Quoi qu'il en soit, mon goût pour les collisions en chaîne de coïncidences n'étant pas entamé (et j'en ai fourni de nombreux exemples ici), je n'ai pu que m'étonner, en ce 23 janvier, il y a donc 10 jours, combien la fiction est rattrapée par la réalité. Le même jour, je traduisais un passage du roman du Johan ainsi qu'un autre du roman de Sara, qui tous les deux étaient très proches, et voilà que l'actualité venait ponctuer, parachever l'air de famille, boucler la boucle. Et pour peu qu'elle ne soit pas bouclée (elle ne peut pas l'être…), ce post viendra ajouter son arc à tout ce cercle pas forcément vertueux (du moins aux yeux d'une certaine autorité) mais en tout cas concentrique.
D'abord Johan. Ensuite Sara. Ensuite l'actualité.
1) Johan, toujours tiré de Buzz Aldrin. Le personnage principal, Mattias, est allé fouillé dans les dossiers médicaux psychiatriques de Havstein, psychiatre de profession, et tombe sur celui d'une des deux filles avec qui il cohabite dans leur communauté:
Les premiers symptômes remontent à novembre 1998 et évoquent des manifestations récurrentes d’anxiétés, de troubles dissociatifs, de syndrome confusionnel, chaque fois plus aiguës. Délire : la patiente a l’impression que « quelqu’un » la poursuit pour s’emparer d’elle, décrit des voix qui se chevauchent et qu’elle capte à la suite d’une « erreur ». Ces voix sont supposées être celles de marins cherchant le meilleur moyen pour lui ôter la vie. Le père de la patiente décrit également des épisodes d’hallucinations et de délires visuels rapportés par la patiente elle-même, laquelle n’est toutefois pas en état de les identifier comme tels. Il s’agit majoritairement de « marins morts qui dans la journée arpentent ma cuisine en tapant des pieds et qui la nuit chuchotent debout à côté de mon lit, ils sont dégoulinants de flotte » (explications fournies par la patiente). La présence imaginaire constante de ces créatures induit chez elle une peur de se déplacer hors de la maison, une peur de manger, de dormir, etc. La première hospitalisation date du 21.01.1989 en raison d’une TS à son domicile de xxxxxxxxxxx, découverte par son amie, xxxxxxxxxxxxxxxx, qui, avec le père de la patiente, la conduit à l’hôpital. Admise aux urgences de l’hôpital de Tórshavn, puis transférée le lendemain matin dans nos services. Traitement mis en œuvre : antipsychotiques atypiques et thérapie psy. pdt. 4 semaines. (…) 19.02.1989 : le premier diagnostic posé sur la pathologie a été un syndrome de Ganser, aujourd’hui remplacé par une réaction psychotique doublée de symptômes évoquant une schizophrénie. Nous sommes très peu renseignés sur cette pathologie, et notamment sur son étiologie, mais de nombreux signes donnent à penser que les facteurs biologiques ont une importance non négligeable, ainsi que des réactions biochimiques cérébrales.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française
2) Sara, toujours tiré de La faculté des rêves. Valerie Solanas, après avoir tiré sur Andy Warhol, est internée dans un hôpital psychiatrique:
DOCTEUR RUTH COOPER (riant, puis retrouvant aussitôt son sérieux) : Je crois que tu vis dans un fantasme et que tu te trouves, pour l’heure, dans une réaction schizophrénique de type paranoïde.
VALERIE : Mazette. Et moi je peux te parler de l’infériorité flagrante des hommes. De l’ordre naturel établi. Alors qu’il n’y a aucune raison de faire intervenir des souris mâles. Les souris femelles peuvent avoir entre elles des bébés souris. Je peux te parler de mes recherches en laboratoire.
DOCTEUR RUTH COOPER : En dépit de tes efforts acharnés par apparaître comme une misanthrope rigide, implacable et cynique, tu es en réalité une enfant épouvantée et déprimée.
