Plus tard, JB a avancé dans sa traduction et le personnage fouille les bibliothèques et chope un passage qu'elle copie et fourre dans sa poche où il est question de "Maresfield Garden", d'"animal empaillé", de "crânes dénudés".
Le sang (de l'abbé) JB ne fait qu'un tour.
Car évidemment il pense à Sigmund.
Puisque c'est à cette adresse londonienne que s'est installé Freud en 1938 avec toute sa famille après avoir fui l'Autriche consécutivement à l'Anschluss. À cette adresse qu'il mourra d'un cancer du… palais (tout de même, pour un psychanalyste! enfin bon).
JB se dit: "Sara joue un tour à ses lecteurs et fait une citation de…" Non, pas de Freud. Car si JB se souvient pour avoir vu des photos de son bureau et de sa maison transformée aujourd'hui en musée; s'il se souvient que le bureau londonien était la copie conforme du bureau viennois, avec ses statuettes antiques et sa quantité d'objets, JB ne se souvient pas qu'y aient figuré un "animal empaillé". Se tromperait-il?
Il va sur le site du Freud Museum, consulte les photos et… non, décidément:
Non, pas d'animal empaillé dans le bureau ou à côté du divan de Freud.
Hum.
JB revient à sa première intuition:
Et si c'était une phrase d'Anna Freud? Anna, la fille de Sigmund.
JB cherche. En vain. Il ne trouve rien. Rien qui s'y rapproche de près ou de loin.
Mais il trouve autre chose.
Une toute petite minute où Anna présente un film dans lequel on voit ses parents dans le jardin de leur résidence secondaire en périphérie de Vienne. Et JB trouve absolument touchante l'instance d'Anna à rappeler qu'il s'agit bel et bien d'un "film de famille", qui n'est pas destiné à une "diffusion publique". JB trouve absolument émouvante la voix d'Anna, presque monocorde, qui raconte simplement, sans pathos, sans passion.
On regarde.
Sigmund Freud: Films de famille
Puis JB se souvient que, en 2000, une exposition a été organisée au Freud Museum, comme c'est désormais régulièrement le cas. L'idée pour la conservatrice est en quelque sorte de confier les clés de la maison à un(e) artiste contemporain(e) qui va proposer un travail en rapport avec les lieux. Et donc, en 2000, c'est Sarah Lucas l'invitée.
Et JB, qui tient un blog tatoué et fumeur, se souvient forcément de l'autoportrait de Sarah Lucas, la clope au bec et l'œil frondeur, apposé au portrait de Sigmund Freud, le cigare à la main et le regard scrutateur:
Pour JB, qui traduit Sara, c'est une mine, cette photo.
C'est une mine car Freud occupe évidemment une place (présente et absente, consciente et inconsciente) dans les romans de Sara (par exemple: "Elle s’allume une cigarette et se renfonce dans la banquette."). Et, de la même manière, la cigarette est toujours là: tous ses personnages féminins fument. Alors que disait à l'époque Sarah, avec un H puisqu'il s'agit de Lucas et non plus de Stridsberg sans le H au prénom, de cette cigarette qu'on retrouve si souvent dans son œuvre?
C'est James Putnam, un curateur (non pas au ventre comme on disait jadis, mais aux expos comme serait tenté de dire JB non sans malice puisque c'est comme ça qu'on appelle désormais au français moderne anglicisé un commissaire d'exposition) qui l'interroge sur la même page du musée:
Puis Sarah répond ça à JP:
JB et non plus JP, qui a toujours considéré la cigarette comme un objet hautement sexuel, boit du petit lait.
Il boit du petit lait personnel, artistique et littéraire — voire traductionnel, si ses petits amis l'autorisent cet néologisme admis dans le langage technique de ses consœurs et confrères.
Mais qu'apprend-il au détour de sa visite du Freud Museum?
Que VALIE EXPORT a elle aussi été invitée au musée en question. En 2004. Ça alors!
Car comment est-elle plus ou moins entrée dans l'art contemporain, l'artiste autrichienne dont Vienne propose en ce moment une rétrospective que JB adorerait voir? En proposant cet autoportrait, réalisé entre 1967 et 1970, où elle détourne une marque de cigarettes autrichiennes très en vogue à l'époque, Smart Export (en revanche le patronyme de son pseudonyme n'a rien à voir avec la marque):
Allez, rien que pour le plaisir, on reregarde Sarah, cette fois sans Sigmund, pour comparer ces deux images qui s'attaquent à la masculinité:
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