Jeg traff ham i pikken.
On décortique:
Jeg = je. Traff < prétérit du verbe irrégulier treffe (treffen en allemand), littéralement rencontrer, ici = toucher dans le sens de toucher sa cible < en français le verbe sera au passé-composé. I = dans. Pikken est formé du substantif pikk = bite, le suffixe -en n'étant autre que l'article défini puisque, dans les langues scandinaves, l'article défini est postposé:
en pikk = une bite
pikken = la bite
C'est compris? Le déterminant est placé à fin du nom commun.
Ça c'est pour le masculin.
[Et on s'autorise une parenthèse qui est en plein dans le sujet. Est-ce à cause de tant de fréquentations avec les pays Scandinaves et de très nombreuses années en Allemagne, mais plus ça va et plus on s'étonne que le mot bite en français soit féminin. Au risque de faire de l'ethnolinguistique de comptoir et qui plus est phallocrate, on ne comprend pas que l'organe dit viril ne soit pas, en français, de sexe (ça ne s'invente pas…) masculin comme il l'est en allemand (der Schwanz) ou, donc en norvégien - fin de la parenthèse.]
Pour le neutre, ça marche pareil:
et bryst = un sein
brystet = le sein
Et pour le féminin, ça marche comment?
ei rumpe = un cul
rumpa = le cul
Aha. Là c'est le piège. Le e final se transforme en a.
Voilà notre exercice de grammaire terminé. Et, entre nous soit dit, et je suis sérieux comme un pape en affirmant cela, mais j'ai toujours pensé qu'il fallait utiliser la sexualité pour expliquer la grammaire. Étrangement (ou pas du tout d'ailleurs), présentée ainsi, la grammaire devient un jeu d'enfants même aux plus rétifs. J'en ai fait moult fois fait l'expérience.
Bon. Revenons à notre traduction.
Puisque le nœud (hö!) de la question aujourd'hui, c'est justement la traduction du mot pikk. Car j'ai envie d'employer le mot zguègue.
Quel est le contexte? Je l'ai dit: c'est un dialogue. C'est souvent dans les dialogues, en français, que le langage parlé, relâché ou vulgaire passe le mieux.
Qui parle: Sam. Un ado de 17 ans environ, Libérien, réfugié en Norvège, vivant en banlieue d'Oslo, et dont le narrateur, son meilleur ami (lui aussi un ado, lui aussi vivant en banlieue), a dit de lui:
Ce qui n’était pas le cas de Sam: il tchatchait en permanence, prononçant des phrases où manquait la moitié des mots, ce genre de norvégien qu’on apprend à force de côtoyer des demandeurs d’asile comme soi.
Toutes ces précisions, et qui plus est cette phrase présente dans la narration, confère au traducteur une certaine liberté: ce dernier peut dès lors prendre quelques licences avec les registres de langage et s'autoriser d'employer des mots modernes dans sa propre langue. Il doit néanmoins faire attention à plusieurs choses:
1) les doser raisonnablement pour ne pas "faire djeunz"
2) ne pas trop y avoir recours car les néologismes, surtout ceux employés par les adolescents, vieillissent souvent très vite, ce qui a un impact à moyen terme sur la traduction: relue dix ans plus tard, elle a des accents surannés sinon carrément ridicules.
Et donc: le zguègue.
On va vérifier dans le Larousse de l'argot & du français populaire. Or rien. Ce dictionnaire étant pourvu d'un lexique français > argot en fin d'ouvrage, on va quand même vérifier si le mot, par le plus grand des hasards, ne serait pas recensé. Or non. On trouve ces propositions:
© Jean-Paul Colin © Larousse
© Jean-Paul Colin © Larousse
On va voir si Pierre Merle a retenu le mot dans son impeccable Nouveau dictionnaire de la langue verte… Et… il l'a!
On lit sa définition, car Pierrot, c'est le roi des définitions. Je ne connais aucun lexicographe qui propose des définitions si claires, si exactes et si peu stigmatisantes pour les populations auxquelles elles renvoient.
Déjà, une constatation, notre pote Pierrot écrit pour sa part zgueg.
Zgueg n.m. Pénis. Depuis la fin du XXe siècle, ce terme issu des banlieues des grandes villes semble s'imposer, du moins parmi les jeunes, dans le maquis de mot désignant, en argot, cet organe très sollicité, entre autres sur le plan langagier. Le mot est relevé par Pierre-Adolphe, Mamoud et Tzanos dans leur Dico de la banlieue, en 1995. On dit aussi (entre autres) un *zboub.
J'adooore!Je répète:
(…) cet organe très sollicité, entre autres sur le plan langagier.
