mardi 14 septembre 2010

Mauviette!

JB traduit ce passage du roman de Maria Parr - et c'est lui qui souligne:
[Tonje] vient de sortir son vélo pour la première fois depuis le début de l’année. Geir la Mouette fait un potin du diable en tournoyant au-dessus d’elle. À l’époque où ils lui ont appris à voler, ils avaient pour habitude de le poser sur le casque de Tonje. Il y restait jusqu’à ce qu’elle ait pris de la vitesse, après quoi il osait quitter sa monture. Et, là seulement, il s’envolait. Seulement voilà, une fois qu’on a inculqué quelque chose à une mouette, le pli est pris, et plus moyen de lui ôter de sa petite tête. Tant et si bien que Geir la Mouette débarque toujours en piaillant dès que Tonje sort son vélo, même s’il n’est plus un bébé mouette.

Et JB de se demander: comment s'appelle le cri de la mouette? A-t-il un nom particulier tout comme on dit que la pie (la copine de JB) agasse, bavarde, cajole, jacasse ou jase; que la bécasse coucouanne, croule ou croûte (véridique! on imagine la situation: "Oh, ma bécasse, qu'est-ce que tu croûtes bien!"); que la caille courcaille et l'albatros piaule, etc. etc. etc. Mais la mouette? Sur ce site franco-italien hyper bien foutu, et qui recense les cris des animaux dans les deux langues, JB apprend tout des onomatopées de la mouette, mais toujours pas le nom qui caractérise son cri (de la mouette, pas celui de JB):



En réalité, la mouette fait ce bruit-là:



Bon, outre que la vidéo est tordante et qu'on se dit que Tonje a ce genre de discussions avec Geir la Mouette, son animal domestique, cela ne nous renseigne pas trop sur le nom exact du cri. JB va d'abord vérifier dans le TLF, au mot mouette, mais son cri n'y est pas indiqué. Il va consulter sur le même site le verbe piailler, trouve ceci:


Les moineaux et le geai, d'accord. Mais la mouette? Du coup, il clique sur criailler, donné comme synonyme, et trouve ceci:


Les hirondelles, le faisan, l'oie, le paon, la perdrix, le perroquet et la pintade, c'est l'Arche de Noé de Sheila ("on le prend, dis, maman?") - mais une arche sans mouette, ce qui n'en est pas une. Sur la liste des cris des animaux que possède JB, la mouette n'est pas non plus recensée. C'est très impoli envers elle, trouve JB. Sachant que la mouette est de la famille des goélands, JB jette un œil à goéland, qui lui est listé (les gens sont décidément mouettophobes! que fait Act Up-Paris?!) et qui pleure et raille, apprend JB. En va-t-il de même de la mouette. Le Robert en 6 volumes indique certes qu'elle pousse "des cris stridents" et Wikipédia en parle pour sa part en ces termes:



Que le cri soit strident et/ou aigu, JB est assez grand pour le deviner. Mais on le qualifie comment, ce cri, bon sang de bonsoir!?! Une famille de goéland porte l'adjectif railleur, une famille de mouette porte pour sa part l'épithète rieuse, mais est-ce que la mouette rit, raille ou pleure? Sur le site oiseau libre (comme Max, soit dit en passant), JB apprend que "Très bruyante, la mouette se caractérise par un cri rauque. En dispute avec des congénères, elle pousse un cri aigu." Il est aussi précisé:


Ici, JB lit ceci:


Pff… JB se dit qu'à ce rythme-là, il ne s'en sortira jamais! Il est à deux doigts de fondre en larmes… JB utilise les quelques neurones qui lui restent pour réfléchir autrement. Dans gougueule, il tape mouette + criaille et obtient ça:


Hum. A priori, la mouette ne craquète pas, à l'inverse de la grue et de la cigogne.
Mais, oh là là, "une mouette nr crie pas moussaillon, elle criaille!" Ça ça sent le vécu, hein… Allez, de façon très arbitraire, JB va suivre cette injonction et écrire que Geir la Mouette criaille. Mais JB se réserve aussi le droit de le faire rire.

Et JB songe soudain à la locution "Vos gueules, les mouettes [la mer est basse]!" Il cherche dans ses dictionnaires, sur gougueule, ne trouve rien, mais constate que de nombreuses personnes se sont comme lui interrogées sur l'origine - sans avoir d'explication. Ils ont même pensé à un lien avec le film du même nom, réalisé en 1974 par Robert Dhéry. Du coup, JB cherche et trouve le passage suivant:




Et JB ne résiste finalement pas au plaisir, lui qui parlait hier d'humour potache, de montrer un passage du film en question, notamment la messe - qui le fait rire comme un tordu, lui qui est anti-clérical à mort, et lui qui a toujours adoré Micheline Dax:


Micheline DAX Vos gueules les mouettes 1974 3 sur 5



Mais JB revient à ses histoires lexicographiques, lui qui, tout à l'heure sur Wikipédia, a vu et lu la précision ci-dessous:


Hein? Une mauviette est une mouette?! Ça alors…
JB part illicu prestu enquter… euh, pardon… Il part illico presto enquêter et commence sa recherche dans le Robert historique de la langue française:

MOUETTE n.f. est le diminutif (fin XIIIe/début XIVe siècle), avec le suffixe -ette, de l'anglo-normand mave, mauve. Ce dernier, attesté depuis le début du XIIe siècle et encore usité au XIXe siècle en Haute-Bretagne, est lui emprunt au vieil anglais maew (anglais moderne mew), terme germanique propre aux contrées maritimes et apparenté au néerlandais meeuw, allemand Möwe.
◊ En français, on relève d'abord le mot sous la forme moette, puis mouete (1422) et mouette. Dans l'usage général, le mot usuel sert à désigner inexactement d'autres oiseaux marins, comme les goélands. (…) voir MAUVIETTE.
MAUVIETTE n.f. est dérivé, avec le suffixe diminutif -ette (1651) de MAUVIS n.m. (vers 1165), nom d'un oiseau du genre merle à chair délicate, dérivé de mauve n.m., autre nom régional d'oiseau, employé notamment en Haute-Bretagne pour la mouette (vers 1119, mave), d'après une ressemblance du plumage du mauvis que sa couleur claire distingue des autres grives, avec celui de la mouette. En anglo-normand, mauve a désigné un autre oiseau marin, la foulque. La finale de mauvis -is, pourrait représenter une suffixation expressive ou analogique avec la finale de perdrix. Mauve, lui-même emprunté par l'anglo-normand au vieil anglais maew (anglais mew), dont on retrouve les correspondants dans les langues germaniques: néerlandais meeuw, allemand Möve, islandais már. Pierre Guiraud, qui conteste cette étymologie, voit dans mauvis le dérivé de l'ancien adjectif malvis (-> mauvais), la grive étant répute pillarde.
Mauviette, “alouette commune”, s'emploie par extension à propos de tout oiseau analogue quand il est gras et bon à manger. Par analogie (petite taille, saveur délicate), le pluriel mauviettes désigne un plat fait de petites escalopes recouvertes de jambes fumé (on dit aussi alouettes sans tête). ◊ Le même type de transfert métaphorique que pour d'autres noms d'oiseaux (cf. mazette) en fait l'appellation péjorative d'une personne faible et craintive, d'une “poule mouillée” (1808. Par allusion aux brochettes de mauviettes, il s'est rapporté, dans l'usage populaire, à une brochette de décorations (1901).

Et, si les différentes dictionnaires d'argot ne recensent pas le terme mauviette, le TLF nous en donne l'étymologie suivante,pour une fois non-discriminatoie:


Mais JB aimerait en savoir plus sur cette étymologie germanique. Il sait que ceux qu'on a appelés par la suite les Normands, à savoir les Vikings, ont transmis à la langue française un certain nombre de termes, principalement du vocabulaire maritime. Il va donc d'abord consulter le Dictionnaire étymologique du dano-norvégien de Falk & Torp (1910), lesquels lui indiquent la chose suivante:


Tiens donc! Outre que l'étymologie nous donne les équivalents dans les différentes langues germaniques, on retrouve le mot en sanskrit sous la forme mécaka- qui signifie bleu foncé. De plus, si le mot en identique en lituanien (mecas < comme Jonas???), c'est en revanche un emprunt aux langues germaniques.

Du coup, JB va vérifier dans son Wörterbuch der indogermanischen Sprachen et trouve ceci:


Même chose que ci-dessus. JB va voir ensuite dans le Kluge, le dictionnaire étymologique de la langue allemande:

MÖWE (15. Jahrhundert), früneuhochdeutsch mew. Ist übernommen aus dem Niederdeutschen: mittelniderdeutsch meve, mittelniederländisch meeu(we), mewe aus gotisch °mæwo “Möwe”, auch in altnordisch már, mór, altenglisch mæw, meau, meu, friesisch meau. Wohl lautmalerisch nach dem Schreien der Möwen; eventuell von dem Verbum mittelhochdeutsch mawen, neuniederländisch mauwen, das in erster Linie das Miauen der Katzen beschreibt.

Ça alors! JB retombe complètement sur ses pieds. Il adooore!
En fait, le nom germanique qui désigne la mouette aurait été formé à partir du cri poussé par l'animal. Rien de neuf sous le soleil étymologique puisque nous savons, grâce à Mallory & Adams, qu'une écrasante majorité de noms d'animaux sont en réalité des onomatopées: les Indo-Européens ont désigné les animaux selon leur cris.
Et, de fait, le Dictionnaire de l'Indo-Européen de Julius Pokorny indique que:


Pokorny donne donc un étymon commun °mu-, signifiant, murmurer mais aussi meugler et qui a donné, sous différentes formes (selon aussi les lettres qui suivaient), notre fameuse mouette, mais aussi le latin mutus < muet, qui lui-même a donné mutisme en français; tout un tas de formes signifiant grogner dans les langues slaves; puis tout un sémantisme autour de la bouche (ancien hindi), des lèvres (grec) mais aussi embrasser, en frison - ce qui constitue une belle conclusion.

Une conclusion d'autant plus belle qu'on voulait de toute façon terminer avec le court métrage de Nils Tavernier, intitulé La Mouette et réalisé en 1996 dan sle cadre de la série L'Amour est à réinventer - donc lequel on voit Marion Cotillard et Natacha Régnier encore toutes jeunes.

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