© Henri Bonnard © Magnard
JB fait donc sa revue de fesses, il lit dans les pages électroniques du Monde un reportage sur l'autoroute qui vient d'être construite en Albanie, un sujet qui évidemment passionne JB puisque l'Albanie a toujours fasciné JB, à tel point que JB lit même les commentaires à l'article. Et il tombe sur cette remarque d'un certain Rémy, adressée au journaliste, et qu'il adore, cela va de soi (la remarque, pas le journaliste ni Rémy; eux, JB ne les connaît ni des lèvres ni des dents - pour cette fois employer un nouvel à-peu-près):
Ni une ni deux (ni trois, d'ailleurs), JB s'empare de son Grévisse, la Bible des grammairiens, qu'il aime consulter mais qui est tellement mal fichu (le Grévisse, pas JB - quoique… ça aussi ça se discute) qu'il faut quasi toujours un quart d'heure avant de retrouver l'article qu'on cherche. JB cherche l'article qui correspond à ce jamais, non pas qu'il remette la parole de Rémy en doute, oh que non! JB applaudit même des deux mains et branle du chef (c'est une expression) en lisant ce qu'affirme Rémy. La curiosité de JB est uniquement piquée, et il souhaite en apprendre davantage sur la nature de cet adverbe et sur son emploi dans ce cas de figure qui correspond au norvégien noen sinne et qui est toujours problématique à traduire.
Pas du premier coup (c'êut été (et la liaison peut occasionner un énième à-peu-près - hö!) mais au second, JB trouve:
Comme d'autres auxiliaires de la négation, jamais peut encore, dans certaines conditions (art. 1033), s'employer avec son ancienne valeur positive (“en un temps quelconque”).
Et les sieurs Grévisse et Goose de préciser, in H4:Jamais a pu s'employer en dehors de toute nuance négative: Incontinent que l'homme est mort, / Ou JAMAIS [= toujours] ou long temps il dort / Au creux d'une tombe enfouye" Ronsard)
Et JB reconnaît au passage le mot incontinent qu'il adore employer, qui ici ne renvoie (là aussi, façon de parler) nullement à la perte accidentelle et involontaire de certaines sécrétions puisqu'il ne s'agit pas d'un adjectif mais d'un adverbe, lequel signifie ici, nous rappelle le TLF:JB va consulter l'article 1023 du Grévisse, mais ne trouve rien (c'est normal, le Grévisse est ainsi fait) qui se rapporte explicitement à l'emploi du jamais en question dans le cas de figure en question. En revanche, JB trouve enfin la règle qui régit l'emploi du ne dit explétif (c'est-à-dire sans son compagnon pas) dans une subordonnée introduite par la locution conjonctive avant que:
Avant que Louis NE parte implique l'idée que Louis n'est pas (ou pas encore) parti.
Donc, si JB comprend bien, dans la phrase Avant Que Raoul n'ait joui, est sous-entendue l'idée que Raoul n'a pas encore joui - du plaisir que lui offre la dégustation de sa galantine, si vous me permettez de terminer ma phrase.JB consulte également le Robert historique de la langue française et trouve l'explication étymologique suivante:
JAMAIS adv. résulte de la soudure (XIIIe s.) de ja mais (v. 1980) formé avec les ancienes adverbes ja (-> déjà) et mais “plus” (-> désormais, mais). ◊ Le mot a pris ses sens actuels dès l'ancien français entre le Xe et le XIIIe s., d'abord pour indiquer une négation par rapport au temps (XIe s.), puis une éventualité (1160). En ancien français, ne… ja et ne… jamais ne s'employaient que par rapport à l'avenir, tandis que, pour le passé, on se servait de ne… onques (du latin unquam). C'est seulement à partir du XIVe s. que celui-ci a décliné face à ne… jamais. Du XIe au XIIIe s., l'usage distinguait entre ne… ja et ne… jamais, le deuxième ayant le sens de “ne… plus jamais”, conformément à l'étymologie. Depuis, ne… ja a disparu au profit de ne… jamais, auquel il a fallu ajouter alors plus pour rendre l'idée dont il avait été l'expression. Ainsi s'explique la tautologie de l'élément -mais (qui signifie étymologiquement “plus”) et plus dans (ne… plus) jamais.
C'est compris?
Jamais employé sans la négation ne dans une subordonnée sous-entend l'idée d'un passé, renvoie à un autrefois ou, comme l'écrivait Rémy, signifie “aussi loin que je m'en souvienne”. Alors que notre jamais dans son emploi traditionnel implique pour sa part une notion de futur, désigne une chose qu'on ne fera plus (d'où l'étymologie) dorénavant, dans les temps à venir.
Et, lisant à propos de l'Albanie, JB se souvient qu'au moment de la C(o)upe du Monde, à l'époque où il rédigeait ses chroniquettes consacrées aux pays footballistiques indûment éliminés de la compétition internationale, il avait voulu en écrire une sur la Shqipëria, comme on dit en albanais, c'est-à-dire le pays des aigles, c'est-à-dire l'Albanie (d'où la présence de l'aigle bicéphale sur le drapeau national).
Car JB avait trouvé des documents visuels et sonores épatants sur l'Albanie, plafonnant aujourd'hui 71e au classement mondial, derrière l'Ouganda mais devant le Monténégro, et qualifiée par la Fifa de, je cite, "outsider qui s'assume" (un euphémisme somme toute tordant), le pays ayant écrabouillé le Luxembourg 3 à 0 aux qualificatifs du Mondial en 2008 - et ça, il faut le faire.
