Ma mère était-elle adulte quand elle s’est laissée aller à la colère et à l’ivresse au point de ne plus pouvoir se retenir aux rochers du Taterberget dans le courant déchaîné ?
Une question de grammaire se pose. Rapport à l'accord, ou pas, du participe passé du verbe pronominal se laisser. Ici, comme on le voit, j'ai fait l'accord. J'ai traduit: elle s'est laissée aller.
J'avais déjà écrit sur l'accord pas forcément fastoche des verbes pronominaux en français. J'avais cité cet exemple que je recopie ci-dessous:
Attention aux locutions verbales pronominales comportant un infinitif:
Nadine s'est laissÉE mourir : Nadine a laissé ELLE-MÊME mourir -> accord
Nadine s'est laissÉ séduire : Nadine a laissé GINETTE LA séduire -> pas d'accord
Et même pour le premier exemple, on peut voir une nuance: si Nadine prend part activement au processus: accord; si Nadine n'y prend pas part activement: pas d'accord.
Dans le passage ci-dessus, la nuance est de taille.
Rappel de l'histoire.
Le premier tome de la trilogie consacrée à l'histoire du jeune (il a 18 ans dans ce deuxième opus) musicien Aksel Vinding s'ouvrait sur la mort de sa mère. Celle-ci a bu et commet le geste imprudent d'aller se baigner dans la rivière au bord de laquelle la famille pique-nique. Elle n'évalue pas la force du courant et est emportée par les flots: elle tombe au bas de la cascade, son crâne se fracasse contre les rochers.
Dans le second tome, Aksel s'interroge sur la mort de sa mère qui, bien que causée par la férocité des éléments, pourrait être en réalité un suicide maquillé, inconscient. D'où cette question de grammaire:
Si je ne fais pas l'accord, alors j'exclus l'hypothèse du suicide calculé, de façon consciente ou inconsciente, je sous-entends que la mort de la mère d'Aksel est uniquement imputable aux éléments, qu'elle était passive dans cette tragédie, qu'elle a subi le drame.
Si je fais l'accord, alors je sous-entends qu'Aksel n'exclut plus l'hypothèse du suicide, que sa mère a pris pleinement part à sa mort, qu'elle a été prompte à précipiter sa propre perte, qu'elle a été active dans ce processus, qu'elle a sa part de responsabilité dans la tragédie.
Et, par conséquent, en faisant l'accord, j'influence la narration, j'infléchis l'histoire, je donne aux lecteurs une clé de lecture. J'ai ma… part de responsabilité dans la compréhension du texte par le lecteur. Un traducteur peut-il assumer un tel rôle? Peut-il faire un choix si décisif pour l'histoire qu'il restitue?
Ce qui ne cesse de me fasciner, néanmoins, c'est de constater à quel point un détail de grammaire peut avoir une importance pour une histoire, pour son intrigue et son suspense…
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