mercredi 22 septembre 2010

Voilà du boudin!

Bonjour, mes petits amis. Comment allez-vous?

Quoi de mieux pour commencer une journée avec le sourire et dans le pétulance qu'un bon vieux boudin? Comment ne pas avoir le sourire aux lèvres de bon matin en parlant de boudin? La question se pose, et JB se/nous/vous la pose identiquement.
Oui, mes petits amis, le boudin.
Le boudin noir. Cet aliment méprisé par d'aucuns, mais qui fait la joie des tables tant rustiques que modernes, que celles-ci soient françaises ou étrangères. Ce produit de charcuterie qu'on appelle fort pragmatiquement saucisse de sang tant en allemand (Blutwurst) que dans les langues scandinaves (blodpølse) et plus affectueusement pudding noir (black pudding) en anglais. Songeons un instant à l'impayable tarte au boudin du sud-est de la France. Songeons à l'inénarrable Flönz de la Rhénanie, qui n'est autre que des tranches de boudin braisées et agrémentées d'une compotée d'oignons et de pommes de terre poêlées. Songeons aux muffins de boudin noir mélangé avec des pommes et du mascarpone. Songez, mes petits amis qui n'aimez pas le boudin noir, à tous ces délices auxquels vos papilles échappent.
Et si ce n'était que cela!
Songez au concours internationaux que vous ratez toute l'année.
Songez au concours du meilleur boudin organisé chaque année par la Confrerie des Chevaliers du Goûte-Boudin de Mortagne au Perche! Ci-dessous une photo qui rassemble lesdits chevaliers et lesdits boudins. Quel bonheur de vivre quand on voit ça!


Mais JB ne parle pas de boudin rien que pour le plaisir de parler de boudin - même s'il essaie de placer le mot boudin dans toute conversation, c'est son défi personnel et qui n'est pas toujours évident. JB ne pousse pas le vice à tenter de parler de boudin dans toutes ses traductions (quoique la traduction en question en ressortirait grandie), mais, aujourd'hui, il a réussi à le faire.
Il traduit toujours les histoires d'Elling, d'Ingvar Ambjørnsen et il écrit - et c'est lui qui souligne:
Pour ma part, je trouvais toujours cela d’une complexité phénoménale d’entretenir un dialogue sensé avec un interlocuteur que je n’étais pas en mesure de voir. Cela avait le chic pour me déconcentrer, pour la simple et bonne raison que je tentais tout du long de me figurer l’apparence de l’individu avec lequel je m’entretenais et ce qui se passait dans la pièce où cette personne évoluait. S’agissait-il d’une accointance, je fouillais alors mes souvenirs pour m’efforcer de reconstituer à l’identique chaque trait du visage de cet être. Parlais-je au contraire avec quelqu’un que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam, tout partait dès lors en eau de boudin puisque mon imagination perdait littéralement les pédales.

Forcément, JB se demande d'où vient cette expression qui fait la richesse et la grandeur de la langue fraaançaise.
Il va donc consulter le Robert des expressions et locutions et, à sa grande surprise, tombe sur un développement d'une longueur aussi époustouflante qu'éblouissante et qui rend grâce à la noblesse du boudin noir.
S'en aller (tourner) en eau de boudin “mal tourner, échouer progressivement”. Eau de boudin se dit concrètement de l'eau dans laquelle on a lavé le boyau qui doit entourer le boudin, avant de le faire. C'est du moins ce que pensent les explicateurs positivistes du XIXe siècle, mais l'expression dans ce sens concret, n'est attestée que chez eux (Bescherelle, Littré).
Ah ben nous voilà bien. Si déjà les linguistes et les lexicographes ne s'entendent pas sur l'eau de boudin, sur quoi peuvent-ils s'entendre? sommes-nous en droit de nous demander. Mais JB s'inscrit en faux! Car le Littré ne prétend pas cela, ou bien a fait depuis amende honorable et précise:


