lundi 15 mars 2010

Un choix sémantique - et politique

Aujourd'hui, le livreur de journaux s'est trompé:
Au lieu de me porter au petit matin mon TAZ quotidien, il a mis dans ma boîte le Junge Welt, quotidien marxiste "fondé en 1947" en RDA comme c'est indiqué en couverture. Bon, mieux vaut Junge Welt que le très à droite Die Welt. Et surtout qu'il me donne l'occasion de revenir sur un article que je voulais écrire il y a presque deux mois et que j'ai abandonné en cours de route.
S'y trouve en effet une interview de l'artiste Wolfgang Müller, celui-là même qui a inventé les badges Gay agasint Guido dont j'ai enfin pu faire l'acquisition le 23 février dernier lors d'une visite dans le bar Möbel Olfe, comme je le montrais ici. Outre que l'argumentation de Wolfgang Müller est plus imbitable dans son genre, et surtout plutôt pauvre (genre: l'acceptation sociale nanana…), il y a tout de même un point très intéressant pour le traducteur que je suis aussi, linguiste et lexicographe forcé à ses heures et pédé choisi - et comment! L'occasion, donc, de revenir sur l'emploi d'un certain terme. Je cite, et c'est moi qui souligne:

Guido Westerwelle hat sich erst 2004 geoutet. Zu spät?
Nein, es gibt weder eine Pflicht noch einen richtigen Zeitpunkt zum Outing. Außerdem haben Schwule, Lesben oder Queers das Recht, genauso ehrgeizig, egoistisch, feige und beschränkt zu sein, wie alle anderen auch.


Retour en arrière:
Le 4 février dernier, c'était le retour dans mon journal de ma chronique irrégulière chaque fois tant attendue, à savoir celle de mon journaliste chouchou, Martin Reichert. Qui nous parle toujours de la vie (homosexuelle) à deux dans la campagne brandebourgeoise. Or mon œil s'arrête sur un verbe, ou plutôt sur l'emploi déformé (erroné?) d'un verbe. Je cite - et c'est moi qui souligne:
Gefährlich ist es laut dem renommierten Sportsoziologen Gunter A. Pilz auch, sich als schwuler Fußball-Profi zu outen: "Die Konsequenzen wären glasklar. Der Fußballer sähe sich einem Spießrutenlauf ausgesetzt." Und ja, alle sind ganz furchtbar neugierig, wer es denn bitte sein könnte? Das ist die nationale Variante des beliebten Party-Spiels "Wer von den Gästen ist denn wohl schwul". Das macht ja so viel Spaß. Und wenn sich dann Gareth Thomas nach (!) dem Ende seiner Karriere als Rugby-Spieler outet, zeigt man ihn im Fernsehen immer bloß im hautengen Shirt - und noch besser: wie er einen kleinen Jungen an der Hand hält und mit ihm ins Stadion läuft.

Dans les deux extraits de presse — et c'est d'autant plus intéressant que, entre le 4 février dernier et aujourd'hui le 15 mars, Martin Reichert s'est élevé contre l'initiative de Wolfgang Müller —, les deux hommes utilisent sans tiquer, sans hésiter, le terme s'outer (sich outen) en lieu et place de faire son coming out (sein Coming-Out machen); voire, dans le premier, outing en lieu et place de coming out.
La différence est de taille!

Expliquons d'abord les termes grâce au site linguistique américain answers.com:


v.out·edout·ingouts.


v.intr.
To be disclosed or revealed; come out: Truth will out.



verb
To be made public: break, come out, get out, transpireInformal leak (out). Idioms: come to light. See knowledge/ignoranceshow/hide.
n.


  1. An excursion, typically a pleasure trip.
  2. A walk outdoors.
  3. The exposing of one assumed to be or wishing to be considered heterosexual as being gay, lesbian, or bisexual.
  4. An athletic competition or an appearance therein: The rookie pitcher threw a no-hitter in his first outing with the team.

Comme on le lit, to out somebody, en franglais passé d'ailleurs dans le langage, outer quelqu'un, c'est révéler l'homosexualité de quelqu'un, et là encore je souligne, contre son gré, alors que cette personne veut maintenir cette homosexualité cachée. To do one's coming out, faire son coming out, c'est annoncer son homosexualité à autrui, c'est dire, contre l'opinion générale qui part du principe que tous les gens sont hétérosexuels: "je suis homosexuel(le)".
L'outing est une stratégie politique mise en place dans les années 80-90 par les militant(e)s homosexuel(le)s pour dénoncer les homosexuel(le)s dans le placard qui votaient des lois allant contre l'intérêt homosexuel, voire, ayant eux-mêmes des opinions homophobes. On peut lire à ce sujet un long article très bien fait sur le wikipédia anglais.

Ce qui m'intéresse, donc, dans cet emploi à contre-sens, c'est la signification du point de vue linguistique, voire psycholinguistique. Accordons-leur toutefois et en premier lieu le fait suivant:
Les langues, dans leur évolution, tendent à se simplifier. Un exemple: on ne dit plus hostel mais hôtel, l'accent circonflexe étant là pour nous rappeler que le s a subi un effet dit de syncope. En conséquence de quoi, il peut paraître normal selon cet état de fait linguistique que le mot outing supplante le mot coming out, à la fois trop long et pour le coup trop anglais, trop obscur. Même chose pour outer, nettement plus court que faire son coming out.

Il n'empêche: en perpétuant l'emploi erroné, les locuteurs introduisent implicitement sinon dans le langage, en tout cas dans l'expression coming out, le sens d'outing: donc l'idée d'une réalité faite à contrecœur, à son corps défendant, contre son âme et conscience, en dépit de soi et de son libre-arbitre. Ils scellent dans cet emploi la sémantique psychologique à l'œuvre dans le terme outing: donc l'idée d'une honte, d'une dissimulation, d'une réalité qu'il faut absolument cacher et qui, dans les faits, finit par être révélée par des moyens que certains trouvent douteux (puisqu'elle est faite contre la volonté de la personne visée). Autrement dit, en utilisant s'outer en lieu et place de faire son coming out, on sous-entend qu'il y a dans le fait de dire son homosexualité quelque chose d'infamant, de disgracieux, d'outrageant, de honteux; que l'homosexualité est elle-même une réalité infamante, disgracieuse, outrageant, honteuse.

Au risque de défoncer une porte ouverte (voire plusieurs), le langage et le vocabulaire ne sont jamais innocents. J'en ai déjà parlé à propos d'un autre phénomène linguistique et lexicographique et qui, curieusement, concerne aussi l'homosexualité, à savoir faire le choix politique et donc sémantique de dire être atteint et non être victime d'une maladie.
Question cependant: 
Ce qui a été accompli alors pour la maladie et dans la lutte contre le sida, et qui semble ne pas l'être aujourd'hui pour ce qui est de l'homosexualité, est-il significatif des forces et des volontés politiques actuelles?

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