mardi 17 février 2009

Nicos Augen

Je parle régulièrement ici des coïncidences de traduction qui ont une vertigineuse et époustouflante tendance à faire se percuter le travail autour du roman de Johan et celui autour du livre de Sara. Cette fois, la collision a lieu par l'entremise du Velvet Underground, mais aussi de Nico. La Faculté des rêves, de Sara, se déroule pour partie dans ces années de la Factory, les fantômes fictifs de Morrissey, de Maurice Girodias et bien sûr d'Andy Warhol ne cessent de traverser les pages comme autant de réminiscences d'une période qui semble (allez, on va jouer d'autant plus les vieux cons qu'à l'époque j'étais pas encore né) aujourd'hui improbable, irréalisable, ou peut-être sous d'autres latitudes, en Amérique du Sud, je ne sais pas, je n'y suis allé. Bref. Dans le roman de Johan, il est question, donc, de Nico. Voici:
Eyðdis s’est levée, est entrée dans la maison puis en est ressortie une minute plus tard avec un radiocassette dans les mains qu’elle a posé sur l’herbe humide à côté de nous. Play.
Grattements de guitare puis voix acide dans les haut-parleurs.

— Qui c’est ? j’ai demandé.

— Nico.
Chelsea Girl.
J’ai secoué la tête. Je ne connaissais pas.

— Elle était d'origine allemande. Elle a fait partie du Velvet Underground, au début.

— Ah.

Et donc on a écouté Nico. Nico qui avait été mannequin, avait joué dans La Dolce Vita de Fellini, avait été une amie d’Andy Warhol, avait enregistré des disques dont certaines chansons écrites pour elle par Lou Reed, qui avait disparu et qui était morte à Ibiza en 1988, à l’âge de cinquante ans. Elle n’avait pas forcément une belle voix et en même temps ce n’était pas grave, c’est comme ça qu’elle devait sonner.
I’ve been out walking. I don’t do too much talking. These days, these days. These days I seem to think a lot. About the things that I forgot to do. And all the times I had the chance to.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française


Ce qui bien sûr est étonnant, c'est l'autre collision avec la réalité. Il y avait en effet à Berlin, l'été dernier,une exposition consacrée à un photographe pédé allemand, Herbert Tobias, mort depuis. Tobias a beaucoup photographié la mode à Berlin dans les années 60 et, dans cette exposition, j'étais tombé sur cette photo de Nico. C'est d'ailleurs lui qui l'a découverte. Bouleversante de beauté, Nico, mais bouleversante de beauté, la photo, car elle montre une Nico qu'à mon sens on ne connaît pas – à mon sens on ne garde de Nico que l'imagerie américaine, période Velvet, période Factory, comme si l'acmé de sa carrière réduisait définitivement celle-ci à ces quelques années, comme si elle était née ex nihilo à ce moment-là de sa célébrité. Regardons cette photo qui, il me semble, a été prise en 1962.

© Herbert Tobias


Johan fait ensuite mention dans sa fiction de
La dolce vita et du rôle que Fellini a donné à Nico. Car entre-temps Nico la mannequin est devenue une star de la mode. Ce qui est surprenant dans ce passage, dans ces images qui semblent surgir des années 50, pas des années 60 comme on aime à se les rappeler (cf. supra), c'est que justement elles montrent un Nico déjà déjantée, presque déjà sous acide. Et juste une parenthèse, quand on la voit apparaître dans le cadre, avec sa coiffure blonde, puis quand on entend sa voix, on se dit qu'il s'agit de Catherine Deneuve: le timbre est presque identique. Là aussi, on regarde l'extrait de Fellini:



Et justement, en parlant de voix, quand on compare sa voix quand elle parle en allemand dans le film (où elle parle avec une voix plus grave, puisque chaque langue a son intonation qui peut varier considérablement de plusieurs octaves d'une langue à l'autre, cf. l'anglais et le chinois), là on retrouve des accents de la voix de Nico chanteuse telle qu'elle se révèlera sur Chelsea Girl ou le disque avec les Velvet. Mais là, dans le film de Fellini, c'est presque encore une voix de toute jeune fille alors qu'elle a déjà 23 ans. Or, en à peine 5 ans, elle semble avoir perdu une octave, même si elle trafique cette voix qu'elle pousse à son niveau le plus bas.
Pour illustrer sa période américaine, j'ai cherché le morceau Chelsea Girls, puis je suis tombé sur cette version de Femme fatale, où elle écarquille de grands yeux exorbités et acidifiés, où elle semble terrorisée par la foule, où elle paraît si fragile. Et il y a dans ce morceau à l'ambiance complètement foutraque une pureté musicale qui tient au violon qui berce l'orchestration pour le coup plus du tout aussi improvisée qu'elle n'en donne l'air.



Quand je parlais de Nico à Andreas, hier soir, il me disait qu'elle est en fait enterrée à Berlin, dans un cimetière de Grunewald. Sa tombe est paraît-il très simple, à peine visible.

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