mercredi 28 janvier 2009

L'enfance

Johan, toujours. Buzz Aldrin, toujours.
Juste avant d'aller me coucher, et sans commentaires, ça:
J’ai beaucoup pensé cette nuit-là. À Sofus qui voulait des amis mais n’en avait plus. À moi qui n’en voulais pas mais en avais toujours de nouveaux. J’ai pensé à quel point l’enfance peut être synonyme de solitude, à quel point parfois ce peut être dur à s’en taper la tête contre les murs, un peu comme s’il fallait que vous fassiez rentrer des baleines bleues dans des pellicules photos, ou comme si à chaque coin de bâtiment que vous atteigniez vous tombiez nez à nez sur le plus grand bonheur qui puisse exister tant et si bien que vous finissez plus ou moins par exploser, ou encore comme si l’égout le plus ténébreux qui soit existait pour de vrai, celui dont vous ignoriez l’existence, celui qui vous oblige à dormir avec la lampe allumée en songeant que ça ne finira jamais par s’arranger, que jamais plus rien ne finira par s’arranger. Et vous allez à l’école en rampant, les mains tendues devant vous car vous êtes un reptile, et tout ce que vous faites foire lamentablement, vos notes sont lamentables, vous vous dites que vous n’allez pas y arriver, que jamais vous n’y arriverez puisque c’est ce qu’ils vous ont dit, et que toujours vous serez en marge. Et plus tard, quand en fin de compte ça ne va pas si mal que ça, doué de réflexion en bon adulte que vous semblez être, fort de la sagesse rétrospective que l’âge daigne vous accorder, vous vous dites finalement : ce ne sera pas plus facile, vous n’allez pas y couper cette fois encore bien que vous soyez adulte, cela va toujours exiger de vous que vous mobilisiez toutes les forces que vous possédez, cela va toujours vous user jusqu’à l’os, jusqu’à ce que vos os se cassent et que vous-même ça va casse en deux. Du moins c’est l’impression que vous avez. À croire que rien, absolument rien n’a changé. Alors qu’en réalité, si. Tout a changé. Et vous le remarquez un matin, un après-midi, un dimanche de février, la pire journée qui soit, vous vous rendez compte que quelque chose est différent, car vous savez pertinemment que vous ne voudriez pas redevenir un enfant, oh là là non, pour rien au monde, vous vous dites que si c’est ça qui devait se passer vous n’en auriez même pas la force, et c’est justement là, à ce moment-là que vous remarquez que quelque chose a relâché son étreinte, que vous êtes déchargé de quelque chose. Comme si pour la première fois vous marchiez en ville sans vos grosses bottes fourrées alors que c’est l’hiver. Comme si vous marchiez avec aux pieds des tennis légères et douces. Vous êtes plus près du sol. Vous tenez mieux d’aplomb sur vos jambes. Quelque chose a desserré son étreinte et vous êtes désormais en mesure de formuler cette pensée : ce n’est pas si grave que ça.
© Johan Harstad pour le texte; © Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction
© Gyldendal Forlag pour l'édition originale; © Gaïa Éditions pour l'édition française

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