Et des choses, il s'en est passé à la fin.Accord ou pas d'accord du participe passé? Passé É ou ÉES???
Selon mon Jouette (la Bible du correcteur), notre cheeer grammairien Bescherelle a dit: "Les participes sont le sujet des méditations des vrais grammairiens." Amen.
Pour savoir s'il y a accord ou pas, il faut se poser la bonne question. La question revient (a priori) à chercher ici ce qui régit l'accord.
La règle principale en français pour l'accord des participes passés est (a priori) simple:
Conjugué avec l'auxiliaire avoir, le participe passé s'accorde: ils ont glissÉ sur une peau de banane.
Conjugué avec l'auxiliaire être, le participe passé ne s'accorde pas: ils sont tombÉS sur une peau de banane.
Bon, facile.
Plus compliqué est l'accord, quel que soit l'auxiliaire, lorsque le complément d'objet direct est placé avant le verbe (et quelle que soit la nature de ce complément d'objet: un pronom personnel: le, la, les, me, te, se; un pronom relatif: que; un adjectif relatif: laquelle, lesquels, lesquelles).
La règle qu'on apprend à l'école consiste à s'interroger sur la nature et la place du complètement d'objet direct pour savoir s'il y a accord. C'est l'automatisme qu'apprennent tou(te)s les petit(e) Françai(es).
J'ai mangÉ des sauterelles -> Je les ai mangÉES (j'ai mangé quoi ? des sauterelles.), Les sauterelles que j'ai mangÉES.
La règle veut donc qu'il y a accord lorsque le COD est antéposé, est placé avant le verbe. Si le COD est placé après, PAS d'accord. Autrement dit, c'est le COD qui va déterminer l'accord en genre et en nombre du participe passé avec le sujet.
Le moyen mnémotechnique qu'on apprend également à tou(te)s les petit(e) Françai(es) pour savoir comment les conjuguer les verbes des 1er et 2e groupe, dont les E et ES du participe passé sont muets, consiste à leur substituer un verbe du troisième groupe. On entend aussitôt à l'oreille si quelque chose cloche ou ne cloche pas:
Les sauterelles, je les ai prisES. -> accord "à l'oreille", donc accord du participe passé.
Le problème, c'est que ce moyen ne fonctionne que pour les locuteurs de langue française (je veux dire: je ne suis pas certain que les locuteurs allophones du français entendent qu'il faut l'accord).
En conclusion, on peut dire qu'il suffit de chercher le COD: s'il est placé avant, accord systématique. Facile.
Or donc, pour la phrase qui nous intéresse, on peut donc conclure (a priori) qu'il y a accord:
Il s'est passé quoi? Des choses.
Seulement voilà, première complexité, il s'agit (a priori) d'un verbe pronominal: se passer. Nous savons qu'en français les verbes pronominaux se conjuguent systématiquement avec le verbe ÊTRE et que, donc (a priori) , il y a accord. Mais a priori seulement.
Pour les verbes pronominaux, la règle est identique (a priori) à celle énoncée supra. Exemples:
• Ces imbéciles se sont vautrÉS. (ils ont vautré quoi? eux-mêmes -> se est un COD, COD placé avant: accord)
• Ces imbéciles se sont vautrÉ la gueule. (ils ont vautré quoi? la/leur gueule -> COD placé après: pas d'accord. Et doublement pas d'accord puisque, si on décompose la phrase, on obtient: ils ont vautré la gueule (COD) À EUX-MÊMES (se est alors un COI, un complément d'objet indirect))
Là encore, fastoche: cherchons le COD et nous connaîtrons s'il y a ou pas accord.
Mais attention:
Nadine s'est imaginÉ avoir des bubons purulents (elle a imaginé quoi? avoir des bubons)
Raoul et Georges se sont sentI attirés par Léon (ils ne se sont pas sentis eux-mêmes)
Un autre moyen de savoir s'il y a accord ou pas accord du verbe pronominal, mais nettement plus difficile car il faut connaître les termes, consiste à s'interroger sur la nature de ce verbe pronominal.
Car le français, qui n'est jamais à court de complexités, connaît plusieurs types de verbes pronominaux.
a) le verbe pronominal réfléchi : elle s'est lavÉE (réfléchi car elle se lave elle-même) -> accord
b) le verbe pronominal réciproque: ils se sont entre-haÏS (on peut considérer le pronom personnel se comme un COD: ils ont haï qui? l'un l'autre) -> accord (sauf: s'entre-nuire puisque, notamment on nuit À quelqu'un)
c) le verbe pronominal non-réciproque: ils se sont poilÉS (le pronom n'est pas analysable, ne renvoie pas au sujet mais il y a une notion subjective) -> accord
d) les verbes pronominaux passifs: ces godemichets se sont bien vendUS (passif car les godes ont été vendus par quelqu'un) -> accord
etc etc… la liste est longue.
Mais attention aux locutions verbales pronominales comportant un infinitif:
(Nadine s'est laissÉE mourir : Nadine a laissé ELLE-MÊME mourir -> accord
Nadine s'est laissÉ séduire : Nadine a laissé GINETTE LA séduire -> pas d'accord
Et même pour le premier exemple, on peut voir une nuance: si Nadine prend part activement au processus: accord; si Nadine n'y prend pas part activement: pas d'accord.
