mercredi 15 décembre 2010

"We a liver"

Et JB est en train de râper des carottes (and, no, he is NOT raping the carrots - unfortunately?) (et, oui, JB a une vie trépidante) lorsqu'il entend dans son mange-diques électronique dont la portée atteint la cuisine de son palais socialiste: Sufferer, des Kingstonians, qui, a posteriori, tout bien considéré et toutes proportions gardées, a été, est et demeure SA chanson de 2010. On écoute:



Dans les nighters, dès les premiers accords de Sufferer que JB reconnaît immédiatement, il hurle presque et se précipite sur la piste aux étoiles et G lui sourit et le suit parce que G comprend pourquoi JB est soudain en transe. Du coup, JB et G dansent et chantent en souriant jusqu'aux oreilles.

Mais si JB sourit à chaque fois, c'est non seulement parce qu'il a l'illusion de croire que les Kingstonians chantent pour et sur lui ("We a sufferer"), mais aussi parce qu'il s'amuse du double sens qu'il a toujours perçu dans la phrase-miroir à celle supra: "We a liver."
Non, JB réécrit l'histoire.
JB a toujours cru, au départ, que les Kingstonians sous-entendaient par "a liver", son autre traduction: un foie. Donc l'organe. Cet organe dont on croyait jusqu'aux Lumières en anglais qu'il était le siège de l'amour et des passions et longtemps en français celui du courage, cet organe qui est pour ainsi dire le seul dans le corps à être capable de se régénérer, cet organe qu'un vautour venait chaque nuit manger dans le corps de Promethée que les Dieux avaient puni parce qu'il avait révélé aux mortels le secret du feu.

Puis JB a compris que, non, il était égocentrique et auto-obnubilé, et que les Kingstonians ne pensaient pas du tout au foie, pas du tout à la maladie comme ici en allemand (Leber = liver = foie) où cette campagne appelle à donner son foie:

© icke

Les Kingstonians, dans Sufferer, parlent bien de l'homme vivant, de l'homme bel et bien vivant, qui vit, un substantif formé sur le verbe to live = vivre. Les Kingstonians parlent de l'homme qui vit "d'une manière particulière" ainsi que answers.com nous l'explique:


Enfin, JB s'est amusé (et s'amuse toujours) de ce double sens qui est un parfait résumé de son année 2010 - bref.

Du coup, toujours râpant ses carottes (mais ne les rapinguant donc pas), il s'interroge sur l'étymologie du mot liver = foie. Aurait-ce un lien avec vie = life??? Il va consulter etymonline:


Le mot est donc un terme proto-germanique commun qu'on trouve quasi à l'identique dans toutes les langues germaniques. Leber en allemand, donc; lever dans les trois langues scandinaves continentales et en néerlandais, liver en anglais, lifur en islandais. Et le terme signifierait: enfler, grossir. JB n'est pas très satisfait de cette explication. Il va consulter l''équivalent allemand, le Kluge:
Leber (…) Das Wort bedeutet vermutlich ursprünglich “die Fette” (vielleicht eigentlich “die gemästete Leber”, vergleiche italienisch fegato “Leber” aus lateinisch iecur ficatum “gemästete Leber”). In diesem Fall vergleicht sich das griechische liparós “fett” zu griechisch lípos “Fett, Öl, Salbe” (…) Es ist allerdings nicht völlig ausgeschlossen, dass das germanische Wort das indogermanische Wort für “Leber” (°jek'r, vergleiche lateinisch iecur usw.) fortsetzt, da bei diesem auch sonst lautliche Entstellungen auftauchen (z.B. ein Anlaut l- im Armenischen, falls das armenische Wort zugehörig ist).

Alors ça c'est pas-sion-nant. JB traduit:
Foie (…) Le mot signifie probablement à l'origine “la graisse” (peut-être en fait “le foie gavé”, confer l'italien fegato “foie”, du latin iecur ficatum “foie gras”). Auquel cas on peut comparer le grec liparós “gras” au grec lípos “graisse, huile, onguent” (…) Toutefois, il n'est pas tout à fait exclu que le terme germanique soit issu du mot indoeuropéen désignant le “foie”, à savoir °jek'r (confer le latin iecur, etc.), puisque apparaissent dans l'étymon des mutations consonantiques et vocaliques (par exemple un l- initial en arménien, si tant est que le mot arménien soit apparenté).

Avant de revenir sur cette étymologie qui mérite des précisions, JB s'arrête une seconde. S'il a bien compris, le mot actuel des langues germaniques qui désigne le foie vient en fait du foie gras. C'est donc la spécialité culinaire qui aurait donné aux différentes langues le mot définitif pour désigner l'organe du corps notamment humain. Ce qui signifie donc que les peuples germaniques et les peuples latins mangeaient du foie gras.
Ça tombe bien, c'est la période de Noël, la plupart des Français (et JB avec eux, pour une fois) va se gaver de foie gras - voyons donc quelle est son histoire, que Wikipédia nous révèle. Et là, bingo!


