait, dit-il, "pour ses beaux yeux" à elle. Pardon? Écharner pour les beaux yeux de quelqu'un? Le voilà l'oxymore. La voilà l'absence de logique qui vient rehausser l'horreur de la situation, elle-même rehaussée par l'allitération en N et l'assonance en Ê — d'autant que, dans ce roman, la neige est un symbole positif: c'est la pureté, l'immaculé, l'innocence, cette innocence que la jeune fille (12 ans!) a perdue parce que exploitée (dans tous les sens du verbe) pour sa beauté de fillette.
Voilà donc pour le résultat du processus de traduction.
La seconde explication consiste alors pour JB à détailler comment il en est arrivé là.
Le verbe qu'emploie l'auteur est skura ren, littéralement: récurer (= skura) pour arriver au propre, au pur (= ren). Récurer aurait donc dans un premier temps fait l'affaire. Mais non. En quoi?
Pour cela, JB va utiliser les moyens que lui donnent la linguistique et étudier les collocations, les cooccurrences et la proxémie du verbe qui, dans le cas de l'écriture de Sara Stridsberg, se révèlent un outil hyperprécieux. C'est un peu compliqué et JB explique là encore.
Les collocations désignent, pour un mot (qu'il soit substantif, verbe ou adjectif), les autres mots avec lesquels il est systématiquement associé que ce sot d'un point de vue syntaxique ou sémantique. Voyons ce qu'il en est pour le mot désir dont on parlait plus haut:
Les cooccurrences, elles, se rapportent aux mots (toujours: quels qu'ils soient) qui sont susceptibles d'être associés dans un même contexte, que l'on peut retrouver dans une même phrase, qu'ils soient synonymes ou antonymes. Voyons ce qu'il est pour désir:
Enfin, la proxémie étudie quant à elle la proximité de sens des synonymes entre eux. C'est la hiérarchisation sémantique des synonymes. On reprend l'exemple du désir:
Ces outils, autrement dit, le traducteur peut s'en emparer en ce qu'ils vont l'aider à cerner un champ lexical (c'est leur fonction: étudier les champs lexicaux) et, peu à peu, trouver le mot juste adapté aux conditions inhérentes à l'écriture de l'écrivain(e): que celles-ci privilégient le lexique, la syntaxe, la narration, voire, pour le cas de Sara Stridsberg, les trois à la fois.
De fait, pour JB, il s'agit de montrer en quoi récurer ne convient pas dans la phrase traduite supra, de montrer en quoi l'association que le lecteur a du verbe récurer ne va pas dans le sens (la direction) ni le sens (la signification) de la phrase. Le présupposé de départ étant que récurer est un verbe du champ lexical domestique et ménager, qui concerne le foyer et la cuisine. Le présupposé de départ étant que le sémantisme de récurer, qui va vers l'action de nettoyer à fond, purifier (comme l'indique le verbe composé suédois employé par Sara Stridsberg), est débarrassé de son sens possible par l'emploi, par l'usage, donc indirectement par les cooccurrences.
Que nous dit la proxémie? Puisque, quand un traducteur va chercher le mot idéalement exact, il vérifie dans son sens, puis il cherche le synonyme le plus adapté. La proxémie de récurer est la suivante:
On le voit, on est bel et bien dans le domaine ménager: astiquer, frotter, brosser, décaper. Les synonymes les plus proches étant nettoyer et décrasser. Et on voit bien que purifier est encore plus loin. Dans tous les cas, le verbe n'est adapté ni au nettoyage d'une peau d'animal, ni au frottis consécutif à un accouchement — JB parle ici à partir d'un pur point de vue lexical.
Si les verbes récurer et nettoyer ne sont pas enregistrés dans le dictionnaire des collocations, ils le sont en revanche indirectement dans celui des cooccurrences:
Et donc, si on en doutait, on voit bien que récurer concerne le domaine de la cuisine et nettoyer celui du ménage. Dans le deux cas, comme c'était l'intuition et le présupposé de JB, le domaine domestique, du foyer.
Que fait alors JB?
Il va chercher un lexique de la peausserie, laquelle concerne le travail des cuirs et des peaux. Le but étant pour lui, qui ne sait pas encore qu'il va employer le verbe écharner, de trouver le mot qui correspond le plus à ce que fait le personnage (en tant que traducteur, JB est astreint au devoir de fidélité); le mot qui, du point de vue de la proxémie, sera le plus proche de récurer/purifier; qui, du point de vue des cooccurrences tant syntaxiques que narratives, s'adaptera à l'énoncé de la phrase et à son contexte (ce qu'elle dit et ce qu'elle sous-entend); et enfin qui, d'un point de vue poétique et rythmique (confer les assonances et allitérations) tout autant que sémantique (confer les collocations) conviendra au final.
Sur ce site, JB va trouve quelles étaient autrefois les opérations successives de l'élaboration du cuir:
Et c'est là qu'il voit écharnage. C'est exactement ce que fait le compagnon du personnage dans le roman. Dans écharnage, comme JB insistait plus haut, il y a le mot chair — JB ne va pas se répéter, il a déjà expliqué.
JB va ensuite vérifier dans un autre lexique/glossaire si le verbe écharner n'existe pas. Bingo — voici les collocations verbales de cuir, donc les différents travaux qui procèdent à l'élaboration du cuir, de la peau d'animal:
Et voilà, c'est fini: JB sait qu'il va employer le verbe écharner.
Or, dans cette liste, JB aperçoit une multitude de mots qu'il a inconsciemment fréquentés dans sa jeunesse et son enfance, lui qui allait au lycée dans une ville dont l'activité économique était la chamoiserie: l'équipe de foot en garde la trace puisqu'elle s'appelle les Chamois niortais, de “chamoiser le cuir”; la toponymie en garde elle aussi la trace puisqu'il existe là-bas un Quai de la Mégisserie, de “mégisser le cuir”.
Avant de reprendre son travail, JB s'offre une petite distraction, se souvenant qu'à la même époque que l'ours fessant l'humain, il avait appris, question cuir, qu'on parlait dans l'industrie de la chaussure de “cousu norvégien” — et il avait été ravi de constater que son "pays de travail" s'illustrait une fois encore. Il avait même fait une capture d'écran du “montage” (c'est le terme technique en usage) en question:
Et ce n'est pas tout, toujours rapport à la faculté qu'ont les garçons sensibles de débusquer l'inconscient homoérotique des images mais aussi des paroles, puisque JB se rend compte que Paraboot® (la "grosse pompe" (comme on disait alors!) à la mode chez ces derniers dans les années 90) fait maintenant des collections très, mais alors très ciblées:
Bref. JB va donc se perdre dans l'origine de ces mots du travail du cuir. Et surtout de ce verbe qui ne cesse de l'étonner: mégisser, dont le TLF lui indique qu'il est synonyme de mégir:
Tanner (une peau) au moyen d'un bain spécial, afin d'obtenir un cuir très souple.
− Le plus souvent au part. passé. Ces beaux tons qui ont du gris fauve de peaux de daim mégissées(Goncourt, Journal, 1889, p. 1057). Les peaux, préalablement mégies et encore humides, sont suspendues dans une chambre close (Bérard, Gobilliard, Cuirs et peaux, 1947, p. 95).
Là-dessus, JB s'interroge évidemment sur l'étymologie. Le même TLF précise que le mot remonte à 1430, du moyen français mesguichier. JB va chercher dans le Dictionnaire du moyen français, ne trouve rien, fait une recherche alphabétique et tombe cette fois sur:
MEGIS, subst. masc. | FEW VI-1 medicari | |
[T-L : megëiz ; GD : megeis ; FEW VI-1, 597a : medicari ; TLF XI, 587a : mégis] | ||
A. - "Composition d'alun, de cendre et d'eau" | ||
Rem. Doc. 1394 (le suppliant print six ou huit eschiefs de fil blanc, un pou de Mesgis) ds DU CANGE V, 360c,s.v. mesgicerius | ||
B. - "Peau mégissée" |
Voici donc avec quel mélange on mégissait les peaux.