On a plusieurs vérifications à faire:
a) l'orthographe: comment les locuteurs écrivent le mot?
b) l'usage: le mot est-il si répandu?
Pour cela, c'est gougueule qui nous répond:
Zguègue donne 17 900 résultats alors que zgueg… 17 800. C'est kif-kif bourricot. Mais pour le coup c'est une recherche quantitative: même si on a pris soin de mettre "zgueg" entre guillemets pour ne pas que ressortent également les résultats de zguègue, et bien qu'on ait vérifié à la loupe les résultats de la première page, il n'est pas certain que zgueg soit le terme le plus employé. D'autant moins si on regarde les deux premiers sites auxquels renvoie la recherche avec zguège:
Si le maître ès-verlan qu'est le Dico de la Zone confirme l'orthographe de zguègue telle que je comptais l'écrire, et qu'en plus le Wiktionnaire lui donne raison… moi je dis: r(o)ule ma p(o)ule!
Voyons voir ce qu'il a à nous dire:
Ah! Revoilà le fameux zboub dont parlait Pierrot.
Et elle dit quoi, la Zone, à l'envers? Je veux dire: quels mots pour pénis propose-t-elle dans les usages (langagiers) adolescents?
Donc les jeunes ne connaissent ni le tricotin ni la défonceuse que recensait Jean-Paul Colin dans le Larousse. Moi je dis: c'est très discriminatoire à l'endroit du tricotin.
Tiens, en parlant de discriminatoire. Dans les résultats, il y avait toujours une réponse qui revenait. En fait une chanson de rap, Fils de Jacques Mes', d'un certain Seth Gueko, dont on n'avait jamais entendu parler à ce jour et qu'on n'a pas forcément envie de connaître. Petit florilège:
Ben tu sais quoi, Seth? Primo, les Roumains et les tapettes t'emmerdent. Secundo, tarlouze, ça s'écrit avec un Z. Tiens, d'ailleurs, ça c'est intéressant et ça nous a frappés tout à l'heure en allant regarder dans le Dictionnaire de la Zone: l'affluence de mots commençant par un Z. Ce qui au demeurant est normal: le verlan étant composé à partir d'une inversion des syllabes, les S sonores en milieu de mot se retrouvent alors en début et, pour ne pas les confondre avec la prononciation du S en début de mot qui se dit toujours [s], les locuteurs de verlan, pas bêtes, mettent systématiquement un Z [z]. Je le disais pas plus tard que l'autre jour: l'usage remet de l'ordre dans l'orthographe.
On se pose une dernière question. Ça vient d'où, le mot zguègue?
Que nous Wiktionnaire?
Étymologie inconnue. Ah merde alors…
On fait une recherche supplémentaire dans gougueule, et: idem.
Alors si quelqu'un est plus informé que tout le monde, merci de laisser un message sur ce blog tatoué et fumeur.
On se quitte avec le rigolard Doctor Dick du toujours facétieux Lee Perry qui n'en a jamais perdu une pour se marrer et signe cette chanson de 1966 avec les Soulettes qu'on entend assurer les chœurs:
2 commentaires:
C'est cela... voui...
J'ai adoré votre cours de grammaire coquin. Il faut que j'essaie à l'occasion avec mes "n'enfants" quand la tension- zut- L'ATTENTION baisse.
Je garde l'idée au chaud quelque part...
Au fait, fan inconditionnelle d'argot et bercée trop près du mur par les chansons de Renaud(chanteur mort?) et Thiéfaine, je me lance toute rougissante.
Ce charmant vocabulaire zozotant autour du membre viril nous vient d'emprunts à l'arabe il me semble. zeb, zob- zbouba z'est du maghrébin (zouave). Le "zgeg" z'est un zynonyme ou un dérivé qui vient de là. Dans la ZUP za voyage les mots.
http://birkadem.free.fr/glossaireGLavallee.pdf
Z'y va Monsieur Coursaud,non mais il en a des sujets zarbis, des trucs de oufs quoi!
Amicalement, soir bon!
La fille du coupeur de joints rime avec Fifrelin
C'est toujours un immense plaisir jamais dissimulé de vous lire, chère Madame Fifrelin - en espérant que vous vous portez comme une charme.
Ah oui ? Donc vous n'êtes pas convaincue par mes méthodes pédagogiques révolutionnaires et, certes, sans doute utopiques…
Quant à l'arabe, oui, bien sûr… Que n'y ai-je pas pensé!
Enfin, pour ce qui est des sujets zarbis, comme je le disais à une amie qui elle aussi s'en plaignait: qu'y puis-je si le terme "fémidon" ne ressort jamais dans les traductions…
Et une bonne soirée jurassienne !
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