On gavait les oies avec des figues! Et c'est la figue qui a donné le foie!
Le gourmet et gourmand qu'est JB est aux évidemment aux anges. Et il est certain que son si cher ami É l'est tout autant!

Mais revenons à nos questions étymologiques et prenons le problème par la racine latine en passant cette fois par le français. Que nous dit le Robert historique de la langue française?
Eh bien ils nous dit ça, ce que vient de dire JB, et il dit très exactement ça:
FOIE n.m. est l'aboutissement (XIIIe sècle) du bas latin ficatum, d'abord “foie gras”, puis en général “foie”, formé sur ficus “figue”. Ficatum est un calque du grec hêpar sukôton “(foie) de figues” (de sukon “figue”), c'est-à-dire “foie d'un animal engraissé avec des figues”. Le mot grec est resté longtemps connu dans les pays de langue latine et sa prononciation selon les lieux explique la variété des formes romanes issues de ficatum: par exemple, déplacement de l'accent en espagnol d'où higado; la métathèse des consonnes c et t (°feticum) donne le catalan fetge, le wallon féte. En français, par changement d'accentuation, ficatum devient ficitum, d'où la forme figido (VIIIe siècle) [pff… là ça devient hypertechnique et JB s'ennuie et a peur d'ennuyer ses petits amis, mais il continue, ou alors ses petits amis sautent cette explication et vont jusqu'à celle de Pierre Guiraud, l'idole linguistique de JB — non, JB va sauter carrément (après tout, après les raped carrots, il reste dans l'ambiance)] (…) Pour Bloch et Wartburg, l'ancien français fieger “coaguler (du sang)” (…) viendrait du type °fecatum, feticum. Pour Pierre Guiraud, au contraire, ficatum, figatum aurait perdu tout lien avec figue — ce qui est très probable, l'engraissement des oies avec des figues n'étant que méditerranéen — et a été compris comme “sang figé”, “sang moulé”, par référence aux verbes latins figere “fixer” et fingere “modeler, façonner”.

Le foie, le sang — le petit vampire qu'est JB est toujours aux anges.

JB veut résoudre jusqu'au bout l'énigme aussi hépatique qu'étymologique. Il va donc consulter ses potes Mallory & Adams qui lui révèlent le proto-indoeuropéen connaît deux mots pour désigner le foie. Le °yék'rt indiqué supra mais aussi °lesi-:
Two words indicate the “liver”: °yék'rt is ancient and heteroclitic (e.g. Latine iecur, Lithuanian (j)eknos [plural], Greek hêpar, Avestan yakare, Sanskrit yákrt, all “liver”); °lesi- is problematic in that it occurs only in Hittite lissi- and Armenian leard and while a cognate with Anatolian normally presumes Proto-Indo-European status, this word could be an early loan between two neighbouring languages.
Et voilà donc, rapport à ce que disait le Kluge, la boucle arménienne bouclée.
Hélas, et bien qu'ils consacrent un chapitre à la nourriture et aux boissons, Mallory & Adams n'ont rien à dire sur le foie gras - ce qui, en soi, est un miniscandale!


Bon ben… voilà hein, JB a résolu l'énigme du foie.
Il cherche une conclusion.
Il pense à la comptine sur le foie, la foi, la foi, la ville de Foix — tous ces homonymes qui font hurler les étrangers.
Et JB apprend du coup qui'l peut passer du foie à la langue en ce que cette comptine, en rhétorique, se nomme un virelangue:


Enfin… la comptine n'est pas si difficile à prononcer.
Un peu frustré, JB va vérifier si Wikipédia a quelque chose à dire sur le virelangue. Ce qu'il a, et JB en est fort aise:


Puis Wikipédia en cite toute une liste. JB s'amuse comme un petit fou. Il y a bien sûr celui de Marcel Duchamp:


Et JB ne résiste pas au plaisir de montrer Rrose Sélavy, aka Marcel lui-même, circa 1920:


Du même coup, JB ne résiste pas non plus au plaisir de montrer "l'eau de voilette" de Rrose Sélavy, datant pour sa part de 1921:


Du même coup, JB pense à M. Et il se dit que M. adore forcément les virelangues, donc il va chercher un virelangue spécifique pour M.:


JB se dit ensuite que c'est Noël, il va donc chercher un virelangue propre à tous ses petits amis.
En voilà un pour É:


En voilà un pour G:


En voilà un pour N:


Et en voilà un pour F:


Mais il y en a aussi dans d'autres langues.
En allemand, par exemple:


Et, le plus top d'entre tous, en danois:


Et comme le rødgrød med fløde est évidemment imprononçable, confer:


… mais tout aussi évidemment succulent, on écoute et on regarde, puisqu'on va voir le dessert apparaître sur l'écran à un moment:

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