Ah bon… Avant de revenir à Robert, JB décide de consulter gougueule et constate que nombre d'internautes ont avant lui glosé sur l'expression et sur cette eau de/du boudin - son origine, sa consistance, sa nature, etc. Autrement dit: l'eau de/du boudin a taraudé plus d'un esprit du matin au soir et du soir au matin - JB n'est donc pas une exception quand il s'interroge au pied levé sur cette eau de/du boudin.
D'aucuns affirment donc que l'eau de boudin correspondrait aux fluides internes qui s'échappent du boyau de porc quand on le lave pour l'utiliser en tant qu'enveloppe du futur boudin. JB dit haut et fort: c'est pas-sion-nant, appétissant et captivant.
Un résumé du différend linguistique et sémantique est proposé de façon claire et précise par le toujours impeccable site expressio.fr:


Ainsi donc, l'eau du boudin serait l'eau de cuisson. Vraiment? Alain Rey et Sophie Chantreau n'en sont pas si sûrs. Voyons ce qu'ils disent dans leur Robert:
La locution figurée, en revanche, est ancienne: elle est glosée dans Furetière (1690) qui la qualifie de proverbiale et basse, puis dans Le Roux (1752): "“cette affaire, cette entreprise s'en ira en eau de boudin”. Pour dire ne réussira pas, qu'elle s'en ira à néant. Cependant, des amateurs d'archaïsmes (par exemple Charles Rozan dans ses Petites Ignorances de la conversation, Quitard, etc.) ont trouvé l'explication traditionnelle trop plate et ont voulu y voir une altération de s'en aller en aunes de boudin (en parlant du cochon tué et transformé en produits de charcuterie). Inutile de dire que tant que l'on aura pas trouvé d'attestation antérieure à celle de: eau de boudin, pour cette expression, il n'y aura pas à en tenir compte (sauf à y voir une expression nouvelle, d'ailleurs pittoresque). Quant à la version s'en aller en os de boudin, c'est-à-dire “en rien”, les boudins n'ayant pas d'os, elle ne repose sur rien.

Hé ho, du calme, Alain et Sophie, faut pas s'énerver, hein. Après tout, peut-être que Quitard et Rozan sont de grands amateurs du boudin noir et qu'ils ont un secret de grand-mère non seulement culinaire mais aussi linguistique. Personne n'y a pas pensé, mais JB est là qui veille au boudin, euh… au grain.

Reprenons:
On conclura qu'il s'agit bien d'eau (et de boudin)
Hö! Alain et Sophie font de l'humour! Notons-le, c'est rare dans ce dictionnaire - normal…
mais cela ne veut pas dire qu'on se contentera des explications classiques par “eau de lavage du boyau” ou “eau qui suinte du boudin, lorsqu'il se décompose”. En effet, eau de boudin ne se rencontre pas dans ce sens au XVIIe siècle ou avant, et le moins qu'on puisse dire de cette métaphore est qu'elle ne s'impose pas. Si l'on se souvient que l'expression étant “basse” (Furetière) a dû attendre longtemps avant d'entrer au dictionnaire, si l'on note que eau s'emploie couramment à cette époque pour désigner les excrétions liquides, il ne restera plus qu'à retrouver les sens archaïques et dialectaux de boudin, boudine, pour être édifié. D'une part, les mots dérivés du radical bod- désignent couramment le “ventre” (d'où bedaine), le “nombril”; d'autre part, à la fois par métonymie de ces emplois et par métaphore du sens moderne de boudin (le mot désigne au XVIe siècle le sexe masculin (“tu as lyé ton boudin avec cette diablesse de femme…”, Larivey, Les Jaloux, II, 6).

Attends, minute, là. Qu'est-ce qu'ils sous-entendent, Alain et Sophie, par cette allusion grivoise? Que l'eau de boudin serait… Naaan?!? Le sperme? Naaan!!! Mais le sperme, jusqu'à preuve du contraire et sauf maladie non répertoriée à ce jour, est blanc - et il s'agit ici de boudin noir et non de boudin blanc… Oh là là! Ça devient hypercompliqué cette histoire…

Reprenons:
Partir en eau de boudin, selon cette hypothèse, signifierait donc “partir en excrétion liquide” (en “eau de ventre”, ou en “eau de boyau”, ce dernier mot ayant les mêmes valeurs), selon une métaphore qui recourt au lavage de la charcuterie (en outre, la locution triviale PARTIR EN COUILLE se rattacherait bien à cette explication, de même que les valeurs voisines de fausse couche, avorter, appuyés par l'emploi gynécologique de les eaux). Quant à tourner en eau de boudin, plus récent, ce n'est qu'une substitution de verbe, d'après TOURNER MAL.

