rekkehus
C'est quoi une rekkehus?
Décomposons d'abord le mot qui agglutine deux substantifs: rekke et hus. Comme toujours dans les langues germaniques pour ces compositions nominales, c'est le mot de droite, le second, qui est l'agent, le nom principal, et qui détermine la direction sémantique, là par où l'on doit commencer pour comprendre le sens - le premier terme étant donc le complément d'agent.
Un exemple en français:
une séance de cinéma
1 2
La traduction en norvégien:
en kinoforestilling
2 1
Vous voyez, mes petits amis?
kino = cinéma = 2 + forestilling = séance = 1
< kinoforestilling = séance de cinéma.
Pour rekkehus, c'est pareil. Observons le phénomène à travers sa traduction anglaise:
Vous voyez, mes petits amis?
Et donc, deuxième indication, une rekkehus, c'est une row house en anglais. De NO rekke = AN row = FR rangée, et NO hus = AN house = FR maison.
Par conséquent: une maison de rangée.
Pardon?
Quelle traduction nous propose ordnett?
Ouiii, c'est cela…
Une maison en bande! Comme les oies? Comme les loubards?
Une maison mitoyenne n'est pas mal, mais cette proposition n'est pas tout à fait juste. Un maison mitoyenne est en fait une construction d'un bloc et ce bloc contient pour ainsi dire deux maisons en une. Une rekkehus norvégienne peut tout à fait être mitoyenne, mais elle peut aussi être individuelle, comme on le dit en français d'une maison individuelle, donc non "encollée" à une autre. Elle est contiguë. On pourrait tout à fait se satisfaire de ce maison mitoyenne. Mais n'y a-t-il pas un autre terme, plus précis, plus exact, plus juste, plus immédiat?
Rekkehus est un mot typiquement norvégien, faisant référence à une réalité hypernorvégienne, donc un mot appartenant au langage quotidien. Une recherche quantitative dans gougueule (l'outil le plus parfait qui soit pour vérifier les usages) nous donne 63 600 occurrences - c'est beaucoup pour une langue dont le nombre de locuteurs s'élèvent à 4,7 millions. Comparativement, maison mitoyenne donne 275 000 résultats, ce qui est peu quand on pense qu'il y a 250 millions de locuteurs réels du français. Le rapport est donc de 1/1000 pour le français, alors qu'il est à un peu plus de 1/100 pour le norvégien.
Pourquoi ces chiffres et pourquoi insister?
Parce que rekkehus pose visiblement problème en traduction littéraire et les choix que nous faisons ne sont pas toujours les bons - confer les propositions du dictionnaire supra. Hypnotisés par le mot, serviles au principe de fidélité en traduction qui leur impose de s'efforcer de restituer un mot à l'identique, les traducteurs se fixent sur le mot maison (eu égard au principe morphologique des langues germaniques, comme on l'expliquait plus haut, et qui expliquent que, inconsciemment, les traducteurs se fient logiquement sur le second terme puisque c'est lui qui donne le sens). Ce mot maison qu'ils restituent systématiquement, puis bricolent quelque chose pour rendre l'idée de rangée (= rekke). On aboutit donc à ce fameux maison en rangée ou en bande aussi imbitable que risible.
C'est quoi, concrètement, une rekkehus?
Pour savoir, rien de tel que d'aller dans gougueule images.
En voici donc une:
Et en voici une deuxième:
Et l'on voit bien, ici, l'idée de rangée, de succession d'habitations. Et l'on voit aussi qu'elles ne sont pas stricto sensu mitoyennes. Elles sont contiguës. La rekkehus peut être mitoyenne et contiguë. La maison mitoyenne est uniquement mitoyenne - et en écrivant cette phrase, JB a l'impression de donner dans une formulation du schmilblick: il tient dans la main et… il tient dans la main. Bref.
Il nous faut donc trouver un mot français aussi usuel que le mot norvégien rekkehus. Tant dans son signifiant que son signifié - pour reprendre la terminologie de Ferdinand de Saussure. C'est-à-dire: il faut que le lecteur comprenne immédiatement le sens et le concept du mot (le signifié), mais perçoive aussi la réalité, qu'il ait une image phonique ou acoustique du terme (le signifiant), qu'il visualise aussitôt à quoi correspond le terme et que, par là même, la réalité culturelle propre à ce terme lui apparaisse identiquement, lui saute aux yeux (et à l'esprit) immédiatement.
