[jeg] fantaserer om kaldt, krystallklart vann som sildrer lindrende ned ganen, vann som gir energi og kraft og liv.
Et, dans l'instant, je me dis que ce "kaldt, krystallklart vann" est la copie quasi conforme de la chanson de Malaria, un groupe de filles allemand des années 80, emmené par Gudrun Gut, aujourd'hui une DJane qui vient justement, a-t-on lu dans son journal, de sortir un disque (de la techno, no no no no), et qui faisait de la NDW, la Nouvelle Vague Allemande dont on expliquait en janvier dernier ce qu'elle était exactement. Et Malaria avec Gudrun Gut ont composé en 1982 ce morceau dont elles étaient sûrement loin de savoir à l'époque qu'il deviendrait un tube vingt ans plus tard. Ce morceau s'appelait Kaltes, klares Wasser qui, donc, est la traduction allemande presque parfaite du groupe nominal norvégien employé par l'auteur - je le répète: "kaldt, krystallklart vann"; et le norvégien ajoute simplement que l'eau est non seulement claire mais cristalline ou limpide. On procède par ordre et on écoute d'abord Malaria, ici en concert à Düsseldorf:Par deux fois ces derniers temps, ici à propos du roman en question et là à propos de la nouvelle de Sara, j'ai montré l'importance du rythme et de la musique intérieure des phrases. Hé! C'est pas pour rien qu'on écoute autant de musique primo sur ce blog tatoué et fumeur, secundo dans la vie en général.
Et on est une fois de plus confronté aux allitérations et aux assonances et autres retours de graphie. Donc on va ce matin encore faire mumuse et faire du coloriage:
fantaserer om kaldt, krystallklart vann som sildrer lindrende ned ganen, vann som gir energi og kraft og liv.
You see?Parce que… je sais pas si vous y voyez quelque chose mais moi, en bon daltonien, je ne vois plus aucune différence entre les couleurs. Bref.
On a encore une preuve patentissime de l'importance de la musique intérieure du texte (d'où l'importance de la musique extérieure).
Et ça va donner quoi en français?
Ça, par exemple:
je fantasme à fond sur de l’eau claire et pure et froide, de l’eau qui s’écoule et désaltère, qui soulage et réhydrate, de l’eau qui donne de la vie et de la force et de l’énergie
Ça par exemple!Si on décompose pour analyser le choix de traduction, on peut arriver aux conclusions suivantes. Mais d'abord une petite explication de traductologie. Quand il y a un effet littéraire dans le texte original, il faut le reproduire, eu égard à cette obligation de fidélité à laquelle le traducteur est tenu. Dans l'idéal, il faut le reproduire à l'identique. Donc s'il y a une allitération en S en norvégien, il faut créer une allitération en S en français. À défaut, trouver une allitération avec une autre consonne. À défaut, trouver un autre effet rhétorique et/ou poétique. La structure linguistique, sémantique, poétique et narrative des langues est différente d'une langue à l'autre. Les langues germaniques jouent par exemple beaucoup sur les rimes intérieures, comme on le voit ci-dessus (c'est le principe, pour le scandinave, de la poésie scaldique ancienne). Le français littéraire contemporain va certes utiliser lui aussi ce principe, mais jouera aussi sur d'autres: la longueur des mots, le nombre de pieds (nos fameux alexandrins), etc.
Les conclusions explicatives:
1) C'est la troisième et dernière subordonnée qui a donné la clé de la traduction:
L'auteur utilise ici un procédé stylistique assez courant en norvégien, qui repose sur une accumulation de termes liés par la conjonction de coordination et, et qui fonctionne rarement en français si on la reproduit à l'identique. Or, dans notre cas de figure, cela peut susciter un effet poétique. Je m'explique: puisqu'on est dans une phrase qui joue uniquement sur des effets poétiques et stylistiques, il faut s'en emparer, même des plus étranges a priori en français. De plus, l'auteur a recours à une accumulation de substantifs proche de la redondance: énergie, force et vie sont quasi synonymes.
-> on va donc utiliser cette accumulation ternaire liée par la conjonction et la doubler dans la première subordonnée. Ainsi, de la vie et de la force et de l'énergie fait écho à de l'eau claire et pure et froide.
-> on note au passage l'inversion par mes soins des substantifs pour deux raisons: a) une question de pieds: 1 + 2 + 3 syllabes; b) le rehaussement de l'assonance en I: i + o + i
2) On voit également ci-dessus l'allitération en F qui est introduite au départ par le verbe fantasme. J'ai rajouté à fond justement pour appuyer cette allitération, mais aussi pour des raisons lexicographiques, parce que le verbe norvégien fantasere est beaucoup plus fort et beaucoup moins employé que son équivalent français fantasmer, très galvaudé dans le langage courant. En norvégien, le verbe très galvaudé est plutôt: jeg ser for meg, toujours problématique à traduire, et qui signifie je visualise, j'imagine, littéralement: je vois devant moi.