Re-minute papillon. Sauf erreur ou omission de la part de JB, si on est dans l'hypothèse du sperme, ce dernier ne s'écoule pas des boyaux. Ou alors Alain et Sophie ont rencontré des créatures extraterrestres à l'anatomie particulière… JB est d'accord sur la métaphore, mais voit mal le rapprochement concret au niveau du voire des fluides… Hum… Voilà JB plongé dans des abîmes de perplexité. Et ce d'autant plus qu'Alain et Sophie donnent comme explication à partir en couille l'origine suivante:
Partir (s'en aller) en couille “se réduire à rien, se désagréger”. Le mot ne peut ici désigner l'organe, mais correspond aux sens figurés et dialectaux “mensonge, mauvaise plaisanterie” (Namur, Givey), “bagatelle, chose sans valeur” (Nord et Paris), sens qui correspondent aux dérivés couillonnade et couillonner. En argot moderne une couille est un “ennui”, un “emmerdement”. Outre une métaphore assez évidente (partie “honteuse”, “méprisable” du corps, donnant “chose sans valeur” ou “histoire mensongère”), ces acceptions sont rapprocher de colle “tromperie, bourde” depuis le XVe siècle, et de couleur, même sens.

Bon bon bon bon…
Alors l'eau de boudin?
Le sperme? L'eau de cuisson du boudin? Les excrétions humorales du boyau au moment du lavage de celui-ci?
JB déteste conclure sur une énigme linguistique. Ça a le don de lui bousiller sa journée, de la faire s'en aller en… en eau de boudin. Oui, voilà la vérité! comme disait Thomas Bernhard.

L'autre question que l'on est en droit de se poser est:
Les Indo-Européens mangeaient-ils du boudin?
Outre que boudin et indoeuropéen riment, y a-t-il au-delà de la familiarité phonétique une familiarité culinaire?
Selon L'Encyclopédie de la Charcuterie, on trouve chez les Indo-Européens "les prémices de la charcuterie; ils utilisaient les estomacs et les viscères des animaux qu'ils remplissaient de petits morceaux de viande finement hachée, ainsi que du sang et de la graisse." Toutefois, comme JB a trouvé cette source chez les Salaisons Bentz (non qu'il ne leur fasse pas confiance, mais bon), il va vérifier si Mallory & Adams parlent du boudin noir. Or les meilleurs potes de JB n'ont pas un mot pour le boudin noir, ce qui est proprement discriminatoire à l'endroit de la saucisse de sang. Mais, précisent-ils à leur décharge, "the reconstructed menu of the Proto-Indo-Europeans is limited to the list of the cognates indicated" [below]. On trouve le lait, la crème, le miel, la bière, le gras, le sel, etc., mais pas le boudin noir. Quelle tristesse! Quel scandale!

Du coup, JB va chercher sur gougueule. Il cherche en français: "boudin + indoeuropéens", en allemand "blutwurst + indogermanisch", en anglais "black pudding + indo-european". Et, hélas, il ne trouve pas grand-chose.
Julius Pokorny le recense dans son Dictionnaire de la langue indoeuropéenne:


Ainsi donc, les Grecs connaissaient le boudin noir. Aha. De fait, JB apprend par Wikipédia que le boudin noir "aurait été inventé durant l'Antiquité par un cuisinier grec nommé Aphtonite." Les questions que se posent incontinent JB [JB veut dire ici: JB n'est pas incontinent, incontinent s'entend ici comme adverbe, c'est-à-dire: immédiatement] sont: Primo: Est-ce qu'Aphtonite a inventé les aphtes? Secundo: A-t-il inventé les aphtes à la kryptonite, dont chacun sait qu'elles sont l'arme réputée du Joker dans Batman?
Mais là, JB sait qu'il est hors-sujet en s'interrogeant là-dessus.
Bref.

