lundi 19 avril 2010

D'indécrottables godons

On traduit, toujours Trude Marstein:
Elle sourit, elle rayonne. Ce qu’elle peut être naïve, mon Dieu. Naïve, gentille et godiche. Facile à convaincre, prête à s’embringuer dans tout et n’importe quoi. Quelle cruche.

Et, brusquement, en écrivant cruche et godiche, en les regardant et en les relisant, ces mots prennent une nouvelle valeur. Comme si je les découvrais, lisais, entendais et prononçais pour la première fois. Le phénomène est courant. Parfois, quand on répète un mot X fois, il finit par perdre son sens. Il finit par ne plus avoir ni signifiant ni signifié. Il devient un mot étranger.
Deux questions affleurent soudain:
• comment le substantif cruche a-t-il vu son sens évoluer, désignant un simple récipient tout ce qu'il y a de plus ordinaire, puis renvoyant à une personne naïve (comme par hasard, une femme - on y reviendra)?
• quelle est l'étymologie de godiche?

Cruche:
Première constatation: l'emploi moderne, comme ma traduction le révèle, fixe le terme cruche dans sa forme adjectivale. Il s'agit en fait d'une réduction de l'expression Bête comme une cruche, où, donc, le terme apparaît dans sa forme substantivale. Le Robert des expressions indique:
< très bête. La comparaison est une remotivation de l'emploi de cruche au sens de "bête", qui est très antérieur (XVIIe s.)
Le Dictionnaire Robert historique de la langue française précise pour sa part:
◊ Le mot désigne un récipient à anse et, en Suisse, une bouillotte [on en profite pour saluer Me Fifrelin! - JB]. Par métonymie, il se réfère au contenu d'une cruche, empiétant sur le sens de CRUCHÉE n. f. (v. 1220) aujourd'hui quasiment sorti de l'usage. Par un développement métaphorique analogue à celui de pot, casserole, cruche réalise l'idée désobligeante d'un "manque de finesse", s'appliquant comme nom (1633) et comme adjective à une personne ignare et niaise.
De fait, en revenant au Robert des expressions, on lit qu'existait autrefois l'expression bête comme un pot, aujourd'hui vieillie. La seule expression qui ait survécu est par conséquent sourd comme un pot, ce qui en dit long de l'opinion qu'ont les entendants des mal ou non-entendants. En gros, si on file l'étymologie de la métaphore du mot: être sourd, c'est être bête, niais, imbécile. Merci. Et ce n'est pas fini! Le Trésor de la Langue Française enfonce le clou par ses exemples, je copie/colle:
4. Expr. et loc. fig. fam.
♦ (Adj.) + comme un potTrès, complètement. Bête comme un pot (v. bête2 A 4 a); ignorant comme un pot (v.ignorant II B 1 a expr.); sourdcomme un potBaveux comme un pot à/de moutardeV. baveux I A loc.
♦ Chanter, parler comme, avoir une voix de pot cassé/fêlé (vx). Avoir une voix enrouée. Une femme d'une soixantaine d'années (...) «chantant comme un pot fêlé», dit la lettre (Hugo, Misér., t.1, 1862, p.598).
♦ (Vieux) pot! [Terme d'injure] Imbécile. À toute volée, elle gifla Berthe. −Tiens! Tu m'embêtes, à la fin!... Quel pot!(Zola, Pot-Bouille, 1882, p.37). En empl. adj. Ils [des amisont dû se dire: Ce pauvre Léautaud n'est vraiment pas souvent en train −ou bien: Ce pauvre Léautaud, est-il pot! (Léautaud, Journal littér., 1, 1902, p.45).

Donc, un sourd l'est comme un pot, lequel est aussi bête et ignorant. Un sourd est donc associé à une personne bête et ignorante et - ultime exemple, un imbécile. C'est généreux.
Dans le même ordre d'idée, on note que la deuxième expression est rehaussée d'un exemple qui cite une femme. Un homme ne peut chanter comme un pot fêlé, non, mais une femme, forcément.
La langue comme instrument de la normativité.
La langue comme vecteur d'exclusion.
La langue comme moyen d'exercer un contrôle social.

La question demeure pourtant: pourquoi le récipient (qu'il s'agisse d'un pot, d'une casserole ou d'une cruche) est-il associé à la bêtise, à la niaiserie?
Aucun des dictionnaires cités n'apporte de réponse.


Godiche
Explication du Robert historique de la langue française:
GODICHE adj. est d'abord attesté comme nom propre (1743) puis comme adjectif (1752); le mot est probablement issu, par substitution de suffixe, de Godon, forme hypocoristique de Claude, régionalement Glaude, appliqué, d'après Ménage, aussi bien aux petites filles qu'aux garçons. Godiche a pu être rapproché de dérivés dialectaux construits à partir du radical god- "niais". Selon P. Guiraud, ce serait un dérivé de gode au sens d'"enflé, gavé", d'où "stupide"; —> 2) godet (cf. l'ancien et moyen français godon "goinfre", "poltron", ventru").
Godiche signifie familièrement "niaisement maladroit". Le substantif n'est d'usage courant qu'au féminin.

Pardon?
Je répète:
1) mot (…) appliqué (…) aussi bien aux petites filles qu'aux garçons ; alors que désormais 2) n'est d'usage courant qu'au féminin.
Alors ça… Ça me la coupe! (Pour employer une de mes expressions préférées.) Voilà une preuve supplémentaire si on en doutait de ce que je soulignais plus tôt et de ce que je n'ai de cesse de régulièrement déplorer dans ce blog. Je parlais il y a plusieurs mois de machisme linguistique. En voici encore une énième manifestation. Et encore plus patente puisque, au vu de l'étymologie, l'usage a uniquement perpétué l'idée que les femmes sont godiches. Si au départ, quel que soit leur sexe, donc de façon non-discriminatoire (comme on dit si bien en anglais), tous les enfants pouvaient être godiches; aujourd'hui, l'homme ne saurait l'être. La langue, reflet de la psyché nationale et culturelle, de l'inconscient collectif, considère que l'homme, dans sa nature, n'est pas niais alors que la femme l'est foncièrement. Quelle nigauderie! Oui, quelle nigoderie cette histoire de godiche!

Je propose: réhabilitons l'usage du terme godon pour désigner les hommes godiches.
Exemples:
• Avec ses raffarinades, l'ancien Premier ministre français était un indécrottable godon.
• En associant pédophilie et homosexualité, le numéro deux du Vatican est un godon homophobe.
• Il est certain que, comparé à Slavoj Zizek, BHL fait figure de godon de la réflexion.
Etc, etc, etc.


Un autre jour, nous montrerons que godiche est bel et bien en lien étymologique avec le mot godemiché.

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