Or, en haut à droite, JB aperçoit une étymologie qui rapporterait le nom au latin medicari. Il ne faut pas être grand clerc (même en 2011 et non plus en 1430), pour voir qu'on est face à un terme de médecine.
JB est définitivement intrigué, sa curiosité est définitivement piquée (un peu comme lui, quoi). Un peu avant mégis, il trouver le verbe meger. Et là, bingo:
MEGER, verbe | ||
[TL, GD : megier ; FEW VI-1, 596a : medicari] | ||
Empl. trans. "Donner des soins médicaux à" | ||
REM. Doc. 1484-1485 (pour le meger et pancer de certains exces [l. excés] et bleceures) ds GD V, 215c-216a. |
Ainsi donc, parce que la fonction du médecin était de méger, donc de traiter, ce traitement a fini par désigner également celui des peaux, d'où le mégissage, ce traitement en particulier du cuir, d'où le Quai de la Mégisserie, ce dernier substantif étant à la fois, nous dit le TLF, l'"industrie et [le] commerce des peaux mégissées et, par métonymie., [le] lieu d'exercice de cette activité".
De fait, en ancien français, celui que nous qualifions aujourd'hui de médecin s'appelle alors mege, comme l'indique Wikipédia:
Un substantif que le TLF connaît encore:
Mège, subst. masc., vx. Synon. de médecin. Région. Synon. de charlatan, médicastre. En soignant ses douleurs avec des herbes, des pommades de son invention, il avait acquis par toute la Camargue, de Trinquetaille à Faraman, une grande célébrité de mège guérisseur, surtout pour les fièvres et les rhumatismes (Daudet ds Lar. Lang. fr.). Des moralistes s'inquiètent de voir tant de sots et d'ignorants se mêler de soigner, tant de «mèges» (médecins) incapables qui, ne sachant même pas panser une blessure, s'aventurent à opérer (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p.87).
Toutefois, le mege, comme il est précisé, est devenu très vite, en moyen français, un charlatan — et c'est JB qui souligne:
MEGE, subst. masc. | FEW VI-1 medicus | |
[T-L : mire2 ; GD : mege1 ; FEW VI-1, 604a : medicus] | ||
"Médecin" : Il occient petit enffans Et font assés de mal es granz ; Li ruraulx les appellent mieges. (DUPIN, Mélanc. L., c.1324-1340, 73). ...Tu es lumiere clere pour cuers enluminer, Tu es ly sages meges pour le mediciner (Pleur ste âme B., c.1375-1425, 81). |
Mais il y a mieux. Une megeresse, qui n'a rien à voir avec la mégère (ainsi nommée d'après l'une des trois Furies, les déesses de la vengeance), c'est en moyen français:
MEGERESSE, subst. fém. | *FEW VI-1 medicari | |
[TL, GD : megeresse ; *FEW VI-1, 596b : medicari] | ||
"Femme qui exerce la médecine" | ||
REM. Trad. de Bruno de Longoburgo (ms. 1400-1500, li mires ou la megeresse), (une femme megeresse, ou aucune femme qui reçoit les enfanz) ds GD V, 215c. |
Et JB se souvient que, à l'époque du moyen français, on féminise les professions sans que cela pose un problème quelconque. On parle par exemple, dans le même domaine, de le rebouteresse, le féminin du rebouteur/rebouteux.
De même, on sait que les femmes n'étaient à l'époque pas (encore!) exclues de l'exercice de la médecine. C'est notamment Jean Louis Brau, dans son ouvrage La sorcellerie (1986), qui nous renseigne:
C'est uniquement lorsqu'on a commencé à fixer l'orthographe du français, qu'on a décidé de supprimer la féminisation des professions — période qui correspond à l'exclusion des femmes du monde professionnel.
Toujours est-il que, et on le voit plus haut, les femmes soignaient les enfants. Mais ce qu'on lit également, c'est le mot mire. Puisque c'est ainsi qu'on appelait à l'époque les médecins:
MIRE1, subst. masc. | FEW VI-1 medicus | |
[T-L : mire1 ; GD : mire1 ; FEW VI-1, 604b : medicus ; TLF XI, 873a : mire2] | ||
A. - "Médecin" |
Et une femme médecin (on voit bien que le français de 2011 empêche le mot médecine, certes à cause du mot médecine et de l'ambiguïté que la coexistence susciterait, mais pas seulement — ce qui n'était pas le cas au Moyen Âge puisque la médecine désignait aussi la “femme du médecin”, comme quoi la règle qui a prévlu plus tard et derrière laquelle se retranchent aujourd'hui les Académiciens ne tient pas) — cette femme médecin s'appelait… gagné, miresse:
MIRESSE, subst. fém. | FEW VI-1 medicus | |
[TL, GD : miresse ; FEW VI-1, 604b : medicus] | ||
"Femme qui fait office de médecin" : A demisielle Marie, le mineresse [l. mireresse], pour son salaire de warir et curer le dit Thumas qui griement fu navrés et en peril de mort, VI frans dou roy (Arch. Nord, 1378, B 10638, f° 28, IGLF). ...miresse, cireurgienne (...) : medicatrix (LAGADEUC, Catholicon G., 1499, 137). |
Et le Musée de la Médecine de Paris de nous le confirmer:
Quant à JB, il est ravi. Lui qui, il y a pile une semaine, expliquait à ses petits amis l'origine du pistolet et de l'urinal et racontait tout de la science de l'uroscopie retombe le dimanche suivant sur ses pieds. Quel bonheur!
Mais laissons les mires et les miresses et revenons aux meges et aux megeresses et au mégissage (on pourrait cependant, dans un avenir proche, revenir sur les très nombreux dénominations qui désignent les médecins en ce Moyen Âge).
Revenons au cuir qui faisait l'ouverture de ce post. Puisque JB parlait des garçons sensibles, qu'ils aiment les ours (en peluche ou pas), le cuir (la peau naturelle ou la seconde peau) et les pompiers (de métier ou de hobby), les bottes et les chaussures (en montage norvégien ou pas).
De fait, pour beaucoup d'entre eux, dès les années 1960 mais encore aujourd'hui, le cuir représente un élément sinon un instrument de la panoplie (JB ne choisit pas ce mot au hasard, qui fait penser au déguisement) de ceux qu'on appelait dans les années 1970 les clones. Celui qui l'a le mieux représenté n'est autre que Tom of Finland, dont JB parlait en décembre dernier à propos de Lee Majors et du navet pseudo-viking dans lequel il a tourné pendant cette même décennie 70 (et qui est le 4e article le plus lu du blog tatoué et fumeur! dingue!).
Rien que pour ses petits amis, JB reproduit deux spécimens cloniques du finlandais émigré chez les Yankees qui, comme d'hab chez Touko Laaksonen (son vrai nom), exhibent leur anatomie nullement hypertrophiée (pas une seule seconde!!!) avec une désarmante décomplexion:
Mais avant lui, la jonction directe entre le visionnage homoérotique par les garçons sensibles d'une réalité hétérophile se passe en la personne du cinéaste américain Kenneth Anger. On trouve notamment une image dans Invocation of My Demon Brother (1969) reproduite ci-dessous, où l'on voit une photo de James Dean dans La Fureur de vivre (1955):
Dans le même film, on voit la fascination qu'exerce le blouson en cuir sur le cinéaste et, partant, les motards en général, ici les Hell's Angels:
L'autre icône de Kenneth Anger et datant des années 1950, c'est bien sûr Marlon Brando et son rôle dans L'Equipée sauvage (1953), où l'acteur joue le rôle d'un motard semant la terreur dans une petite ville. Là encore, le cinéaste queer américain reproduit une image de celui qui s'illustrera d'une autre façon vestimentaire iconique en portant le marcel (lequel deviendra lui aussi un élément d'une autre panoplie des garçons sensibles):
Au point que Kenneth Anger filme un avatar de ce même Brando, mais ici résolument queer avant l'heure, dans son film culte Scorpio Rising (1961-1963):
Quoi qu'il en soit, en moyen français, le cuir, qui désignait tant la peau de l'homme que de l'animal, possédait un lexique d'une richesse insoupçonnée. Et si l'on cherche une preuve selon laquelle les garçons sensibles ont toujours été attirés par le cuir, JB la sert sur un plateau à ses petits amis:
Quels usages, quelles locutions, quelles collocations avaient le mot cuir en moyen français?
Bingo, une connotation sexuelle.
JB en veut pour preuve:
Chevaucher en cuir. "Faire l'amour" : ...Ny de monsieur l'acoustrement, Qui chevauche en cuir seulement. (Mère Ofic.T., c.1500, 107).
Mais il y a encore mieux.
On a vu tout à l'heure dans le lexique de la peausserie, qu'une des actions consistait à “corroyer le cuir”, c'est-à-dire à “apprêter le cuir après le tannage, en lui donnant de la souplesse”, nous explique le Dictionnaire de moyen français. Or il nous indique également une locution en vigueur à l'époque, une collocation qui utilise le verbe conroyer, équivalent de corroyer:
Conroyer le cuir. "Faire l'amour" : Madame, vous plairoit il point Me prester [ja] vostre conroie, Si vous voulez que je conroie Vostre cuyr (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 872).
De fait, nous explique le Dictionnaire Godefroy, autre dictionnaire de moyen français, corroyer vient de conreer qui signifie au départ "mettre en ordre, apprêter", de là "apprêter, préparer", de là "donner de l'apprêt". Et Godefroy de nous dire:
Ainsi donc, dans tout ce travail de mégissage, corroyer ou conroyer le cuir avait une dimension sexuelle. Et pas seulement pour les hétérophiles, ainsi qu'il est indiqué dans l'exemple ci-dessus. Également pour les bougres, ou les boulgres, mot qui vient de bulgarus = bulgare. Que signifiait bougre à l'époque? Le Dictionnaire du moyen français répond à notre question (et JB met en rouge une phrase magique, comme quoi les couples existaient déjà, si tant est qu'on en ait douté):
BOUGRE1, subst. masc. | FEW I bulgarus | |
[T-L : bougre ; GDC : bolgre ; FEW I, 606a : bulgarus ; TLF IV, 778a : bougre] | ||
B. - "Celui qui se livre à la sodomie (dont les hérétiques bulgares sont particulièrement accusés)" : Cieulx qui sont suspeconnez d'estre hereticques pertignaux, et bougres, et sodomites, la justice laye les doit prendre et envoyer à l'evesque pour en savoir la verité (Cout. instit. Anjou Maine B.-B., t.2, 1437, 502). Car en celle baniere ardant A plus de cent mille useriers Qui nombrent mailles et deniers, Et si sont pendu maint herite, Maint bougre et maint sodomite. (MARCADÉ, Myst. Pass. Arras R., a.1440, 241). ...Est contenu oudit chapitre que la pugnicion des bougres appartient à la justice temporel ; mais si l'evesque avoit prins le delinquant par avant, il respondroit par devant lui du pechié pour tant que touche l'ame, et demourroit la pugnicion du crime à la court laye. (Cout. instit. Anjou Maine B.-B., t.4, 1464, 338). En Rame sont plusieurs temples ou eglises selon leur loy de Macommet; et font mariages en leur intencion ; non obstant il en y a de bougres et plusieurs vivent comme bestes. (BARBATRE, Voy. T.-C. P., 1480, 130). |
Mais que signifiait cuir en jobellin, cet "argot homosexuel (…) qu'utilisaient les prostitués pour tromper la police et les clients", expliquait Thierry Martin dans les Ballades de François Villon, une édition bilingue (moyen français/français moderne) de 1998, offerte à JB par… M. (!), qu'il garde
CUIR: Pénis. "Il faut tirer ce cuir aux dens [avec la bouche], / Pour le faire ung petit [peu] croistre."
Et ce ne sont ni les bougres du Moyen Âge comme des temps modernes, donc ni François Villon, ni Kenneth Anger, ni Tom of Finland, ni tous les homophiles de France et de Navarre, qui donneront tort à ces vers.Une prochaine fois, JB parlera des tribades, les homosexuelles qu'on appelait ainsi également en moyen français, et on verra que, à l'époque, histoire de rester dans notre développement sur le mot mire, qu'un mirely n'est autre que…
Allez, babaille, hein!
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