lundi 13 décembre 2010

Salauds de pauvres! ou: Par ma queue!

Et, de bon matin (enfin… JB s'est réveillé taaard), JB traduit (et c'est lui qui souligne):
À l’âge de quinze ans, il s’est brouillé avec le reste de la famille. L’altercation a été tellement violente qu’ils l’ont jeté dehors. Ludvik a donc quitté Gjørstad qui, à l’époque, était une petite ferme où ils tiraient vraiment le diable par la queue.

Et, forcément, JB s'interroge sur cette locution, tirer le diable par la queue, en ce qu'il ne voit pas l'analogie entre la queue du diable et la pauvreté. Il va donc consulter le Robert des expressions et locutions qui l'informe:
Tirer le diable par la queue “avoir de la peine à trouver de quoi vivre; vivre avec des ressources insuffisantes” (Oudin, 1656). L'image de base est sans doute celle de l'homme qui essaie de retenir le diable qu'il a sollicité, à qui il demande une aide.
JB marque une pause tant il est effaré.
Ce que cette explication sous-entend, en d'autres termes, c'est que: quiconque vit dans la gêne va forcément (et cet adverbe pris dans les deux sens du terme), automatiquement, comme une espèce d'atavisme, non plus se laisser corrompre, succomber à la tentation, mais de lui-même provoquer un délit pour (tenter de) s'extraire de sa situation. Autrement dit: un pauvre reste pauvre, et s'il essaie de s'en sortir, il le fait automatiquement par des moyens illicites. Le pauvre est par nature un criminel, le sans-le-sou est un pousse-au-crime. "Salauds de pauvres!" disait Coluche. Mais, quand JB veut retrouver cette réplique, il découvre que Coluche n'en est pas l'auteur. Béatrice Valleys, de la Libération, nous l'explique:


Pour JB, ceci est une mine.
Une mine parce qu'il expliquait pas plus tard que ce week-end que le langage fixe dans son vocabulaire une discrimination à l'encontre de certaines catégories de population. Les femmes, ce qu'il a appelé à maintes reprises sur ce blog tatoué et fumeur, le machisme sémantique; les homosexuels, comme l'a prouvé la vidéo de Dynastie; les étrangers (confer tous les synonymes outrageants qui les caractérisent), les militants de gauche (confer les termes gauchiste et gaucho de 1968 ou, en novembre 2008, les propos de Michèle Alliot-Marie, à propos de Julian Coupat et des autres de Tarnac qu'elle qualifie de "ultra-gauche", de "mouvance anarcho-autonome" et que le Figaro, servant la soupe à la ministre, désignait également en tant que "nihilistes" et "apprentis terroristes de la gauche ultra") et donc, enfin, les pauvres.
JB, qui doit donner dans sa ville natale le 8 mars prochain, lors de la Journée de la Femme, une conférence sur le sujet, est doublement mais amèrement aux anges. Il expliquait au téléphone cette théorie qu'il avait vue confirmée pour les deux premières catégories de populations. Et, sans pouvoir fonder son propos mais subodorant que le langage le confirmerait, il avait argué que les pauvres étaient aussi concernés par cette discrimination sémantique. Voilà, avec ce "Salauds de pauvres" et cette définition de la locution qu'il a lui-même employée, la confirmation de son allégation. Qui se poursuit avec le "Travailler plus pour gagner plus" et le "La France qui se lève tôt" de Sarkozy - autant d'assertions qui perpétuent ce que le langage a tricoté dans sa trame lexicographique et redéroule au fil des décennies. On regarde, avant de poursuivre, la réplique de Jean Gabin:



Mais le mieux, pour ce blog tatoué et fumeur qui s'intéresse aux salauds de pauvres et à la locution tirer le diable par la queue, reste le poème en prose de Baudelaire, datant de 1864, et qu'on peut lire dans son intégralité ici en ce que l'on retrouve la queue et le diable:



Revenons - en-fin! - à l'explication de la locution par le Robert:
Tirer le diable par la queue “avoir de la peine à trouver de quoi vivre; vivre avec des ressources insuffisantes” (Oudin, 1656). L'image de base est sans doute celle de l'homme qui essaie de retenir le diable qu'il a sollicité, à qui il demande une aide. Mais la formule par la queue signifie dans plusieurs expressions du XVIIe siècle “à l'envers, par la fin” (-> écorcher l'anguille par la queue, brider son cheval par la queue “commencer par la fin”). Tirer le diable par la queue pourrait bien être du même type et correspondre à “emmener, attirer le diable maladroitement en s'y prenant à l'envers”.
Comme on le voit, si le propos est cette fois plus modéré dans sa dernière phrase, il n'empêche: le pauvre commet une erreur, il est "maladroit".

Pour JB vient à présent le temps d'élucider le second mot de la locution, à savoir: queue. Oui, c'est forcé. JB est comme les pauvres: il tombe aussitôt dans l'excès, la maladresse et la corruption.
Mais, à sa décharge, en tant que traducteur et donc linguiste et lexicographe, la littérature et le vocabulaire le poussent à s'interroger là-dessus. Il avait déjà, en mars dernier, relevé cette phrase qu'il a toujours adorée: "Par ma queue!" C'est ce que disait Papa Moumine dans les histoires de Tove Jansson.
Il va donc consulter le même Robert qui lui explique cette fois:
QUEUE n.f. Le mot (du latin cauda), qui désigne l'appendice postérieur de nombreux animaux, a évolué dans deux directions: d'une part, il désigne des appendices naturels ou des objets allongés; d'autre part, il signifie l'“extrémité”, la “fin”, etc., d'une manière abstraite. La valeur symbolique de queue appliquée à l'homme s'est cristallisée dès le XVIe siècle dans le sens érotique du mot; ce dernier est devenu courant et rend de nombreuses locutions anciennes inutilisables. Au XVIIe siècle, malgré la vitalité du sens érotique, on pouvait dire: “Je suis bien aise de voir votre queue” (1640, Oudin) “je souhaite que vous partiez, que vous tourniez le dos”.
JB a-dore!!!
Il répète:
Je suis bien aise de voir votre queue.
Quel bonheur au quotidien - sémantique ou anatomique, d'ailleurs.


Allez, on se quitte avec le diable, la queue, et le fait d'être bien aise de voir la queue de quelqu'un, en l'espèce du diable. Car on se souvient forcément (!) du morceau de Max Romeo et des Upestters, de 1976 et devenu entre-temps un classique: I Chase The Devil, où il chantait:
I'm gonna put on a iron shirt, and chase satan out of earth
I'm gonna put on a iron shirt, and chase the devil out of earth
I'm gonna send him to outa space, to find another race
On écoute:



Madness en avait fait une épatante reprise dans leur album The Dangermen Sessions Vol. 1, de 2005, et réintitulée I Chase The Devil AKA Ironshirt - et on écoute particulièrement les notes entêtantes de l'orgue Hammond.




Sur ce, JB souhaite une bonne journée à tous ses petits amis en leur souhaitant qu'ils puissent eux aussi trouver une occasion idéale pour lancer: "Par ma queue!"

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