JB apprend que la plus vieille trace du boudin noir dans la littérature se trouverait dans L'Odyssée de Homère, au chant XVIII. Ulysse revient à Ithaque et s'apprête à foutre une raclée à Iros, un vagabond. Ça va cogner, ça va saigner, nous disons-nous. Et, certes, ça va saigner, mais pas comme on le croit. Puisque de sang il est effectivement question, mais… mais… dans le boudin! Et oui! Voyant Ulysse et Iros se friter, même s'il n'en viennent pas encore aux mains, Antinoos, que Homère qualifie par ailleurs de "fort et vigoureux" (aha, se dit JB tout affriolé…), leur dit - et c'est JB qui souligne:
Écoutez, nobles prétendants; je veux vous parler. Voici des estomacs de chèvres qui cuisent sur le feu, où nous les avons mis pou le repas du soir; ils sont tout farcis de graisse et de sang. Le plus fort, vainqueur dans cette lutte, pourra en aller choisir un à son gré.
Et le voilà, notre boudin grec et antique, bien avant le boudin créole et moderne! Quel bonheur!!!

Puis JB apprend que la première recette de boudin nous aurait été transmise par Apicius dans son fameux De re coquinaria du IVe siècle, qui est le plus ancien livre de cuisine du monde occidental. Mais là, il y a dilemme. Grave. Certains affirment qu'il ne s'agirait que de saucisse farcie, d'autres de boudin noir. JB finit par renoncer à trouver la vérité, mais il note que les latinistes qui rédigent le Wikipédia en latin (et si, ça existe!) précisent que "An authority on sausage is a paper by Frank Frost, Sausage and meat preservation in antiquity" et que:


JB, en linguiste et lexicographe passionné, trouve cela absolument époustouflant et fabuleux que 1) quelqu'un soit "une autorité sur la saucisse" antique", 2) que les spécialistes se chamaillent sur le nom exact du boudin noir en latin. Cela nous prouve l'importance fondamentale si ce n'est ontologique dudit boudin noir dans l'histoire et le devenir de l'humanité.
Ce que JB apprend également, c'est que les rois de la charcuterie et du boudin n'ont été autres que les Celtes. Il paraît que les salaisons gauloises étaient fort appréciées à Rome. Et non seulement ça, mais les Celtes étaient les spécialistes du boudin noir, comme cette page nous le prouve:
The Celts (a people from central Europe of indo-European descent) began to settle in Ireland from around 500 BC, many believe earlier. They were renowned for their love of food and drink and everyday foods included pork, lamb (or mutton) and seafood including whale, and dolphin. They used every part of the animals including the blood, particularly of pigs in the making of Black Pudding.

Lequel black pudding, ou boudin, se dit marag dubh en gaélique irlandais, de dubh = noir et marag: marag, a pudding, Middle Irish maróc, hilla, Early Irish mar, sausage; from the Norse mörr, dat. mörvi, suet, blóð-mörr, black pudding.
Et quel mot on retrouve dans ce marag? Gagné, le mot grec que nous indiquait Pokorny. Comme quoi, de la Grèce à la graisse, grâce au boudin, il y a un pas que nous pouvons désormais, en toute liberté et alacrité, franchir.

Allez, ça suffit cette histoire de boudin.

On se quitte, mes petits amis, toujours sur le boudin - puisque ce boudin est une hymne. Oui, mes petits chéris, l'hymne de nos pioupious favoris, j'ai nommé: les légionnaires. On les voit ici chanter - et on peut plonger son regard sur leur crâne glabre si luisant. Mais JB ne saurait trop insister sur la fameuse "version paillarde" qui n'a pas échappé au journaliste. Attention, on tend bien l'oreille car, au final, peut-être l'hypothèse d'Alain Rey et Sophie Chantreau, sur l'eau de boudin comme émission liquide du boudin lequel signifie donc sexe masculin, se voit vérifiée à travers son emploi indirect et forcément métaphorique qu'en font nos chers légionnaires, confer ce qui se passe "sous la guitoune". Enjoy!




PS: Pour éviter tout malentendu, JB tient à préciser qu'il déteste le boudin noir. Le boudin blanc est son ami culinaire mais le boudin noir est son ennemi gustatif. JB ne peut pas voir le boudin noir en peinture. Que ce soit clair entre lui et vous, mes petits amis!

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