Elle avait de jolies hanches, des fesses rondes et affriolantes, des seins en poires (…)
Au début, il songe coller au texte et retranscrire le "seins pointus" du texte original. Puis il songe à "seins en pointe", puis il songe à "seins en poires". Vérifiant dans le TLF si poires prend un S ou pas, il constate à son grand étonnement qu'on dit aussi "seins en pommes".
Du coup, il se demande si on dit "seins en scoubidous", mais, très franchement, il ne pense pas.
Il n'en demeure pas moins intrigué par cette analogie. Certes, il l'entend, il la visualise, mais il se demande tout de même d'où elle vient, à quel moment de l'histoire linguistique elle apparaît.
Il va chercher dans le Robert des expressions et locutions, mais ne trouve rien. Ni à sein, ni à pomme, ni à poire. En revanche, il trouve quelques locutions intéressantes qui rapprochent la pomme et la poire:
• on dit par exemple (ce qu'il ignorait) invariablement se sucer la pomme/la poire pour "s'embrasser avec insistance", une locution qui apparaît à partir de 1930;
• on dit aussi ma poire de même que ma pomme pour parler de soi;
• la locution entre la poire et le fromage s'explique par le fait que "le fromage se mangeait après les fruits (et la poire était, avec la pomme, le fruit type)".
Mais rien sur les seins en forme de fruit.
Rien dans le Littré, rien dans le Larousse de l'argot & du français populaire. Quant au Robert historique de la langue française, il ne relève pas les locutions; et son cousin en 6 volumes ne recense rien à sein, nous indique à pomme que la locution est "familière", mais ne connaît pas l'équivalent pour le sein bien qu'il cite "la poire à lavement" (vraiment!). Quelle énigme, se dit JB…
JB redoute d'aller chercher sur gougueule, tant il a peur que la machine lui crache des listes entières de sites de poils. Il prend tout de même son courage à deux mains. Il constate d'abord que "seins en poires" donne 43 600 occurrences tandis que son équivalent avec en forme de pomme 17 900 seulement. Et, effectivement, outre que ces résultats renvoient pour la plupart à des pages que JB ne veut même pas consulter, il apprend seulement que "les seins “en pommes” fermes et bien ronds étaient adulés au 16e siècle." Mais rien sur le moment de l'histoire où la forme des seins est associée aux deux fruits. Il n'y a pas grand monde au balcon linguistique, si JB peut se permettre ce jeu de mots un peu lourdingue.
Toujours est-il que JB déteste ne pas pouvoir résoudre ces petites énigmes linguistiques et lexicographiques.
À défaut, il décide d'aller consulter l'étymologie respective des mots sein, poire et pomme - peut-être trouvera-t-il là des éléments de réponse.
Première surprise avec le premier mot:
SEIN n.m. est issu (vers 1120) du latin sinus, proprement “pli concave ou en demi-cercle”, d'où “courbure, pli” et spécialement “pli demi-circulaire que forme la toge lorsqu'elle est relevée sur l'épaule”; ce pli de toge ou de robe était celui dans lequel les femmes portaient leur enfant, d'où le sens figuré de “sein, poitrine”. (…) ◊ Sein désigne d'abord l'espace entre la poitrine et le vêtement qui la couvre, sens disparu, et (vers 1150) la partie antérieure du thorax humain, acception courante à l'époque où poitrine était rare. (…) ◊ C'est aussi au XVIe siècle que sein désigne spécialement la poitrine de la femme (1538), acception sortie d'usage, sein s'employant couramment (XVIe siècle) pour chacune des mamelles de la femme. Cependant, le pluriel (les seins) et le singulier qui lui correspond (un sein) ne semblent usités qu'au XIXe siècle, les synonymes (mamelles, tétons) étant devenus soit archaïques, soit péjoratif. Au XVIIe siècle, le mot s'était spécialisé pour désigner le sein féminin en tant qu'il sert à l'allaitement (1690), d'où prendre le sein “téter” (1771) et donner le sein (1835). Ces acceptions sont les plus vivantes en français moderne.
Et JB trouve ça étrange que le mot de l'anatomie intime de la femme qui suscite le plus de synonymes grivois (si on le compare respectivement à vulve, vagin ou fesses) ait eu l'acception moderne telle qu'on la connaît à un stade si tardif de l'histoire de la langue française. Mais il est certain que, chez la femme, ce sont surtout et longtemps le ventre et les fesses qui ont été prisés en termes de beauté et d'appâts féminins. Néanmoins, la synonymie de ces mots n'est guère plus riche. Qu'est-ce que cela nous dit sur le regard forcément masculin porté sur le corps de la femme, puisqu'on sait que le vocabulaire de la langue française possède des mots courtois qui ne s'appliquent qu'aux femmes.Exemples?