3) Ce à fond a par ailleurs l'avantage d'introduire le principe stylistique de la première subordonnée qui ne repose, à part le verbe, que sur des mots monosyllabiques. Il faut prendre en compte les E rendus muets par les liaisons (restitués ici par une apostrophe) et cela nous donne:
à + fond + sur + de + l’eau + clair' + et + pur' + et + froid'.
On note au passage l'allitération en R dans les trois adjectifs, elle aussi voulue.
4) On arrive à la seconde subordonnée qui a été la plus difficile à traduire. Le piège consistait à répéter le principe ternaire des première et troisième subordonnée. Adopter ce choix ici aussi aurait été une fausse bonne idée car on serait alors tombé dans la cacophonie, dans une construction lourde.
On reproduit la subordonnée:
de l’eau qui s’écoule et désaltère, qui soulage et réhydrate
La phrase norvégienne dit en réalité, le plus littéralement possible:de l'eau qui s'épanche avec apaisement au bas de la gorge
-> On note qu'en norvégien le verbe sildre et le participe présent lindrendre relèvent plutôt du langage soutenu, et on attire à nouveau l'attention sur les assonances, allitérations et retours de graphie qui unissent ces deux mots.-> On constate, toujours en termes de lexicographie, ensuite aisément que j'ai pris de graaandes libertés avec l'original, que je suis très clairement tant dans la sur-traduction que dans la sous-traduction. Je déroge très clairement à la règle de la fidélité qui prévaut dans la traduction. Mais je m'en explique ci-dessous.
-> On peut, moi le premier, regretter le verbe réhydrater, un poil trop technique, un poil trop prosaïque, un poil pléonastique. Pour ma défense, je soulignerai que le personnage et son copain se trouvent dans le nord de la Côte d'Ivoire, qu'il fait très, mais alors très chaud et qu'ils n'ont plus d'eau depuis plusieurs heures déjà.
-> Ici, j'ai clairement joué sur les allitérations et assonances. Si je réitère mon coloriage, ça donne ça:
de l’eau qui s’écoule et désaltère, qui soulage et réhydrate
Ici, je suis fidèle, sinon servile, au principe stylistique et poétique voulu par l'auteur. Je suis certes en-deçà au niveau du sens et de la sémantique, mais je suis "raccord" avec le rythme. Ce que j'ai perdu au niveau lexicographique, je l'ai gagné au niveau rythmique.-> Le rythme justement. Si on remet cette subordonnée en perspective avec les deux autres et si on procède à leur analyse métrique, on se rend compte que cela donne: 3 + 2 + 2 + 3; effet rehaussé par les répétitions: de l'eau qui + qui + qui + de l'eau qui. Cela donne un effet miroir supplémentaire qui met en valeur l'ensemble et diversifie les procédés tant stylistiques, poétiques, rhétoriques que narratifs.
Voilà.
C'est ma proposition. C'est ma lecture. Ce n'est pas la solution ultime. C'est l'interprétation (dans tous les sens du terme) que j'en donne.
Allez, on se quitte en revenant sur Kaltes, klares Wasser. En 2000, le combo cosmopolite (1 Allemande, 2 Américaines, 1 Australienne, 1 Israélienne) des Chicks on Speed, par ailleurs féministe et flingué (pour notre plus grand ravissement), remixe le morceau de Malaria. En Allemagne, c'est un tube, un succès énorme. Chez nous dans la Rance, la sauce à "l'eau claire et froide" ne prend pas, mais elle a prise pour We Don't Play Guitars des mêmes Chicks on Speed, qu'on a évoqué l'autre jour sur ce blog tatoué et fumeur. Mais un succès retentissant en Allemagne, donc, aussi parce qu'on se souvient (certes vaguement, très vaguement) du combo également féministe et flingué des années 80. Et un succès d'autant plus retentissant que le morceau est à son tour remixé par toute une ribabmbelle de DJs. Personnellement, et si on doit absolument donner son avis sur des morceaux de techno (no no no no), on préfère la version par DJ Koze, certes indisponible sur toitube mais audible grâce au fertiliseur, confer ici et ci-dessous. Sur toitube, en revanche, on peut voir le clip du morceau. Et, non, la photo ci-dessous n'est porno, c'est la vie.
En parlant de vie: bonne journée, et bonne vie!
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