VALERIE : Appelle-ça comme ça si ça te chante. De toute manière, tu ne connaîtras jamais mon vrai prénom.
DOCTEUR RUTH COOPER : Une petite enfant épouvantée, voilà ce que tu es. Mon sentiment, c’est que tu es minée par la peur, minée par la haine de soi.
VALERIE : Mon sentiment, c’est que tu es une petite femme à hommes épouvantée. Mon sentiment, c’est que tes efforts sont totalement vains. Mon sentiment, c’est que tu n’es qu’une petite suceuse de bites vraiment bêtassonne. Mais ce n’est pas ta faute. Tout est lié à ton enfance malheureuse dans le patriarcat.
DOCTEUR RUTH COOPER : Nous parlons donc d’une réaction schizophrénique de type paranoïde, doublée d’une dépression profonde et de potentialités destructrices colossales.
VALERIE : Je ne suis pas malade.
DOCTEUR RUTH COOPER : Tu es très malade, Valerie. Ce qui ne signifie pas que tu ne sois pas une femme obstinée et très intelligente.
VALERIE : Ce n’est pas une maladie. Au risque de me répéter : mon état n’est pas un état pathologique. Mais plutôt un état d’extrême clarté, un état de lumière blanche éblouissante, projetée par une lampe chirurgicale scialytique sur tous les mots, toutes les choses, tous les corps, toutes les identités. Rien qu’une brasse coulée pour m’éloigner de toi, rien qu’un cri proféré loin de toi, Docteur Cooper, et tout paraît déjà différent. Ton prétendu diagnostic correspond à la description exacte de la place de la femme dans un système de psychose de masse. La schizophrénie, la paranoïa, la dépression, les potentialités destructrices. Au sein du patriarcat, toutes les filles savent que la schizophrénie, la paranoïa, la dépression, ne sont nullement une description d’un état pathologique individuel. C’est le diagnostic parachevé d’une construction sociale, d’un régime politique fondé sur des outrages incessants perpétrés contre la capacité cérébrale de la moitié de la population, un régime fondé sur le viol.
DOCTEUR RUTH COOPER : Je veux t’aider, Valerie. Mais j’ai besoin d’en savoir plus sur toi pour être en mesure de le faire.
VALERIE : J’ai moi-même une formation universitaire au sein d’une institution psychiatrique et d’un laboratoire animal dans une université du Maryland. Ce qui signifie que je pose moi-même les diagnostics.
© Sara Stridsberg pour le texte original; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Albert Bonniers Förlag pour l'édition originale; © Éditions Stock pour l'édition française
© Albert Bonniers Förlag pour l'édition originale; © Éditions Stock pour l'édition française
3) Dans son édition du 23.01.2009, Libération interviewe 6 représentants de différents cercles et milieux professionnels dans le cadre de ce que le quotidien nomme Le front des refus. Chacun à leur manière, chacun dans leur domaine, ces personnes s'insurgent contre la politique de Nicolas Sarkozy. Parmi eux est interviewé Elie Winter, psychiatre à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif et psychanalyste. Voici ce qu'il dit:
«Notre "Appel des 39" est en réaction immédiate avec le discours de Nicolas Sarkozy, le 2 décembre à l’hôpital psychiatrique d’Antony, où il a fait l’amalgame du malade mental et du fou dangereux. Le fait que ce soit le président de la République qui parle change la donne. Cela ne concerne plus seulement la psychiatrie, cela touche à tous les contre-pouvoirs. Ce qui nous est paru insupportable, c’est la négation, le déni de la maladie psychique, le déni de la psychose. Nier la folie, c’est nier la vie. Le discours de Sarkozy ne tient aucunement en cause qu’il y a quelqu’un de souffrant. Un schizophrène a besoin d’être aidé. A ce jour, plus de 20 000 personnes ont signé notre appel. Evidemment, entre les différents appels, les mots sont différents, mais on doit discuter ensemble pour préparer ensemble l’avenir.»
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