Qu'est-ce qu'elle a de si extraordinaire, cette phrase?
Après tout, elle est simplissime puisqu'elle signifie tout simplement: C'est bon le ketchup. Mais en quoi devient-elle difficile dans ce roman? Il s'appelle d'ailleurs comment, le livre?
Exactement, Gjøre godt. On l'a déjà expliqué de nombreuses fois. Et le titre choisi est Faire le bien. Et c'est ça qui justement complique nos affaires.
Mais ça aussi: la polysémie du mot, pourtant lui aussi simplissime: godt, qui signifie tout bonnement bon, mais selon le contexte en norvégien puis donc en français: bon, bien tantôt sous une forme adjectivale ou adverbiale ou substantivée.
De fait, gjøre godt, ça signifie plein de choses dans ce roman très précis: faire le bien, comme le tire l'indique; parfois aussi bien faire, souvent opposé à mal faire, faire le mal, et donc également faire les choses bien; et enfin, dans l'expression gjøre det godt igjen: réparer quelque chose, arranger une situation, autrement dit faire le bien quand on a fait le mal.
Dans la traduction, on ne va pas pouvoir trouver une solution idéale et universellement adaptable. Il va falloir jouer. Mais, comme d'habitude ne traduction, ce qu'on perd ici, on le gagne là.
Ainsi, comme on le voit dans le passage indiqué supra, l'adverbe godt est qui plus en italiques, ce qui est assez rare dans ce roman, c'est donc qu'il faut le souligner, souligner son double sens dans ce roman qui joue sur les double sens, qui joue sur le sous-texte (quand ce qui est dit signifie en réalité autre chose, quand on perçoit derrière la banalité d'un dialogue la profondeur d'une émotion).
La situation est la suivante: trois filles se retrouvent pour manger des frites, l'une en asperge son assiette, l'autre en met juste "une lichette sur le bord", la troisième déclare qu'elle déteste le ketchup. À la première, on va lui faire dire, sans italiques, mais en redoublant l'intention:
Non, c'est bon le ketchup, ça c'est une bonne chose!
Et donc je disais que ce que l'on perd ici, on le gagne là, confer ci-dessous:
Dans les phrases soulignées, il est question de blesser, såre en norvégien. Dans la première occurrence, si on traduit littéralement: "Il faisait tout le temps des choses pour me blesser"; dans la seconde: "Mais ça ne me blessait presque pas"; dans la troisième: "Il n'est pas sain d'être avec quelqu'un qui te blesse tout le temps."
Et c'est là qu'on va récupérer ce qu'on a perdu. En introduisant le verbe faire du titre Faire le bien:
Et en traduisant pour la dernière occurrence l'expression faire mal.
Dès lors, cette phrase devient programmatique pour le roman, elle fait partie de ces phrases qui expliquent le titre, qui soulignent l'intention romanesque et narrative de l'auteure.
Car tout le roman pose la question aussi de ce que c'est qu'être et godt menneske, un homme bon en français, un groupe nominal qui ne fonctionne pas à maints égards: 1) du fait de la polysémie du mot homme qui ici doit s'entendre comme être humain, 2) car homme bon est une tournure plutôt lourde, plutôt malhabile en français. En français, on dira d'une personne, et la fameuse chanson nous le confirme, que c'est quelqu'un de bien. Il/elle est quelqu'un de bien/gentil/méchant. Comme cet autocollant, rapporté de la Schaubühne lors de notre dernière visite, qui fonctionne en allemand comme en norvégien mais pas en français:
© icke
Et tout devient dès lors bel et bon (et bien).
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