Une rekkehus, c'est une maison en série, comme nous disait la traduction anglaise, donc une maison de lotissement. Et là, quand on dit lotissement en français, on sait immédiatement à quoi on a affaire. Il s'agit de ces maisons neuves, comme on dit si merveilleusement en français, quasi identiques. Tout comme on dit en français: "On a fait construire." Ah… Cette phrase! "On a fait construire." Et celle-ci: "On a acheté une maison neuve." Le voilà, le signifiant de lotissement. La rekkehus norvégienne est l'équivalent de la maison neuve française, de la maison individuelle. C'est la maison de maçons des maisons Bouygues dans les années 80, des "maisons grandes, belles, vraiment belles!", ainsi que disait la réclame (et on remercie le site de l'INA de nous fournir cette mine tant culturelle que sémantique):
Sauf que.
Sauf que lotissement se dit boligfelt en norvégien.
Sauf que les rekkehus sont en bois et les maisons individuelles, les maisons neuves sont en pierre, d'où le nom choisi par Bouygues (et ça nous donne des aphtes de parler citer cette société sur ce blog tatoué et fumeur - bref) de maison de maçons. Donc ce n'est pas tout à fait ça.
Alors quel terme utiliserait-on en français qui restitue d'une façon aussi adéquate tant le signifiant que le signifié et qui renvoie à la rekkehus?
On n'oublie pas, avant, une chose essentielle:
On est dans la traduction littéraire. Il faut certes être fidèle, règle d'or de toute traduction, mais il ne faut pas oublier qu'on n'est pas en train de traduire une notice technique, un mode d'emploi de machine à laver où, là, pour le coup, il est essentiel, fondamental, capital, de traduire avec la plus grande exactitude - confer le fait divers suivant où les patients atteints d'un cancer et traités à l'hôpital d'Épinal avait été surirradiés car la notice technique de l'appareil avait été mal traduite.
Dans la traduction littéraire, c'est l'effet littéraire qui prime. Le traducteur littéraire est constamment bringuebalé entre d'un côté son devoir de fidélité sémantique et, de l'autre, son obligation de respect littéraire.
Bon.
Et cette fichue rekkehus?
Le mot français qui conviendra à merveille sera… sera… sera:
pavillon
Le pavillon! Le pa-vi-llon! Ah… le pavillon. La grande banlieue pavillonnaire. Toutes ces périphéries urbaines où on construit des pavillons, plus ou moins identiques. Là on y est en plein, dans le signifiant. Et, rapport au signifié, c'est exactement le même concept que la rekkehus: une maison individuelle, neuve, contiguë - quand bien même la norvégienne aura une couverture voire une structure en bois alors que la française sera quasi exclusivement en pierre. La réalité française, c'est le pavillon. Le signifiant qui claque aussitôt dans l'esprit français de la même manière que le signifiant de rekkehus claque dans l'esprit norvégien, c'est le pavillon.
JB en veut pour peuve le sublissime Ode Pavillonnaire, un film de Frédéric Ramade, et qui résume à merveille ce que JB s'épuise à essayer de prouver:
Si on procède à une ultime vérification et qu'on reprend notre recherche quantitative dans gougueule. On voit que pavillon donne dans un premier temps 9 490 000 résultats. Si on essaie d'affiner la recherche, d'être un peu plus qualitatif, et qu'on indique pavillon maison, on obtient 1 720 000 occurrences. Et on est du coup davantage dans ce rapport de 1/100 et non plus du 1/1000.
Et c'est donc précisément ce pavillon que JB doit traduire dans le roman d'Ingvar Ambjørnsen - et c'est JB qui souligne:
C’était un pavillon on ne peut plus ordinaire, sur deux niveaux, avec un revêtement en bois passé au brou de noix.
Là, c'est le pompon de l'hypernorvégianité, le pompon de l'hyperfidélité voire de l'hyperservilité en traduction - puisque JB traduit très exactement ce qui figure en norvégien, qui plus en plus en choisissant des termes hypertechniques, et, par conséquent, se contredit complètement par rapport à ce qu'il affirmait plus haut.Nous avons trois termes appartenant à une réalité tout ce qu'il y a de plus norvégienne.
• Le pavillon - on vient donc de longuement gloser là-dessus.
