dimanche 8 novembre 2009

Comment lutter?

Les nuits sont claires et le brouillard est dense depuis une semaine. Les feux de croisement clignotent et dans deux jours les célébrations des vingt ans de la chute du mur auront lieu. La TAZ s'interroge, dans un contre-courant bienvenu: qu'est-ce que l'Est a apporté à l'Ouest? Le Rattenbar a fêté l'anniversaire à son manière. Tirant à boulets rouges sur la commercialisation et la réification.


© icke

Du coup, Les Choses, de Georges Perec (publié en 1965, dans cette langue français des années 1960 qui, curieusement, n'est pas sans rappeler François Truffaut ou Chris Marker):
D'autres fois, ils n'en pouvaient plus. Ils voulaient se battre et vaincre. Ils voulaient lutter, conquérir leur bonheur. Mais comment lutter? Contre qui? Contre quoi? Ils vivaient dans un monde étrange et chatoyant, l'univers miroitant de la civilisation mercantile, les prisons de l'abondance, les pièges fascinants du bonheur.
(…)
Ils tentèrent de fuir. On ne peut vivre longtemps dans la frénésie. La tension était trop forte en ce monde qui promettait, qui ne donnait rien. Leur impatience était à bout. Ils crurent comprendre, un jour, qu'il leur fallait un refuge.
Je ne sais plus où je l'ai lu, peut-être dans le journal: ainsi donc, notre problème serait l'absence d'objet vers quoi diriger notre lutte (donc notre agressivité). Notre problème serait aussi la perplexité de la pensée: que penser? quoi en penser? Notre problème, enfin, serait l'absence d'idéologie qui nous permettrait de voir, d'imaginer une direction, une façon d'être au monde.

Que faire?
Combler le vide par le vide? S'occuper pour mieux désoccuper son esprit?
Restons dans la lignée perequienne et sortons des oubliettes le magnifique roman de Harry Matthews, Cigarettes (Perec et Matthews se sont réciproquement traduits), publié en 1988 chez POL et traduit par Marie Chaix. Ce roman marabout-bout de ficelle - aujourd'hui, on dit désormais de ces fictions qu'elles sont des livres à la Short Cuts (en hommage, donc, au film d'Altman), en ce que les personnages sont tous liés les uns aux autres, soit par un événement (confer Ambulance, de Johan Harstad) soit par des liens familiaux (confer le prochain roman de Trude Marstein ou, donc, Cigarettes) - ce roman présente des personnages, aisés, dans une Amérique du début des années 60. Ils traînent sur terre un ennui d'autant plus grand que les contingences ne les atteignent pas, et sont par conséquent d'autant plus frappés par la vanité de leur existence et leurs affres personnels. La cigarette devient à la fois le symbole d'un espoir et d'une possibilité qui partent en fumée, le délassement qui lui est propre quand on n'a pas grand-chose à faire (de son existence comme de l'instant qui passe), voire le symbole du désintérêt, de l'ennui fondamental; mais aussi, et enfin, le symbole d'une certaine sensualité, d'une sexualité exacerbée plus mal que bien vécue par les personnages.
Un court extrait:
"Il doit bien y avoir quelque chose à faire, une chose que je puisse faire, moi? Oh pourquoi suis-je une telle gourde?" Oliver gardait son calme, comme un joueur qui sait qu'il a du jeu et attend que son adversaire se jette à l'eau. "Si seulement…" disait Pauline, et Oliver ne bronchait pas, n'allumait pas d'autre cigarette.

Alors, en guise de conclusion, et faute de savoir que faire, hier soir au Rattenbar comme aujourd'hui et comme sûrement demain, nous fumons nous aussi, ici à l'instar de G.


© icke

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