Deux verbes.
Le premier, lutiner, c'est-à-dire courtiser. Un homme lutine une femme. Une femme ne lutine pas un homme. Le TLF nous le confirme:
Et non seulement ça, mais ce même TLF donne, dans la section lexicographique, le verbe peloter comme synonyme de lutiner. Le chemin analogique et sémantique est donc le suivant: 1) on drague, 2) on pelote. Bravo, les mecs, continuez comme ça!
Idem, dans un autre genre sans doute pas si éloigné, pour minauder.
C'est même pire si on y songe: non seulement la femme n'est pas habilitée à lutiner, c'est-à-dire à séduire un homme, en revanche, elle minaude, elle fait des manières, c'est sa nature pour ainsi dire. Un homme, lui, ne fait pas de manières et il drague - là aussi, c'est sa nature. Une ultime preuve? La citation littéraire pour exemplifier le terme. Elle est signée par nul autre que la tapette honteuse qu'était André Gide qui l'emploie dans journal, en 1930, pour décrire une femme - et c'est JB qui souligne:
C'était dans le couloir d'un théâtre durant un entr'acte. Il avait à son bras une énorme pouffiasse, outrageusement décolletée (pour l'époque) qui minaudait et jouait de l'éventail...
L'équation sémantique est donc la suivante: femme = pouffiasse = énorme = minauder.Punaise, JB n'y croit pas!!! C'est proprement hallucinant, ce machisme linguistique que JB n'a de cesse de souligner sur ce blog tatoué et fumeur!!!
Par acquit de conscience, il va vérifier la définition et l'étymologie du verbe courtiser. Et qu'est-ce qu'il trouve? Pas loupé! Seul un homme peut courtiser!!!
C'est dingue! JB cite et re-cite: "Le sujet désigne un homme."
Du coup, JB décide de tout laisser tomber et de vérifier chaque mot propre au domaine de la séduction. Il cherche les synonymes de séduire:
Et il les passe en revue.
Son intuition était la bonne.
La phallocratie redémarre dès le cinquième verbe, avec aguicher:
Et donc, "dans le langage de l'amour, le sujet désigne généralement une personne, généralement une femme", et Zola est convoqué pour illustrer le propos macho - et c'est JB qui souligne pour mieux montrer l'équation: "elle aguichait, la petite, elle l'allumait pour le jeune homme, avec un tas d'affaires malpropres."
Pas tout à fait convaincu(e)s? Une autre citation, cette fois d'un écrivain oublié du nom de Bourget, nous sommes en 1926:
Ses yeux parcouraient les différents groupes épars dans l'étroite salle et, soudain, ils rencontrèrent ceux de sa voisine, dont le regard continuait de chercher le sien, avec cette impudence rusée des filles qui aguichent, d'un demi-sourire impur, l'amant de demain, tout en bavardant avec celui d'aujourd'hui.
La femme, donc, à défaut d'avoir le droit de lutiner, est vouer à butiner; ça c'est sa vraie nature. Autrement dit: c'est une salope puisqu'elle drague untel tel jour pour mieux jeter son dévolu sur tel autre le lendemain. Bravo!Toujours pas convaincu(e)s? La citation pour le dérivé du verbe appâter en appâteur:
“[Le sexe féminin] Miserable appasteur des hommes vertueux.” (Le Danger de mariage ds Poësies xve-xvie s., éd. A. de Montaiglon, t. 3, p. 73).
Qu'est-ce qu'on trouve maintenant à cajoler? JB souligne encore une fois et s'amuse de trouver, dans les citations, une autre pédale machiste, cette fois Montherlant après Gide:
− Spéc., ds le lang. de l'amour. Cajoler une femme. Lui tenir des propos galants, la caresser en vue de la séduire. Synon. courtiser, enjôler. Il s'est mis (...) à me dire des flatteries, et puis à me cajoler tant que le jour durait (Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, Rosalie Prudent, 1886, p. 644).
− Absol. Tu cajoles, tu fais l'enfant et brusquement, (...) te voilà une petite vipère (Montherlant, L'Exil, 1929, p. 42).
Déniaiser?
A.− Faire perdre à quelqu'un sa niaiserie. Ce garçon (...) il aurait fallu le déniaiser, le dégrossir, pour le rendre acceptable (Larbaud, Jaune, 1927, p. 277).
− Emploi pronom. L. qui se déniaise, sans en devenir moins sot, − chose immuable (Barb. d'Aurev., 2e Memorandum, 1839, p. 273).
B.− Faire perdre à quelqu'un son innocence dans les choses de l'amour :
Le baron. − Déniaiser? D'une femme, c'est ordinaire, mais d'un homme, c'est plus piquant.
La comtesse. − J'étais moi-même dupe de sa fausse candeur. Jusqu'au jour où je l'ai vu entreprendre la baronne...
Hermant, M. de Courpière, 1907, I, 6, p. 7.
Empaumer n'est pas mal non plus, dans son genre. Puisque: 1) on peut "empaumer" notamment "les femmes" d'abord, les hommes ensuite seulement; 2) qui peut "se laisser empaumer"? Idem à en lire les exemples, les femmes d'abord, les hommes ensuite - mais pas n'importe quelles femmes, comme nous le confirme Drieu La Rochelle; et c'est toujours JB qui souligne:
"Notre cousine Receveur est une sotte qui s'est laissé empaumer."
Enjôler va dans le même sens, qui confirme une répartition très différente de la séduction selon qu'on est un homme (chez qui ça ne prend pas) ou une femme (qui fait forcément le trottoir):
En particulier, vocab. de l'amour. Enjôler un homme, une femme. Chercher à le (la) séduire par des paroles flatteuses, des promesses, des manières tendres. Enjôler avec des paroles, du regard. Ah! Elle s'était fait ramasser sur le trottoir, en l'enjôlant par ses mines de rosière! (Zola, Assommoir, 1877, p. 700). On ne me prend pas facilement, moi. Je ne suis pas de ceux qu'on enjôle avec deux baisers (Maupass., Contes et nouvelles, t. 2, Hist. vraie, 1882, p. 336).
Dernier exemple avec suborner puisque le sens vieilli, synonyme de corrompre, donc avec une valeur négative, voit la personne corruptrice être une femme; alors que le sens moderne, synonyme de séduire, voit la personne séductrice être un homme:
Littér., vieilli. Entraîner quelqu'un à agir contre son devoir par toute manœuvre susceptible de l'y décider. Synon. corrompre, soudoyer. Elle suborna ses gardiens, franchit toutes les clôtures, courut les chiens (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 105). Je crois à un certain principe en moi qui (...) usurpe ma volonté ou cherche à me suborner par ruse (Bernanos, Dialog. ombres, 1928, p. 50).
♦ Suborner une femme, une jeune fille. La séduire. Cet homme avait suborné, (...) une fille riche et forcé les parents à la lui donner (Balzac, Pierrette, 1840, p. 52). Il m'accusait de vouloir suborner cette fille, que je crois être sa nièce Jahel (A. France, Rôtisserie, 1893, p. 185).
Bon, n'en jetons plus.
JB n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles ni son cerveau. Il est outré, scandalisé. Il en perd son latin et son français, en oublie ses histoires de pommes et de poires (il y reviendra un autre jour). Et il clôt sa hargne par le morceau du groupe queer Le Tigre avec leur fameux rrriot girl, référence au groupe féministe américain du même nom qui dénonce la suprématie des hommes et l'absence des femmes dans l'art contemporain, et s'illustre dans la musique par des groupes indie, rock et punk résolument féministes (pour résumer):
Tiens, pour la peine, on regarde ce petit documentaire impeccable sur les Rrriot Girls, notamment dans la musique (américaine). Et il est notamment question du groupe chouchou de JB et de G (à qui on passe bien le bonjour), les Slits:
[Même jour, 19h15.
Et JB continue de traduire:
Néanmoins, après m’être fait pincer par Grete en train de la lorgner, j’ai dorénavant redoublé d’attention.
N'étant pas sûr de son emploi du verbe lorgner, il va vérifier dans le TLF. Et qu'est-ce qu'il lit? JB a comme l'impression que ce post est infini et que, même dans la maison de retraite où il n'espère pas finir, il y sera encore… Il veut dire: à lister le machisme linguistique.]
2 commentaires:
Da winkt G ein herzliches Bonjour! zurück und verweist zur Aufmunterung auf das Programm des Zeughauskinos ab dem 23. September.
Ja, genau. Die Sufragettes waren sowieso unsere Urgrossmütter!
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