Oui, l'Albanie a toujours fasciné JB, il le disait pas plus haut qu'en haut.
JB est fasciné par l'albanais, une langue indo-européenne qui est ce qu'on appelle en linguistique un isolat, c'est-à-dire une langue seule, sans famille (comme le tirait Hector Malot), contrairement à par exemple le letton qui fait partie des langues baltes, le breton qui fait partie des langues celtes, etc. L'albanais, lui, est tout seul, isolé. Un peu comme son pays, d'ailleurs.
Aussi, pour lier football et linguistique, JB a le plaisir de présenter le reportage de la télé albanaise, consécutif au match ayant opposé le Dinamo Tirana au Carl Zeiss Jena de RDA, en 1976 (et se soldant par une éclatante victoire albanaise, of course). On est tout ouïe pour se repaître de cette langue étonnante et pas moche du tout, on trouve.
Mais le pays des Aigles a toujours été une grande nation de football comme on le voit dans ce récapitulatif trouvé dans le Wikipédia anglische sur la participation du pays à la Coupe du Monde:
Et là encore, on adore ce doux euphémisme: "For unknown political reasons", employé pour expliquer la non-participation du pays des aigles à la compétition internationale. Car la question, après toutes ces années, demeure: pourquoi l'Albanie n'a-t-elle pas participé? Mais parce que les règles étaient truquées par l'engeance réactionnaire et anti-communiste de la FIFA impérialiste, qui permettaient ainsi aux arbitres de sanctionner les tours de passe-passe socialistes inventées par les nations identiquement socialistes. De fait, comment un pays tel que l'Albanie ne pouvait-il pas damer le pion à des Brésil ou RFA ou Argentine ou France quand on sait que, là-bas, LE Président Enver Hoxha était un grand footballeur devant l'éternel marxiste, ainsi qu'on le voit jouer dans la vidéo ci-dessous:
Ah! Enver Hoxha… Quels mensonges n'ont pas été égrenés sur le compte du président à la lumineuse présence d'esprit. On aimerait rappeler aux ignorants et mécréants cette indubitable réalité, ainsi que nous le rappelait une vidéo sen-sa-tion-nelle: "The accomplishments made in the development of all aspects of the socialist society in the Socialist People's Republic of Albania in just 40 years are quite amazing. As of 1984 Albania was 100% electrified, had no taxes, no inflation, no unemployment, complete educational system, total woman's emancipation, complete & free healthcare, etc." Qui pouvait se targuer, en 1984, d'avoir électrifié son pays "à 100%"? Qui n'a pas rêvé de ne plus payer d'impôts? Qui n'a pas appelé de ses vœux une égalité pleine et entière entre hommes et femmes? Tout ça existait au quotidien dans l'Albanie d'Enver Hoxha. Aussi allons-nous regarder et écouter une petite chanson à sa gloire:
Car Enver Hoxha n'a eu QUE des idées géniales. Le pays était menacé de toutes parts. Des nations hostiles et anti-socialistes, toutes emmenées par la FIFA, voulaient la perte de l'Albanie. Ils voulaient envahir et détruire l'Albanie. Qu'a donc fait le camarade Enver? Il a fait construire 750 000 bunkers pour protéger son peuple chéri. Ainsi que le raconte, dans son carnet de voyage, un cycliste ayant parcouru le pays des aigles à vélo, "ces drôles d’igloos en béton armé sont disséminés sur l’ensemble du territoire avec une sidérante régularité, et j’en découvrirai absolument partout pendant la suite de mon séjour: au milieu de la plaine, dans les montagnes, sur les plages, dans la mer, dans les champs d'oliviers, dans les cours d'écoles, au bord de la route, sur des parkings, n’importe où, au milieu de nulle part et généralement par groupes de trois." On en voit ici quelques spécimens:
© Frédéric Linget
Mais ça ne s'arrêtait pas là: même les piquets de vigne participaient à la défense: c'étaient autant de pieux acérés sur lesquels les parachutistes yankees ou mongols étaient censés s'empaler. Et si ça ce n'est pas une invention géniale, alors JB veut bien être pendu haut et court.
Retournons justement au sport. Pourquoi l'Albanie était-elle, est-elle toujours, une grande nation sportive? À cause de la qualité de son entraînement. On voit ici, énième invention géniale, la particularité de l'éducation physique albanaise en 1979:
Alors? C'est pas grand ça?
Allez, c'est l'heure de se quitter. Et on va se quitter évidemment en revenant sur ce jamais liminaire et en écoutant évidemment du ska, à savoir ce morceau d'Eric Donaldson, intitulé Never Get Away, qui aurait parfaitement pu être une devise d'Enver Hoxha à son peuple. Le morceau, qui date de 1968 ou 1969 a bien sûr été produit par le génialissime… Lee Perry.
Au fait, a priori jamais se dit asnjëherë ou kurrë en albanais, ainsi que le confirment tant un dictionnaire en ligne français > albanais qu'un dictionnaire en ligne albanais > allemand. Et ce kurrë albanais n'a rien à voir avec le verbe norvégien kurre qui signifie roucouler. Quoique… Peut-être que les personnes psychopathes et/ou frigides ne roucoulent jamais. Mais c'est une autre histoire.
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