• Le niveau. En norvégien, le mot est etasje. Donc: étage. Or les Norvégiens comptent le rez-de-chaussée comme étage. Quand, en norvégien, un personnage nous dit qu'il habite au 6e étage, il habite en réalité, en français, au 5e étage. Le niveau français correspond à l'etasje norvégien: il compte lui aussi le rez-de-chaussée, ce que ne fait pas l'étage français (il suffit de regarder les boutons d'un ascenseur: en Norvège le 2 correspondra au 1er étage mais au… 2e niveau!)
• Le brou de noix. Également un problème. Les Norvégiens vivant principalement dans des maisons en bois, ou si elles sont en pierre, elles ont une structure ou un revêtement en bois, lequel est entretenu en utilisant du brou de noix. Cette réalité, pour les Français qui vivent principalement dans des maisons en pierre qu'ils repeignent à la peinture, et qui n'ont donc pas à traiter le bois de leur maison, demeure assez obscur, en tout cas pas aussi quotidien que pour les Norvégiens.
La question qu'on se pose, c'est: pourquoi être aussi précis dans ce contexte? On est dans un roman, dans la littérature, pas dans un texte technique. Certes, il convient d'être fidèle; mais cette fidélité, qui oblige dans de tels contextes à aller chercher des termes proprement techniques, aboutit au résultat suivant: on introduit dans le texte fictionnel et donc littéraire un décalage à la fois lexicographique, sémantique et stylistique. On a éludé l'aspect littéraire au profit d'une précision technique; on a gommé la quotidienneté sémantique au profit d'une terminologie certes juste mais sans doute obscure pour le lecteur français; on a donc enfin tiré le texte final vers un registre où le texte original ne se trouvait pas.
Et n'est-ce pas justement ce que fait JB en traduisant ainsi?
Non, pas tout à fait.
Car qui parle? Quel est le contexte?
C'est Elling qui parle.
Elling, qui est monomaniaque, paranoïaque et névrosé. Elling, qui utilise une langue recherchée, parfois désuète et qui ne cesse de répéter à longueur de pages, de vive voix ou dans son imagination débordante, que l'on doit être précis lorsqu'on parle des choses. Elling qui, donc, va forcément s'arrêter sur ces détails. Elling qui, du fait de ses pathologies mentales, va forcément observer (parfois pendant une heure, voire pendant une journée entière) ce que d'aucuns, d'ordinaire, ne verraient même pas. En conséquence de quoi, Elling, va forcément parler de niveau et de brou de noix.
Dans une autre traduction, JB aurait sans aucun doute parlé de maison neuve, d'étage, de peinture. Il n'aurait pas forcément cherché à être aussi précis car il aurait alors trivialisé l'aspect littéraire du texte - comme indiqué supra. Mais avec Elling, il a ce devoir de précision lexicographique et, pour le coup, l'emploi de termes techniques convient plus que jamais 1) à la psychologie quelque peu dérangée du personnage, 2) à son langage et son vocabulaire. Pour Elling et dans les romans qui lui sont consacrées, ces termes techniques voire hypertechniques sont un élément de la langue littéraire, ils participent du décalage (dans tous les sens du terme) qui donne sa saveur au roman. Ici, et JB insiste bien: ici, dans ces romans, il faut plutôt préférer l'emploi d'une terminologie volontiers absconse plutôt que la fluidité dite littéraire qui va privilégier l'image dite poétique.
Allez, on se quitte en musique, comme d'habitude sur ce blog tatoué et fumeur.
Et, parlant de pavillon, on va montrer le merveilleux Ma Maison du groupe hélas trop oublié: Oui Oui. On est en 1992 et Oui Oui fait partie de cette vague française dite de la musique bébête. Michel Gondry intervient déjà dans Oui Oui et c'est lui qui a réalisé le clip de la chanson. Enjoy!
Oui-Oui "Ma Maison" (réalisé par Michel Gondry)
3 commentaires:
Ikke for å være vanskelig nå men bilde to er muligens det som kalles "enebolig i rekke". Omtrent 1 010 000 resultater på google. Litt finere enn et vanlig rekkehus er det jo, men sammapokker kan det vel forsåvidt være!
Takk, Eli, for kommentaren.
Men synes du, det er helt galt det jeg skriver??
Nix:-) Pas de tout!
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