Le contexte: Valerie Solanas est en train de mourir. Elle est celle qui a tiré sur Andy Warhol en 1968 et a écrit le SCUM Manifesto.
Le passage en question:
VALERIE: Elles puent, tes fleurs. Tu pourrais pas les enlever?
LA FILLE À SON PAPA: Je les ai apportées parce que je croyais qu’elles te plairaient.
VALERIE: Je vais mourir. Je n’ai aucune envie de fleurs. Est-ce que tu pourrais, s’il te plaît, me laisser toute seule à présent? Est-ce que tu pourrais, s’il te plaît, me foutre la paix?
LA FILLE À SON PAPA: Je ne veux pas vivre dans un monde où tu meurs à la fin. I love you.
VALERIE: Va te faire foutre!
LA FILLE À SON PAPA: J’essaie de pondre une putain de thèse, là. J’essaie de te faire piger que je suis de ton côté, que j’ai l’air d’une conne à me casser le cul comme je le fais pour réhabiliter ta sale vie de merde pourrie à en pleurer et pour tes saloperies de textes sombres à en crever et d’une beauté à tomber et dont, soit dit en passant, tout le monde s’est toujours foutu comme de l’an quarante. Maintenant je comprends que tu me prennes pour une glandue, pour la dernière des morues, moi qui trouve rien de mieux que de me vautrer dans ta crasse. Ah ça ouais: je suis vraiment conne à bouffer de la bite. Putain, la traîne-patins que je suis, la fayote qui te lèche le cul, qui croit qu’elle en a dans le citron alors qu’elle a que le melon. Elle se plante en beauté en voulant écrire cette thèse de merde sur ta sale vie de merde que pas un péquin voudra perdre une demi-seconde à lire. Un suicide universitaire et scientifique, voilà ce que c’est. Un but contre son propre camp féministe, voilà ce que c’est. Parce que je sais ce que je devrais faire, là: je devrais tout plaquer, arrêter d’écrire, planter la fac, ne plus jamais chier une seule ligne de ma conne de vie. Parce que si tu crois que j’ai pas compris que tu me trouvais bête à manger du foin, tu te mets le doigt dans l’œil, ma grosse. Je te signale au passage que la seule pouffiasse à s’intéresser à toi et à rester auprès de toi, c’est moi. C’est moi la reine des pommes et la reine des connes. Et je voudrais pas dire, mais tu trouveras personne qui soit suffisamment ravagé pour se taper une thèse sur ta petite personne. Y a que moi pour avoir un pète au casque et bosser sur la pute toxico la plus chiante d’Amérique. Y a que moi pour être assez schtarbée et avoir des théories tout aussi schtarbées. Et au final je sais rien, rien rien rien : je sais pas d’où je viens et je sais pas où je vais et je sais pas ce que je vais faire sans ma putain de thèse.
© Sara Stridsberg pour le texte original en suédois.© Jean-Baptiste Coursaud pour la traduction française
© Éditions Stock pour la publication en français
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire