mercredi 21 janvier 2009

"Ich war viel allein"

Traduit hier, dans la nuit, ce passage du prochain roman de Johan Harstad, Buzz Aldrin – où donc es-tu passé?, à paraître aux éditions Gaïa très prochainement.
Le roman se passe aux îles Féroé. Le narrateur et personnage principal s'appelle Mattias. Mattias a décidé de devenir numéro 2, de ne jamais être dans la lumière, de laisser les autres y aller. Il va vivre dans une communauté qui est aussi une institution post-pyschiatrique. Dans le passage ci-dessous, il parle d'Ennen, qui elle aussi vit dans ce collectif:

Elle prend des bus au hasard. Prend le premier venu. S’assied tout au fond. Fixe droit devant elle. Croise les yeux de ceux qui montent, des jeunes gens et des adolescents qui n'arrivent pas à poser leur regard ailleurs que sur elle, qui sont tout seuls dans le bus et rêvent de petites copines qu’ils n’auront jamais, comme celle-ci qui est belle comme un cœur avec sa petite valise sur les genoux. Et Ennen croise tous ces regards, elle baisse les yeux, elle relève les yeux, elle attend, elle regarde ces hommes qui l’observent, qui ressentent des picotements dans le ventre lorsqu’ils l’observent. Or, une minute avant que l’un d’eux n’ose se risquer auprès d’elle, une seconde avant qu’un garçon ou un autre se lève pour s’aventurer vers elle, elle descend. Elle prend un nouveau bus. Et continue ainsi. Elle surgit partout dans le pays. Elle est celle que vous finissez toujours par rencontrer, tôt ou tard, dans le bus, dans le train, dans l’avion, celle que vous ne remarquez qu’une fois que vous vous êtes installé, celle dont vous croisez le regard et qui vous fait rougir : brusquement vous avez chaud parce qu’il est impensable de tomber amoureux comme ça, aussi vite que ça, à cause d’une apparence, d’un coup d’œil furtif, c’est impensable ce genre de coup de foudre. Vous devriez dire quelque chose, voilà la réflexion que vous vous faites, vous devriez descendre au même arrêt qu’elle car il n’y a pas de plus belle personne qu’elle. Et si seulement vous osiez, si seulement vous disiez quelque chose, là, tout de suite, si vous descendiez en même temps qu’elle, si vous vous approchiez d’elle, la serriez dans vos bras, là vous vous rendriez sans doute compte, peut-être, peut-être voire certainement, que vous venez de rencontrer la personne qui fera de vous l’homme le plus heureux qui ait jamais existé dans tout l’univers. Seulement voilà, vous ne faites rien de tout ça. Vous ne descendez quasiment jamais au même arrêt qu’elle. Vous ne vous levez pas dans le bus pour aller adresser la parole à cette jeune fille. Ou à ce jeune homme, pendant qu’on y est. Vous restez assis, vous échangez un regard ou bien vous détournez le regard, jusqu’à ce que l’un de vous descende et que vous ayez tout oublié quelques heures plus tard. Puis un beau jour, dix, vingt ans plus tard, vous ressentez à nouveau le même picotement, vous réussissez à la visualiser à nouveau et là vous savez pertinemment que vous auriez dû aller au bout de votre désir, vous auriez dû dire quelque chose. Ce que vous n’avez pas fait. Et donc vous êtes là, tout seul, tout seul avec la certitude qu’au moins une fois, rien qu’une fois, rien qu’un instant dans votre vie, vous avez été aimé, sans aucune restriction, sans aucune condition. Rien qu’un instant, un claquement de doigts. La minute mélodramatique.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française


Et, immanquablement, on (re)pense aux Ailes du Désir et la désormais mythique déclaration d'amour de Marion. Immanquablement, je repense à Berlin, aux raisons – aussi – de ma présence ici. Toutefois, c'est davantage cette scène que je souhaite montrer:

Aucun commentaire: