Je traduis, donc, toujours, Ketil. Et il y a cette phrase - je la cite en norvégien:
Dessuten liker jeg å gjøre det med deg.
Je pourrais traduire littéralement:
En plus j'aime le faire avec toi.
Tout est dans ce le.
Le, c'est évidemment: faire l'amour. Tant et si bien que, quasi instinctivement, je traduis:
Et puis j'aime faire l'amour avec toi.
Alors qu'est-ce que cette "sur-traduction" (comme on dit en traductologie, à savoir quand on pousse vers le haut, dans la phrase traduite, le sens et la signification de la phrase initiale) nous dit de la psyché et de l'idiosynchrasie (pour employer un autre mot ronflant) tant norvégiennes que françaises?
Si on en croit la logique de mon raisonnement de traducteur, qui va donc clairement nommer en français ce que la langue norvégienne tait ou plutôt élude, le premier sera donc plus extraverti, plus communicatif sur les choses du cœur alors que la seconde fera preuve de davantage de retenue, de pudeur. Le français n'hésitera pas à parler de l'amour alors que le norvégien préférera l'évoquer par allusion. Le français fait l'amour, le norvégien le fait (c'est moi qui souligne). En va-t-il vraiment ainsi?
Chaque langue exporte dans les autres langues un champ lexical à une période particulière, tant à cause de son rayonnement contextuel (qu'il soit politique, social, culturel ou commercial) que du fait des contingences historiques qui sont propices au peuple locuteur de l'idiome en question. À l'époque viking, le français a par exemple emprunté aux langues scandinaves nombre de termes du domaine de la navigation - cela signifie aussi que les Vikings, avant d'être ces brutes sanguinaires telles que les moines catholiques (qui étaient les seuls à très jalousement maîtriser l'écriture) se sont plus à les dépeindre, étaient avant tout de grands voyageurs, disposant en matière de nautisme d'un savoir incomparable. L'italien a exporté de nombreux mots ayant rapport à la politique. On pourrait ainsi démultiplier les exemples.
Pour le point qui nous intéresse, Marie Treps indique, dans son ouvrage à la rigueur scientifique très limite, Les Mots migrateurs (Seuil, 2009) où elle recense les mots adoptés par la plupart des langues parlées sur le territoire européen:
Au siècle de Marivaux, le français passe pour la langue de la galanterie, une lange romanesque qui rend possible l'expression fine du désir et des chagrins d'amour. Aujourd'hui, partout en Europe, on trouve des expressions empruntées au français pour exprimer certaines choses liées à l'amour ou, plus prosaïquement, aux relations sexuelles: garçonnière, rendez-vous, tête-à-tête, baiser français, maladie française…La linguistique et la lexicologie nous montrent donc que, oui, effectivement, le français demeure la langue de l'amour, tant du vocabulaire amoureux que de la réalité sexuelle. Au demeurant, on pensera: ça nous fait une belle jambe. Et, si des facteurs historiques expliquent ce phénomène, on ne peut s'empêcher de se poser la question:
Cette propension à parler de l'amour, à savoir en parler suffisamment bien au point d'en exporter le vocabulaire, est-elle un phénomène continu dans l'histoire, et, partant, une espèce d'atavisme du peuple français? (Et c'est une hypothèse absolument effrayante!) Ou plutôt: n'est-ce pas le résultat d'un processus culturel, une espèce de parti pris compensatoire? Je m'explique: sachant le rayonnement lexicographique qu'a connu ce vocabulaire sur l'amour, et donc cette pensée et cette réalité portant elles aussi sur l'amour, le français n'a-t-il pas cultivé ce qui lui assurait une renommée, histoire de mieux continuer d'en tirer les bénéfices, de ne jamais cesser d'être réputé pour ces choses de l'amour?
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