Et, à la grande surprise de JB, ce n'est pas par le français qu'il va résoudre un problème de traduction avec la langue norvégienne, mais par le… patois poitevin, donc — puisque JB a grandi là-bas.
Dans le roman de Jonny Halberg, une scène décrit un poisson qui vient d'être pêché par un des protagonistes. Le poisson se trouve à l'air libre, il est en train d'étouffer et, forcément, il ouvre la bouche. L'auteur dit:
Den smakka med kjeften og slapp fra seg en hvesende lyd.
Smakka est le prétérit (désinence en -a) de smakke. Il faut noter que cette désinence est une variante dialectale, puisqu'en bokmål courant la désinence est -et (en nynorsk, en revanche, elle est -a). Et, double variante dialectale, le verbe l'est aussi, puisque le mot "officiel" en bokmål est smekke, lequel verbe décrit toute action de claquement. Première remarque, importante pour la traduction: on est donc à fond dans le dialecte, à fond "dans la boue", et dans la bouse. Quant à med kjeften, cela signifie: "avec la gueule". Og slapp fra seg = "et a lâché de lui"; en français: "a lâché/émis/produit". Et, enfin, en hvesende lyd, littéralement: "un bruit sifflant/rauque < un râle". Donc la phrase pourrait se traduire ainsi:
"Il [le poisson] a claqué la gueule en lâchant un râle."
Bôf.
JB, qui n'a quasiment jamais pêché de sa vie (mais a-t-il péché? cette question restera à jamais non répondue sur ce blog tatoué et fumeur) alors qu'il a grandi face à la rivière qui, comme celle du roman de Jonny Halberg, connaît chaque année une crue, et pas plus tard qu'en ce moment (le livre ne s'appelle-t-il pas La Crue? — et JB adore décidément ces coïncidences) - JB, donc, ne sait pas comment traduire la phrase supra. Il se dit qu'il y a forcément un terme en français.
Il demande donc à Der Papa, qui lui répond:
"En patois, on dit bâillota."
Ça fait une belle jambe à JB. Jusqu'à preuve du contraire, JB traduit en français et non en patois poitevin.
JB insiste et demande à Der Papa s'il n'y a pas un terme français. Las, Der Papa, bien qu'il ait pêché toute sa vie, à la ligne ou avec des des nasses, doit avouer son impuissance lexicographique.
JB, désemparé, s'ouvre à Die Mama de son problème. Laquelle lui répond:
"Regarde dans le Dictionnaire du patois du Marais Poitevin de Pierre Gachignard, tu trouveras sûrement."
JB obtempère aussitôt. Et il s'amuse de constater la mention suivante, dans cet ouvrage publié en 1983: "Tous droits réservés pour tous les pays, y compris l'URSS et les pays scandinaves." Et JB de décréter que Pierrot est définitivement son pote. Pas loupé, puisque JB trouve tout aussitôt:
bâillotâ (ba-llo-t', ll mll, aujourd'hui ba-yo-t') v.n.: fréquentatif de bâillâ. Se dit de poissons qui sont depuis longtemps dans une eau insuffisante et pauvre en oxygène. Ils ouvrent et ferment la gueule avec bruit, hors de l'eau, en donnant des signes d'agitation et de malaise. Concerne aussi les poissons frais pêchés et les oiseaux blessés qui vont mourir.
JB en tomberait presque à la renverse de sa chaise.
Car cette définition décrit en tous points l'action du roman, comme JB l'a montré plus haut.
Cette stupéfaction rime peut-être avec le mot solution, mais ne le donne pas pour autant.
Que faire?
JB cherche sur internénette, indique toutes les variantes lexicales possibles. Hélas, il n'y a visiblement pas de termes pour décrire la situation romanesque en question.
JB est au trente-sixième dessous lexicographique.
Et, à défaut, traduit:
Il a claqué la gueule en lâchant un râle.
JB n'est pas très satisfait de sa proposition. Il fait néanmoins confiance à l'éditrice et à la correctrice qui auront peut-être de meilleures propositions.
Il n'empêche.
Cette exploration lexicographique, via le patois poitevin, ne s'arrête pas là.
Un peu plus tard, JB doit traduire le mot sagkrakk, formé du verbe sage qui signifie scier et krakk qui est un tabouret. Un tabouret de sciage? Hum.
Il regarde dans gougueule images qui lui précise qu'il s'agit de cet instrument:
Avant même de rechercher, JB s'ouvre à nouveau de son problème linguistique à Der Papa, lequel "fait son bois", comme il dit, pour chauffer la maison. Et il répond:
"Ah, en patois, on dit cheuvre. Comme une chèvre."
JB, rôdé, va donc encore vérifier dans le Dictionnaire du patois du Marais Poitevin de Pierre Gachignard. Qui lui explique:
cheuvre n.f.: chèvre, l'animal aussi bien que la bâti pour scier du bois.
Suit le dialogue suivant:
Der Papa: La bâti? Mais c'est n'importe quoi! C'est un mot masculin.
JB: Moi je te lis ce qui est écrit, hein…
Der Papa: Non non non. Le bâti.
JB: Attends je vais aller regarder dans le TLF. (…) Hum… Ça me donne pas grand-chose. Le bâti d'une maison. Mais c'est pas ça…
Der Papa: Et tu as regardé à chèvre?
JB: Deux secondes… Ah voilà: "Chevalet à trois pieds." Mouais…
Der Papa: En patois i disons cheuvre!
JB: C'est pas parce qu'on dit chèvre en patois qu'on va comprendre en français!
Der Papa: Rhââ!
JB: Attends, je vais regarder ce que propose le dictionnaire norvégien/français.
JB: Oh, c'est drôle… On dit chèvre en patois et baudet en français!
Der Papa: Tu vois que j'ai raison!
JB: Attends, je vais regarder dans le TLF… "II.− TECHNOL. Tréteau sur lequel le scieur de long pose la pièce de bois à débiter."
Der Papa: Mais c'est pas un scieur de long, ton bonhomme, allons!
JB: Non, c'est vrai… Le TLF donne aussi chevalet comme synonyme.
Der Papa: Cheuvre, je te dis!
JB: Nan! C'est moi qui vais finir par l'être à cause de toi! Je vais aller regarder à chevalet:
Der Papa: Ah oui, chevalet c'est bien.
JB: Oui, mais chevalet on risque de confondre avec l'instrument de peinture… Ce qu'il faut, c'est un mot qu'on comprenne immédiatement, et que ce ne soit pas un mot trop technique.
Der Papa: Cheuvre!
JB: Mais je vais pas faire parler patois poitevin un personnage norvégien, allons!
Der Papa: I vois ben qu'ô t'piait pas cheuvre!
JB: Tu m'énerves!
Der Papa: Ha ha ha!
[JB et der Papa retournent à leurs ordiminis respectifs.]
JB: Et tréteau?
Der Papa: Ah oui, pas mal… Mais il faudrait que tu ajoutes quelque chose avec sciage.
JB: Tréteau de sciage?
Der Papa: Ah, ô l'ê ben, tcheu!
JB: Tréteau de sciage, alors?
Der Papa: De même qu'y ô fésons!
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