Attention aussi:
Nadine et Ginette s'étaient persuadÉES qu'on les blousait: elles ont persuadé elles-mêmes DE quelque chose
Nadine et Ginette s'étaient persuadÉ qu'on les blousait: elles ont persuadé quelque chose À elles-mêmes)
Bon bon bon.
Revenons à nos moutons: Et des choses, il s'en est passé à la fin. Accord ou pas accord, alors?
La phrase est hypervicieuse car elle contient ce que l'on peut prendre pour (a priori) deux compléments d'objet direct: des choses et en. En sont-ce?
On l'a vu plus haut, des choses est effectivement, a priori, un COD: il s'est passé quoi? des choses.
Pour ce qui est de en, c'est également le cas.
Or les règles d'accord de en sont elles aussi vicieuses. On dit:
Des sauterelles, j'en ai mangÉ : même si la nature du en est celle du pronom personnel, même si la fonction du en est celle du COD, la grammaire considère que ce en est neutre, et donc invariable.
Néanmoins, s'il y a présence d'un adverbe de quantité ou de degré, il y a accord:
Des sauterelles, combien j'en ai mangÉES!
Nonobstant, Le Grévisse nous indique que les écrivains font fi de cette règle et accordent le participe passé.
Exemple, chez Stendhal: "Ses ordres, s'il en a donnÉS, ne me sont pas parvenus."
Exemple chez Julien Green: "Une immense muraille telle que les hommes n'en ont jamais construitE."
Donc: a priori accord et a priori pas d'accord et a priori accord. Ça nous fait une belle jambe!
Quid du en dans un verbe pronominal?
Le Grévisse nous dit que la règle est identique, pas d'accord:
Des directives, ils s'en sont donnÉ.
Ils s'en sont donnÉ à cœur joie.
Alors, qu'est-ce qu'on fait pour Et des choses, il s'en est passé à la fin. Accord ou pas accord?
Il n'y a effectivement PAS d'accord.
Mais pourquoi n'y a-t-il pas d'accord?
Cela n'est pas dû à la présence du en.
Je n'ai pas insisté sur la nature des mots pour rien.
L'absence d'accord est en effet due à la nature du verbe pronominal. Puisque le verbe pronominal se passer est un verbe accidentellement pronominal, c'est avant tout un verbe impersonnel. Et plus précisément, c'est un verbe construit impersonnellement (comme certains usages des verbes avoir ou faire ou être), qui se distinguent dans leur nature des verbes essentiellement impersonnels (comme les verbes pleuvoir, falloir, neiger, etc.). Dans tous les cas, le sujet ne se réfère pas ni une personne ni à une chose, il n'y a donc pas d'accord. On dira donc:
Les merdouilles qu'il y a eU (mais, on est d'accord sur l'accord: les merdouilles qu'il a euES -> c'est Raoul qui a eu les merdouilles).
Les cordes qu'il est tombÉ.
Les chaleurs qu'il a faiT.
Or donc:
Et des choses, il s'en est passé à la fin.
Minute, papillon!
Revenons à la question liminaire: il s'est passé quoi? des choses. Des choses est bien un COD. Il devrait donc y avoir accord.
Et que nous dit Grévisse sur cette question? Je mets sa réponse en italiques et en gras et en fond coloré parce que c'est quand même un peu le pompon:
"On peut discuter de la fonction des éléments qui accompagnent les verbes impersonnels, mais, pour l'accord au moins, on ne traite pas ces éléments comme des objets directs."
Ah bon? Et pourquoi? C'est quoi cette dictature de l'accord sinon en toute impunité, en tout cas en tout illogisme?
Alors on pourrait être belles et rebelles et imiter les écrivains dans le cas de l'accord du participe passé avec le pronom personnel en et décider que, dorénavant, on fera l'accord: Les chaleurs qu'il a faitES; des choses, il s'en est passÉES. Mais pourquoi ne le fait-on pas?
a) parce que le principe de toute langue est celui de la simplification?
b) parce que l'accord choque à l'oreille, notamment avec le verbe faire (confer le moyen mnémotechnique que j'indiquais tout à l'heure)?
c) parce que la langue française est régie par le principe d'exception à la règle?
Partant, on peut se demander ce que ce principe d'exception à la règle dans notre langue reflète de notre esprit. Est-ce que l'esprit français, la pensée française, la psyché française se caractérise par un principe d'autorisation des exceptions? À en juger par le républicanisme français, non. À en juger par la tradition de tolérance des régimes d'exception qu'ils soient positifs ou négatifs (avec Sarkozy, on est en plein dedans), oui.
Je laisse aux psycho-linguistes le soin de répondre à cette question.
PS: Comme quoi, et contrairement aux imbecillités racontées ces derniers temps par François de Closets (selon lequel il faudrait un correcteur orthographique pour les élèves et, la grammaire, on s'en branle - grosso modo): si on n'apprend pas la grammaire, on ne peut pas écrire correctement le français; si on ne comprend pas ce qu'est un verbe, un sujet, un pronom, on ne comprendra pas comment fonctionne la langue, comment s'accorde les verbes et participes passés. Partant, si on ne connaît pas la grammaire de sa propre langue, on ne pourra pas assimiler la grammaire des langues étrangères et on ne pourra pas les maîtriser correctement.
Et, in fine, si j'avais su que se passer est un verbe impersonnel, si j'avais su que les verbes impersonnels sont invariables même avec un COD antéposé, je n'aurais pas passé 3 heures à chercher dans tous mes dictionnaires et mes ouvrages de grammaire. CQFD.
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