lundi 26 janvier 2009

Kreppa!

Lu cet après-midi, dans Libération, un article sur l'Islande et la crise économique (croissance de l'Islande prévue pour 2009: … -9,8%!!!). Je cite:
Dans les cafés, les restaurants, la kreppa - la crise - est sur toutes les lèvres.
La… kreppa? Quel mot bizarre, je me dis illico, conscient que, même si elle est sur toutes les lèvres, il ne s'agit pas de la crêpe Suzette (hö!). Certes, l'islandais est une langue protectionniste, qui interdit l'introduction de mots étrangers et, à travers son Conseil de la Langue, en crée sans cesse de nouveaux à partir du vocabulaire islandais, qu'il soit usité ou tombé en obsolescence.
Du coup, je suis allé farfouiller dans les dictionnaires. Et là, c'est pas-sion-nant! Du moins pour le linguiste que je suis.

L'étymologie, d'abord. Le terme vient du vieux norrois kreppa, qui signifie rétrécissement. Aujourd'hui, on dit skreppa en islandais pour désigner quelque chose qui se rétrécit, se ratatine. Cela a donné, nous indique le dictionnaire étymologique suédois, schrumpfen en allemand, krympa en suédois, krype en norvégien, shrink en anglais.
Ainsi, primo: crise économique = rétrécissement.
De fait, récession = rétrécissement.
Donc: crise économique = rétrécissement = récession.

Mais ce n'est pas tout. Si on regarde le champ lexical du substantif islandais kreppa, sur le site islandais Orðabanki, on voit d'abord qu'il se réfère bel et bien au domaine économique puisque les traductions proposent respectivement: dépression, crise économique, conjoncture basse. Confer:

Pour s'en assurer, on va sur le Wikipedia islandais, on tape kreppa, la page propose des pages équivalentes en d'autres langues, et on obtient dépression, dans son sens économique.
Bon.
Or donc: crise économique = rétrécissement = récession = dépression.

Dépression? Crise? C'est ça qu'on vient de lire et de dire et d'écrire? Et puis qu'est-ce qu'on vient de lire, plus haut? Kreppa = panic? Le substantif a également le sens de panique?! Alors, là c'est intéressant. En gros: en islandais, une crise économique serait synonyme de panique; une dépression économique signifierait la crise, dans toutes les acceptions du terme, voire pire que ça, le branle-bas, la déroute, l'affolement.
On reprend:
crise économique = rétrécissement = récession = dépression = panique.

Pas mal!

De fait, quand on regarde dans le dictionnaire islandais/anglais de l'Université du Wisconsin, on apprend que le premier sens du substantif kreppa est: difficulté, mauvaise passe.
La synonymie islandaise rapproche le terme du substantif vandi, qui a donné vandamál = problème, Notons au passage que tous les verbes ou substantifs scandinaves formés à partir du suffixe van-, ont une connotation fortement péjorative. Aujourd'hui, en norvégien, un visage défiguré est vansiret, un être difforme, monstrueux est vanskapt, une personne folle à lier est vanvittig; une illusion en suédois est une vanförestilling etc. (c'est moi qui souligne). Le suffixe est équivalent au vanus latin, donc vain, lui aussi dans toutes les acceptions du terme (vide, stérile, illusoire…).

Autrement dit, et pour conclure:
crise économique = rétrécissement = récession = dépression = panique = difficulté = monstruosité.
Et puisque la crise est une crise du capitalisme, cela signifie que le capitalisme est une monstruosité, n'est-ce pas? J'adooore!


PS: On ne saurait tout à fait conclure sans une petite blague sur… la crise monstrueuse. Trouvée ici, cette blague:
Q: Qu'est-ce que la plupart des banques islandaises et un nudiste islandais ont en commun?
R: Ce qu'ils ont de plus précieux est gelé!
Re-hö!

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