Dans son importation française, la wave se limite au domaine électroménager (l'appareil servant à réchauffer - les litres de café quotidien de JB, par exemple) et musical, avec un marquage historique situé fin des années 1970 et début des années 80 (no wave à New York, new wave puis cold wave en Angleterre).
Sinon, dans sa traduction française, l'emploi du substantif a pris un nouvel essor avec les progrès scientifiques. "C'est au XVIIIe s. que le mot entre dans le vocabulaire scientifique et technique, à propos de la propagation d'un mouvement ondulatoire dans un liquide (1765)", nous indique le Robert historique de la langue française - puisque onde, au départ, désigne "les mouvements de l'eau agitée". Ensuite, vers la fin du XIXe siècle, le mot va s'employer en physique (ondes électriques et électromagnétiques) puis, rapport à la radio, pour qualifier les ondes hertziennes diverses à variées. D'où la locution être sur la même longueur d'ondes que le Robert inscrit "dans l'usage général" à partir de 1957, même si la "longueur d'ondes était attesté[e] depuis 1861 à propos des ondes sonores". Par analogie, le terme décrit peu à peu un ressenti, une émotion, ainsi que nous l'indique le TLF:
Dans ce droit fil; et dans le langage moderne, émettre de bonnes et surtout mauvaises ondes se dit enfin de quelqu'un qui envoie vers autrui le fameux "vent mauvais" cher à Verlaine puis à Gainsbourg. Il suffit de chercher dans gougueule pour s'en rendre compte:
Car en termes de mauvaises vibrations, la langue française tend actuellement à avoir une faiblesse (dans les deux sens du terme) pour le mot anglais vibe. Pourquoi? À cause de l'imprégnation dans le langage du sens positif de la locution être sur la même longueur d'ondes? Pas sûr. Peut-être plutôt à cause du sens de vibration vs onde. La nuance est ténue, mais elle est là: la vibration est plus tremblante que l'ondulation, plus dangereuse peut-être. Bref. Toujours est-il que l'usage valide l'emprunt, que valide à son tour Pierre Merle dans son Nouveau dictionnaire de la langue verte:
Vibe n.f. Instinct, par abrègement de “vibration”. Le mot fut déjà repéré par l'auteur au début des années 80 (voir Dictionnaire du français branché, 1986). "Je ne sens pas les bonnes vibes" (forum de discussion sur Trace TV, 7 janvier 2007).
Ce qui est intéressant, dans la définition de Pierre Merle, rapport à ce que j'ai dit supra, c'est… ce qu'il ne dit pas, ou plutôt sous-entend. Vibe a tendance à renfermer une connotation négative. Est-ce vraiment le cas? Voyons ce que nous dit gougueule:Et non, en fait… Comme quoi, c'est vraiment une question d'appréciation personnelle, de sonorité, de goût. Comme on le verra plus bas.
Puisque, fort de ces constats lexicographiques, on doit traduire le passage suivant:
Jeg (…) tenker at jeg er et annet sted. Noen hjem har dårlige vibber, noen mennesker har en irriterende aura.
La phrase est prononcée par un adolescent norvégien qui réside dans la banlieue d'Oslo et a un vocabulaire plutôt relâché - même si ça ne l'empêche nullement d'écrire et de penser en ayant largement recours à des métaphores poétiques.
Dans la phrase, on reconnaît aisément le substantif au pluriel vibber, norvégianisation de l'anglais vibes (puisqu'une tendance majeure de la langue norvégienne, dans l'importation des termes, est la norvégianisation, contrairement à l'allemand ou le danois qui fixent les mots anglais tels quels dans leurs langues respectives). Les voici donc, nos fameuses mauvaises (= dårlige) vibes. C'est donc a priori comme ça qu'on va traduire.
Bon.
Mais quel mot on a juste à côté, dans la proposition indépendante contiguë? Aura. Le substantif que l'on a également en français. Et la question qu'on se pose immédiatement, c'est: le très moderne et très djeunz vibes peut-il côtoyer le très littéraire aura? Dans la bouche de l'adolescent en question?
Hum.
Ça donnerait:
Certaines maisons envoient des mauvaises vibes, certaines personnes ont une aura irritante.
Ou est-ce qu'on ne dirait pas plutôt?Certaines maisons émettent de mauvaises ondes, certaines personnes ont une aura exaspérante.
Tout ça n'est en définitive une question de goût.
On note au passage le des relâché dans la première phrase et le de plus soutenu, en tout cas conforme à la grammaire, qui sont tous deux voulus dans mes propositions.
Perso (comme dirait le narrateur dans son français moderne), j'ai tendance à penser que la seconde proposition est la meilleure, en termes de longévité sémantique. Je m'explique: souvent, les mots récents, pour modernes qu'ils puissent paraître à nos yeux et nos oreilles, et donc en phase et en adéquation avec le langage relâché employé par l'auteur et/ou le narrateur et/ou le personnage adolescent, sembleront adaptés et seront au final conservés dans la traduction. Or les néologismes comme les emprunts comme les revitalisations lexicographiques vieillissent parfois vite et mal. Et il suffit de dix ans pour qu'on se rende compte que le choix qu'on jugeait judicieux au moment T de la traduction se révèle en fin de compte déjà daté, malheureux. En conséquence de quoi, et surtout en littérature pour la jeunesse et pour adolescents, on aura tendance à opter pour le moyen terme, pour un choix de traduction modéré.
Mais pourquoi je la choisis surtout? Je la choisis pour ses allitérations et ses assonances et ses retours de graphie. Je répète et souligne et colorie:
Certaines maisons émettent de mauvaises ondes, certaines personnes ont une aura exaspérante.
Vous voyez?Bon, là, j'ai certes un peu exagéré avec mes couleurs - sans doute parce que je suis daltonien. Mais le principe est celui-là.
Allez, on se quitte aujourd'hui non pas sur du ska mais sur la fameuse wave dont il était question au début de ce post. Retour en 1980, au Pays de Galles, avec le trio Young Marble Giants qui nous chante N.I.T.A. On ne connaît pas assez Young Marble Giants. Mais les Young Marble Giants n'ont pas assez chanté. Et pour cause. Puisque les frères Moxham étaient tous deux amoureux de la chanteuse Alison Statton. C'était un de trop, leur amour a eu raison du groupe. L'un cédant sa place à l'autre, le couple convolant en de, comme on dit, justes (?) noces. Et ça veut dire quoi, N.I.T.A.? Alison Statton le chante à un moment: "Nature intended the abstract for you and me." Je répète: "Nature intended the abstract". Nature intended the abstract = N.I.T.A. Compris? Et si ça c'est pas de mauvaises ondes et/ou des mauvaises vibes… En plus, le morceau est joué sur cet orgue Hammond si cher à nos chouchous du ska, alors… Tout est au mieux!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire