Sauf que.
Dans Wikipédia qui lui a offert gratuitement son aide terminologique, il voit en bas, au rayon lingerie masculine, qu'on parle de… suspensoir.
Pardon?
Suspensoir?
Ça fait jardin suspendu, escarpolette et balancelle, encensoir et chérubins…
Et dans le fond c'est peut-être ça…
Car pour celles et ceux qui ignoreraient tout du suspensoir, JB a le plaisir de le présenter un porteur de suspensoir (et on dit bonjour au monsieur qui gentiment et généreusement s'est débraguetté pour les petits amis de JB) que Wikipédia exhibe sans vergogne (oooh!):
Puisque, oui, a priori, en français on ne dit pas un jock-strap, horriiible anglicisme, on dit un suspensoir. Mais attention, prévient Wikipédia, les lectrices de JB ne sont pas censées porter le suspensoir. Visiblement, un coup d'œil anatomique a assuré Wikipédia du soutien chez les femmes et de la suspension chez les hommes:
Un "jock-straping"?!? Mais c'est quoi cette blague?
Le jock-straping, sauf erreur ou omission de la part de JB, serait davantage la pratique du jock-strap, du suffixe anglais -ing (mais aussi scandinave) qui, lors de la substantivation du verbe, permet alors d'indiquer qu'une action est en cours. Et, en l'espèce, on ne voit pas trop dans quel contexte on peut utiliser ce syntagme. Imaginons un dialogue entre Amédée et Léonce:
Amédée: Tu as fait quoi aujourd'hui?
Léonce: Oh… pas grand-chose: un peu de kick-boxing. Et toi?
Amédée: Hm… pas grand-chose non plus. Juste du jock-straping.
On s'imagine d'ici l'étonnement de Léonce. Et on branlera du chef pour lui donner raison.À moins que… La fin nous le dira en tout cas.
Mais revenons au suspensoir. Wikipédia poursuit son explication non sans rappeler ce qui fait figure d'index pointé en guise d'admonestation:
Puis Wikipédia nous explique que le suspensoir/jock-strap "est principalement utilisé par les athlètes lors de la pratique de sports de contacts violents tels que le football, le hockey, la boxe, les arts martiaux ou encore le rugby et le criquet". Mais pas seulement puisque JB a trouvé que, en 1832 déjà, on l'utilisait dans les sports équestres. C'est le volume 20 du Dictionnaire technologique (ou Nouveau dictionnaire universel des arts et des métiers) qui nous le révèle:
Quant à savoir si le suspensoir de 1832 était le même que celui inventé en 1897, ça… Il faut là aussi attendre encore un peu. Suspense, suspense — comme on dit, et on aura jamais aussi bien dit.
Car en parlant de dire, voyons ce que Wikipédia a à nous révéler sur l'usage du suspensoir/jock-strap dans l'Hexagone. Et on constate aisément que l'encyclopédie en ligne fait une faute en écrivant
C'est presque une chanson de Pierre Perret… Bref.
Mais
Et JB d'être promptement taraudé dans son for intérieur et dans son cerveau tout aussi intérieur par deux questions téléologiques:
1) Ah bon? Uniquement "dans la pornographie"?
2) Ah bon? Uniquement "dans un contexte sportif"?
Ainsi donc, à en croire Wikipédia, l'homme, pour être "fitt im Schritt" (comme on dit si merveilleusement en allemand, littéralement = “en forme dans l'entrejambe”, en fait = “en forme”, le français familier dit aussi “À l'aise, Blaise”) — donc, pour être à l'aise dans ses baskets et droit dans ses bottes, l'homme ne saurait être autorisé au port du suspensoir dans un contexte professionnel ou dans une soirée lancée, lors d'un dîner de gala ou en pique-nique. C'est de la piqueniquophobie! Que fait Act Up-Paris? JB crie haut et fort:
Vite, un zap fax à Wikipédia! Outons les honteuses de Wikipédia! Un procès à Julian Assange et fissa!
Toujours aussi intrigué, JB va vérifier si ce cher Trésooor de la langue Francêêêse (autrefois: françoise) connaît le suspensoir.
La réponse est: oui.
Et ça la coupe à JB, soit dit en passant.
Le deuxième sens de suspensoir étant:
I. − Adj. masc., ANAT. Synon. vieilli de suspenseur. La partie postérieure (...) du ligament suspensoir de la rate(Cuvier, Anat. comp., t. 4, 1805, p. 75). On donne le nom de ligaments suspensoires ou suspenseurs à des faisceaux ligamenteux qui soutiennent certains organes (Littré-Robin 1865).
II. − Subst. masc.
B. − MÉD. Bandage ou dispositif destiné à soutenir un organe, qui est utilisé le plus souvent pour maintenir en place un topique, prévenir un prolapsus ou soulager les tiraillements douloureux consécutifs à une inflammation ou à une opération; en partic., bandage servant à soutenir les bourses qui est utilisé généralement dans la varicocèle, l'orchite, les suites opératoires des interventions sur le scrotum ou sur la prostate (d'apr. Lar. méd. t. 3 1972). Suspensoir des mamelles, du nez, du scrotum; porter un suspensoir. La plupart des cavaliers portent des suspensoires pour prévenir les descentes (Raymond 1832). La période aiguë calmée, le malade pourra se lever, mais avec un bon suspensoir (Hudelo ds Nouv. Traité Méd. fasc. 1 1926, p. 539).
JB tombe dans les pommes en lisant tout ça.
Une fois qu'il a sniffé ses sels et recouvré ses esprits, il dresse la liste de ses étonnements:
1) Il a été un peu vite en besogne en niant aux femmes le port du suspensoir. Cela signifie-t-il pour autant que, avant l'invention du soutien-gorges, on parlait de "suspensoir-mamelles"?
2) Il ne veut surtout pas savoir ce que sont très exactement les maladies recensées supra et qu'il a rehaussées de bleu clair et soulignées — même si…
3) Ainsi donc on disait autrefois suspensoir pour l'adjectif alors que nous disons aujourd'hui suspenseur.
Et de fait. On faisait même la différence entre l'adjectif et le substantif, lequel était adjoint d'un E final pour le distinguer du premier, ainsi que le Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne de Pierre Richelet (1759), JB trouve trouve une allusion aux muscles “crémasters” si chers à Matthew Barney. Et puis il adore cette faute de français (ce lapsus?) qui assimile les “descentes” (d'organe) aux… "décentes"!!!
Le terme est même attesté dans le Dictionnaire de l'Académie de 1798, et JB adooore le syntagme "incommodités pareilles":
Avant de passer à l'usage chirurgical du suspensoir, JB souhaite s'attarder brièvement sur l'étymologie du mot. C'est toujours le TLF qui le renseigne, mais c'est JB qui souligne en rouge:
Étymol. et Hist. 1. a) 1314 suspensoire « crémaster » (Chirurgie Henri de Mondeville, éd. A. Bos,104, t. 1, p. 35); 1561 muscles suspensoires ou cremasteres (A. Paré, Anat., I, 27 ds Œuvres, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 1, p. 155);b) 1762 ligament suspensoire du foie (Encyclop., Planches, t. 1, Anat., p. 19); 1805 ligament suspensoir (du foie et de la rate) (Cuvier, loc. cit. et p. 39); 2. a) 1611 suspensoires « cordes auxquelles un malade peut se suspendre pour se mouvoir dans son lit » (Cotgr.); b) 1828 suspensoir « instrument auquel est accroché quelque chose » (P. Buonarroti, Conspiration pour l'égalité, dite de Babeuf, pièces, II, 27 ds Littré); c) 1831 mar. (Will.); 3. 1694 (Ac.: Suspensoire. s.m. Terme de Chirurgie, Sorte de bandage dont on se sert dans les descentes de boyaux, et autres incommoditez pareilles); 1707 suspensoir (P. Dionis, Cours d'opérations de chir., p. 305 et p. 316). Empr. au lat. suspensorium, dér. du rad. du supin de suspendere (v. suspendre) et att. en b. lat. aux sens de « ce qui est accroché, suspendu » et « ce qui sert à suspendre » (Souter, A Glossary of Later Latin; v. aussi Latham et DuCange).
Non seulement la définition que JB adore est bien antérieure à 1796 puisqu'elle date de 1694, non seulement JB retrouve les muscles crémasters autour et à propos desquels Matthew Barney a réalisé ses vidéos, non seulement adjectif et substantif étaient connus d'Ambroise Paré, mais ces derniers l'étaient également en moyen français.
JB va de surprise en surprise!
En conséquence de quoi il va vérifier le terme dans le Dictionnaire du moyen français Godefroy (eh oui, en l'occurrence, ça ne s'invente pas) et trouve effectivement:
Quoi?!? On nommait les testicules coillons en moyen français? C'est dingue! trouve JB. Il va vérifier. Si le Dictionnaire Godefroy ne recense pas de coillon et le DMF non plus, et ce ni au singulier ni au pluriel, il propose un coil:
COIL, subst. masc. | FEW II-2 coleus | |
[T-L : coil ; FEW II-2, 888a : coleus] | ||
"Testicule" |
Et on note bien qu'il s'agit d'un substantif masculin alors que notre couille contemporaine est devenue féminine. Ça alors…
Mais histoire de rester quelques instants dans ce Moyen Âge et avant d'entrer dans la Renaissance, JB constate que nos ancêtres troubadours et trouvères portaient? chantaient sur? louaient? détestaient? le suspensoir, ainsi qu'en atteste le Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours de François-Just-Marie Raynouard (1842):
JB ne cesse d'être ahuri (ce qu'il est sans doute au quotidien). Les Romains portaient le suspensoir?!? Mais ça révolutionnerait l'histoire de la lingerie si c'était vrai! Ce serait toute une encyclopédie qu'il faudrait écrire: Caïus à poilus en suspensorium dans les thermes de Laudanum!
Mais nan. C'est n'importe nawak, c't'histoire. JB sait pas à quoi François-Just-Marie carburait en rédigeant son dictionnaire, mais ça devait pas être du lait chaud au miel. En tout cas, le Gaffiot ne connaît pas de suspensorium.
En revanche, JB découvre, dans le Dictionnaire Persan-Français de Jean Desmaisons, que les Iraniens connaiss(ai)ent le suspensoir, que le mot est en lien avec celui qui désigne testicule (= beyze), qu'il est donc aisé de comprendre que beyzeband signifie littéralement “bande à/pour testicule” (JB a vérifié: band désigne "tout ce qui sert à attacher"):
Et JB est content comme tout de lire le lien sémantique qui unit blanc < testicule < suspensoir, et donnerait cher pour connaître exactement l'évolution synchronique qui va passer de la couleur aux bourses — et ce d'autant plus que le persan (ou: farsi) est une langue indo-européenne.
Mais JB revient sur le territoire français et va tout de même vérifier ce suspensori médiéval, ne trouve rien mis à part ce qu'on le lit et dit en provençal:
Et il est indiqué, comme synonyme à suspensoir le mot brayer.
Et ce brayer nous intéresse à plus d'un titre puisque le voilà, l'ancêtre de notre suspensoir! Voyons d'abord la définition qu'en donne le Dictionnaire du moyen français:
BRAYER1, subst. masc. | ||
[TL, GD : braier ; FEW I, 480a : braca ; TLF IV, 927a : brayer1] | ||
A. - "Ceinture" | ||
1. COST. "Ceinture (qui maintient les braies)" | ||
2. MÉD. "Bandage herniaire, brayer" | ||
B. - P. méton. | ||
1. "Partie du corps à la hauteur de la ceinture, taille" |
Et à quoi ça ressemblait?
C'est… Ambroise Paré qui nous le montre:
Et le sieur Ambroise de tout nous expliquer des muscles suspensoires ou crémastères que l'on logera ensuite dans un brayer ou un suspensoire:
Et JB adore qu'Ambroise le tutoie!
Et JB adore également sa descirption du multi- voire du monotestisculisme:
Mais à quoi ça servait le suspensoire?
C'était un instrument qu'on employait dans le cadre d'une maladie — mais laquelle? — ou consécutivement à une opération chirurgicale — mais laquelle?
Il était plus haut question de "descente"?
Mais oui, mes petits amis, c'était en cas de descente d'organes, de ptôse autrement dit (un mot que JB adore et il aimerait tant pouvoir l'employer au quotidien). On y avait surtout recours en cas de "hargne", c'est-à-dire non pas de colère (non, ce n'était pas une ceinture de chasteté), mais bien de hernie. Sinon, pour les autres pathologies et applications, c'est Félix Vicq d'Azyr qui nous renseigne dans le volume 13 de son Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières: médecine (publiée entre 1787 et 1830; lui, pour sa part, est morten 1794 et a été le premier médecin élu à l'Académie):
Et on retrouve dans ce "bandage" la "bande" qu'utilisent les Iraniens pour nommer leur suspensoir à eux (c'est vrai, entre nous, que si ça s'appelait “bande à couilles”,on comprendrait immédiatement et on n'en serait pas là à essayer de tout comprendre à l'attelage en question — mais bon, c'est une autre histoire).
Et puis… tiens donc! C'est le grand retour non seulement de nos cavaliers qui chevauchaient en début de post à nos côtés, mais aussi du "circocèle" et du "varicocèle"! Varicocèle qu'on a vu tout à l'heure et qui est, nous explique le TLF:
N'empêche, pour une fois, foin de discrimination et de machisme linguistique puisque ces varices de l'organe génital peuvent être aussi bien masculines que féminines, toucher les femmes comme les hommes (mais, pour elles, on parlera alors de "varicocèle tubo-ovarienne" — et JB sait et sent que tou(te)s ses petit(e)s ami(e)s sont ravi(e)s d'apprendre ces précieuses informations.
Aussi, comme il souhaite les prémunir de toute maladie affreuse, il ne saurait trop évoquer le racossis dont les hommes plus particulièrement se protègeront grâce à Jacques Lacombe et son Dictionnaire de chirurgie de 1767:
On retrouve enfin nos maladies en -cèle et plus particulièrement celle-ci, le "spermatocèle", aussi ragoûtante que ces copines étudiées à l'instant. Pierre Sue, dans son Dictionnaire portatif de chirurgie expliquait déjà tout en 1783:
Or, de même que longtemps Proust s'est couché de bonne heure, longtemps les suspensoirs ont été une plaie pour qui les portait. Heureusement, en 1832, tout à changé, comme nous l'explique à présent le Dictionnaire technologique qu'on avait déjà croisé tout à l'heure:
C'est vrai que ça devait être un sacré problème!
Heureusement:
Et nous voici arrivés en 1897, quand Charles Bennett invente le jock-strap. Il a tout bonnement découvert l'arrière-train et doté le suspensoir d'élastiques, lui faisant épouser la forme plus traditionnelle du slip. Tout est bien qui finit bien et, pour ceux et celles des petits amis de JB qui voudraient faire un atelier couture dans leur palais (socialiste, JB l'espère) afin d'exhiber leur suspensoir fait maison dans des lieux d'aisances et/ou de socialisation non-verbale, ils ont maintenant le mode d'emploi clé en main.
Merci qui?
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