vendredi 8 octobre 2010

Les morpions et les scorpions

Ce matin, JB réentend le fameux Barbwire de Nora Dean, enregistré en 1969. On l'écoute:



Et aujourd'hui, contrairement aux autres fois, il écoute minutieusement les paroles - ou bien ces paroles l'interpellent aujourd'hui comme jamais:
Oh, mama, ma ma ma!

I met a boy the other day, he got barbwire in his underpants

I got a brick in my back, I lick him hard upon his head

Bon.
De deux choses l'une: soit Nora Dean chante une chanson de poils (comme on dit si bien en français), soit c'est JB qui a l'esprit mal tourné.
Et JB est ravi de résoudre aussi rapidement une énigme:
Les deux, Monseigneur!
De quelle compilation de Trojan JB tire-t-il le morceau?


Ex-ac-te-ment. D'une compilation de chansons pornos.
Et Stephen Nye, le compilateur, d'indiquer:
(…) another rude reggae hit, this time by Nora Dean who recorded the anecdotal Barbwire, an unconventional version of the Techniques' rocksteady hit, You Don't Care (…) Who can forget the disturbing opening line “I met a boy the other day, he got barbwire in his underpants”?
Pour JB, le fameux barbwire n'est autre que le pediculosis pubis, à savoir cette bestiole:


Yummi! comme disent les Ricains.
Puisque, oui, l'insecte supra n'est autre qu'un… morpion.

Mais JB n'est pas sûr de lui.
Barbwire est une forme argotique de barbed wire, qui signifie fil barbelé. La métaphore est facile.
Puis il se dit que, non, décidément, c'est lui qui voit et entend et lit des cochoncetés là où il n'y en a pas.
Il cherche dans le Urban Dictionary, rien en ce sens. Il cherche dans The Concise New Partridge Dictionary of Slang and Unconventional English, rien en ce sens non plus. Sinon que, en slang australien, barbed wire désigne une bière à cause de la marque XXX.

Persuadé qu'il se trompe, il passe à autre chose, se remet au travail.
La journée passe.
JB ne se sort pas ce Barbwire ni ces morbaques de la caboche. Au point que ça devient un "morbarbwire".
Il se remet en quête. Et cette fois pour de bon.
Il se rend compte qu'il n'est pas le seul à ne pas comprendre:


Il se rend compte qu'un autre skinhead, bien avant lui, s'y est cassé les dents:


Et il trouve la réponse:



Et il trouve mieux que la réponse, il trouve l'explication de la bouche même de Nora Dean:


Ainsi donc, Nora Dean avait écrit un chanson sur un homme portant un fil barbelé autour de la tête, qui l'avait agressée, mais, comme elle avait une pierre dans son dos, elle la lui a balancé à la figure - sachant que to lick en anglais jamaïcain ne signifie pas lécher, mais frapper. Et c'est l'ingé son, Byron Smith, qui a insisté pour qu'elle chante "he got barbwire in his underpants", dans son slip donc, et non, on imagine, "around his head". D'où l'ambiguïté des paroles.
Bon, voilà une autre énigme de résolue.

Puis, continuant à chercher, JB trouve ça:


Augustus Pablo, le roi du dub des années 70, a fait avec Nora Dean, en 1975, une autre version du morceau. Et le barbwire est devenu… JB vous le donne en mille, mes petits amis: a scorpion!
Après le morpion, le scorpion. Sachant qu'en anglais, un morpion se dit en langage parlé: a crab = un crabe.
JB n'en revient pas!

Voici le morceau:



Et dire que JB pensait n'avoir qu'un neurone… Comme quoi son intuition matinale n'était pas si nulle.
Du coup, toutes ces analogies et ces métaphores font s'interroger JB encore plus:
Quelle est l'étymologie du mot morpion?
Ni une ni deux ni trois, JB va vérifier dans le Robert historique de la langue française:

MORPION n.m. est composé (1532, Rabelais) de mords, impératif de mordre, et de pion “fantassin” (-> piéton), pion étant relevé au sens de “pou” en wallon dès le XVe siècle: le morpion serait donc le “pou du soldat”, soit un “pou qui mord”; à moins que, avec Pierre Guiraud [le nouveau pote de JB], on ne fasse intervenir le verbe pionner “piquer”, doublet de piocher, pioter, pour un faire un “pou qui pique”.

JB était à cent lieues de s'imaginer que même l'étymologie du mot morpion était sujette à discussion voire à discordes. Décidément, les morpions nous réservent des surprises inimaginables et toujours réjouissantes!

Alors, le morpion, ou pou du pubis: le pou du soldat ou le pou qui pique?
En voilà une question ontologique qui taraude JB.
Car, de fait, JB apprend aussi plein de choses sur les morpions:
• ils ne connaissent qu'un seul hôte: l'être humain.
• les morpions adultes ne restent que 24h sur le corps, mais les lentes jusqu'à 8 jours.
• on peut même avoir des morpions dans les cils, confer:


Oui, JB reconnaît que c'est horrible, mais ça aussi c'est la vie, mes petits amis.

Et comme c'est la vie, JB se demande si les Indo-Européens avaient eux aussi des morpions.
Ni une ni deux ni trois ni quatre, il va vérifier auprès de ses potes Mallory & Adams et… et… et… Bingo! Le mot reconstruit était °lu- (ou: °lus-). Lus est le mot norvégien signifiant pou, (pour le morpion: flatlus = pou plat) comme on dit Laus en allemand (pour le morpion: Filzlaus = pou du feutre < des vêtements) ou louse en anglais. Et les Indo-Européens ont dû avoir des poux et des morpions car, ainsi que le soulignent Mallory & Adams:
The reconstructable names of Indo-European insects are largely a list of nuisances rather than an indication of economic importance. The nuisance factor suggests a certain emotional valence associated with a number of the insects which may well account for many of the phonologically irregular outcomes and metaphorical shifts to other referents.
Grosso modo, les Indo-Européens s'en foutaient de la plupart des autres bestioles car ils étaient eux aussi sacrément emmerdés par ces saloperies et les trouvaient eux aussi dégoûtantes.
The word for “louse”, lu-, has seen massive reshaping with more expected outcomes from Celtic (New Welsh llau) and Germanic forms such as New English louse, but dialectal forms such as Lithuanian víevesa, Russian vosi, and Sanskrite yúka. The young of the louse, the “nit” (°rík) is reconstructed on the basis of an Italic-Indo-Iranian set, e.g. Latine ricinus, Sanskrit liksa.
Comme quoi, les morpions, les poux et les lentes n'étaient pas comme la circulaire Besson-Hortefeux: ils agissaient de façon non-discriminatoire selon les peuples et les ethnies.

Sur cette nouvelle réjouissante, on se quitte. Mais on se retrouvera bientôt pour comprendre, avec le nouveau pote de JB, Pierre Guiraud, que avoir le nazi signifiait en 1874 non pas être facho, mais être… syphilitique.

JB souhaite à tous ses petits amis ravis de la lecture de ce post une bonne soirée, hein! Et comme le morpion est entre-temps devenu un jeu, on regarde un autre jeu: le jeu de l'oie. Babaille!

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