mardi 15 février 2011

Sara et Louise

Et JB traduit cette phrase dont il ne sait par quel il doit la ponctuer — aussi met-il des XXX:
(…) il m’arrivait régulièrement dans ces moments-là de m’abandonner au sommeil, de tout quitter pour sombrer dans l’obscurité, de voir disparaître les sillons de lumière comme si quelqu’un se tenait à côté de moi muni d’un fil et d’une aiguille pour les XXX

Le verbe est en suédois sy igen, donc recoudre, raccommoder d'une certaine manière.
Et comme il hésite, JB pense forcément à Louise Bourgeois, Louise Bourgeois qui est tout le temps présente dans l'œuvre de Sara. Il trouve le passage qu'il cherchait:


Et ce passage, JB le croirait tout droit sorti d'un roman de Sara, écrit ou dit par un personnage inventé par Sara. Le mot que JB cherchait est là, bien présent: raccommoder, utilisé une première fois sous sa forme verbale, une seconde fois sous sa forme substantivée.
Et, lisant cela, JB ne va pas modifier le passage qui intervient à la page suivante, la page suivant l'extrait cité supra:
Mon père est toujours aussi époustouflé chaque fois que le phénomène se produit: être percutés par cette explosion de lumière avant que la nuit ne nous tombe dessus comme une lourde draperie.
Il va donc utiliser le mot que Louise Bourgeois associait au raccommodage:
Mon père est toujours aussi époustouflé chaque fois que le phénomène se produit: être percutés par cette explosion de lumière avant que la nuit ne nous tombe dessus comme une lourde tapisserie.

JB a déjà utilisé consciemment dans sa traduction de Darling River un terme qu'il a chipé dans le vocabulaire de Louise Bourgeois:
Nous nous mettons seules en chemin et n’avons par la suite aucune possibilité de retour ni de rapapillotage.
Ce mot, il l'avait découvert grâce à M. et avait longuement glosé à son sujet en août dernier. M. signalait en effet à JB:


JB s'autorise ces libertés avec d'autant plus de décomplexion que Sara avait déjà utilisé une phrase de Louise Bourgeois dans La faculté des rêves, ainsi que JB l'avait montré en juillet dernier (et là encore, c'était grâce à l'entremise de M.). Il s'agissait en l'espèce d'un tissu (donc la couture, donc le raccommodage, donc le rapapillotage) que JB tendait vers le ciel avec fierté:

 © icke

Dans le roman, le phrase revenait à deux reprises:


Pas plus tard que hier, JB traduisait dans Darling River, le passage suivant:
L’appartement prenait chaque jour davantage des allures de chapelle funéraire abandonnée et les cintres étaient transmués en ces épaules cireuses et osseuses que j’avais un jour enduites de pommade à la cortisone pour que cessent les démangeaisons.
Et en quoi sont faits les cintres auxquels sont suspendus les vêtements dans cette œuvre de 1996? Bingo: des os.


Et ils portent quoi, ces cintres, chez Sara?
Re-bingo:
(…) des combinaisons et des jupons (…)

D'autres exemples?
Celui-ci:
J’adore lorsque les inconnus explorent les coutures et les ouvertures de mon corps, lorsqu’ils crient mon nom par-delà le fleuve silencieux qui réexpédie son écho plein de toutes les roses et toutes les larmes qui n’ont jamais cessé d’y virevolter.

À mettre en parallèle avec, par exemple, ces poupées suspendues de Louise Bourgeois:


Allez, on finit sur une dernière citation de Sara Stridsberg qu'on met en miroir avec une œuvre de Louise Bourgeois et qui n'ont a priori rien à voir. A priori.
J’étais dans l’attente permanente d’un signe. Une fissure lumineuse dans le ciel muet au-dessus. Une couture qui viendrait soudain par sa grâce lacérer cette voûte bleutée aux ondulations cadavériques.

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