lundi 15 février 2010

"i will ease your mind"

Traduisant, écoutant:
   
 Alors mets-nous ce que tu qualifies de banalité confondante !
 Ah oui…, dit-elle d’une voix atone en se tenant la tête entre les mains – et je vois qu’elle a bu une certaine quantité de vin. C’est la chanson que tout le monde connaît, indique-t-elle. Le grand tube de l’année. Bridge Over Troubled Water.
 Il est possible que je l’aie entendue…
 Mais tu ne l’as pas entendue sur la chaîne hi-fi démentielle de Bror ! corrige-t-elle avec un sourire. Tu n’as pas entendu cette production infernale, ni ce à quoi peut ressembler le tonnerre !
 J’en conclus donc ce n’est pas ça que tu souhaites me montrer.
Elle me sourit. Me dévisage, avec un regard certes plein de gratitude mais contraint.
 Bien, dit-elle. Très bien.
Elle pose le diamant sur le vinyle. Des crépitements impatients retentissent. Preuve qu’elle n’en est pas à sa première écoute. Elle se rassied dans son fauteuil. Ouvre grand ses oreilles, ferme les yeux. Moi aussi je tends l’oreille mais je ne la quitte pas du regard. Sait-elle ce qu’elle fait ? Les paroles laissent de petites empreintes sur son visage. Combien de fois a-t-elle écouté cette chanson ? Autant de fois que moi avec la Symphonie n°3 de Mahler ? En effet, je connais cette chanson. Elle passait à la radio tous les jours, lorsque Rebecca et moi écoutions l’émission de radio Neuf heures à la bonne heure au chalet des Frost.
Marianne Skoog a un peu trop bu. Elle n’est plus en mesure de contrôler ses émotions. Lorsque Art Garfunkel entame le deuxième couplet, « When you’re down and out. When you’re on the street. When evening falls so hard, I will comfort you. », elle prend une profonde inspiration tandis que son corps tremble. Et, ensuite : « When darkness comes and pain is all around, like a bridge over troubled water, I will lay me down. »

© Ketil Bjørnstad, pour la version originale, H. Aschehoug & Co (W. Nygaard), 2007
© Jean-Baptiste Coursaud pour l'édition française, Éditions Jean-Claude Lattès, 2010


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