samedi 24 juillet 2010

La scie tapettisante

Je parlais l'autre jour des phrases impossibles à traduire à cause des antiennes de la culture populaire. Un autre exemple:
Je veux traduire (dans un passage où il est expliqué que l’électricité saute tout le temps:
Et ça continue comme ça le reste de la soirée, comme si quelqu’un s’amusait à débrancher puis rebrancher un gigantesque disjoncteur. L’ambiance suit le même mouvement de yoyo : euphorique quand la lumière revient, maussade quand elle s’en va à nouveau.
Et je me dis que cette lumière fait un peu trop penser à la chanson de Cloclo. Hum… "Que faire?" disait Lénine. D'abord réfléchir. D'abord écouter Ça s'en va et ça revient, pour l'avoir bien en tête jusqu'au dégoût et avoir tellement envie de dégobiller qu'une formule plus judicieuse s'imposera forcément à l'esprit.

Or, en cherchant sur gougueule vidéos le clip clocloësque, on tombe sur tout autre chose, à savoir nos défunts et délicieux Deschiens, qu'on regarde sans perdre une seule seconde:




Du coup, on repense aussi à Albert Algoud qui, avec son personnage de François François, proposait une version "tapettisante"* de François Claude. Et si on n'a pas retrouvé son interprétation de la scie sus-nommée, on a déniché ça ci-dessous:



* On s'apprêtait à écrire: "tapettisante" (adjectif qu'on avait inventé pour la traduction du roman de Sara Stridsberg). De fait, le néologisme intervenait dans deux endroits du roman, à chaque fois pour désigner Andy Warhol. Je cite:


Puis, à la page 365 de ce même roman:


Et puis, parce qu'on ne donne pas trop dans la fanfaronnade, on va tout de même vérifier sur gougueule. Et là, à notre grande surprise mais soulagement malgré tout, on découvre que:


Ça alors.
Dans ce qui se révèle n'être que 4 occurrences, les emplois de l'adjectif se rapportent à: 1) une chanson, 2) une animation, 3) une voix, 4) une combinaison.
En suédois l'adjectif était bögig, sachant que bög signifie pédé.

Mais… et tapette, au fait, ça vient d'où au fait?
Consultons le Robert historique de la langue française:
TAPETTE n.f. est employé avec sa valeur diminutive de petite tape depuis le XVIIIe siècle. Au XIXe s., c'est devenu le nom d'un jeu de billes (1845). D'après la valeur sexuelle de taper (ci-dessus), c'est aussi le nom familier d'un homosexuel passif (1859), l'initiale commune avec tante, tata ayant pu renforcer cet emploi. ◊ Le mot sert également de désignation familière pour la langue, organe de la parole (1867). ◊ D'après sa fonction, il désigne aussi concrètement une raquette d'osier pour battre les tapis, tuer les mouches (1929).

Pas-sion-nant! Ainsi donc, la tantouse précède le tue-mouches! Comme quoi les tounes ont toujours eu une longueur d'avance.
Blagues à part.
Comme on vient de le lire, la tapette désigne "un homosexuel passif". Déjà, quand on avait acheté ledit dictionnaire, on avait instinctivement cherché tous les mots se référant aux homosexuels masculins. Et force nous avait été de constater que tous désignaient justement l'homosexuel passif. Autrement dit, la société éprouvait le besoin de les désigner", de les nommer, de les montrer nommément, de les "penser/classer" comme disait Pérec. De le classer, lui à l'inverse de l'homosexuel actif qui n'avait pas besoin d'être rangé dans une quelconque taxinomie. Comme si l'homosexuel actif n'existait pas par nature, par essence. Seul le pénétré nécessitait la vulgarisation (dans tous les sens du terme). Le pénétrant était hors de la ligne de tir et de mire. Le pénétrant était inoffensif et inattaquable, le pénétré méritait l'opprobre. Tout ceci nous dit long sur la domination masculine et la phallocratie.

Mais revenons à notre tapette. Quel est le sens sexuel du verbe taper?
◊ D'après le sémantisme sexuel du coup, taper, surtout au pronominal, exprime l'idée de relation sexuelle. C'est probablement cette métaphore sous-jacente (non encore attestée) qui rend compte de l'emploi de se se taper avec un complément pour "boire, manger" (1766), taper qqch. ayant aussi signifié "se servir abondamment de" (1836), sorti d'usage. Se taper correspond au XXe s. à se faire, se farcir, etc. avec pour complément le nom d'une action pénible (se taper une corvée, la vaisselle). En argot, le verbe a parfois une valeur explicitement sexuelle, évoquant la sodomie.
D'où, suppose-t-on, le passage à la tapette en tant qu'homosexuel, n'est-ce pas?
Si aucun de nos dictionnaires d'argot ne mentionne explicitement cette allusion à la sodomie, le Larousse de l'argot & du français populaire nous indique néanmoins que le sens de "posséder sexuellement" date de 1928 et renvoie pour le substantif tapette au TLF, dont nous recopions l'étymologie:
3. 1854 « pédéraste passif » ils sont tous maquereaux ou tapettes (Goncourt, Journal, p. 141)
Et le TLF de confirmer également l'étymologie du verbe se taper dans son sens sexuel (avec comme exemple se taper une femme) en la faisant remonter à 1928.

C'est tout de même étrange, cette histoire…
D'un point de vue lexicographique et étymologique, le mot tapette est antérieur au mot se taper. Ce qui signifie donc que la tapette homosexuelle est (encore une fois!) antérieure à l'acte sexuel dit hétérosexuel. Autrement dit, la sodomie est antérieure à la pénétration vaginale.
Ce n'est plus étrange, c'est tout bonnement formidable!
Car c'est toute l'histoire linguistique de l'homosexualité qu'il faudrait presque réécrire (si, encore une fois, je tombe dans l'hystérie - lexicographique ou pas).

Au fait, et notre histoire de lumière clocloësque?
À la réflexion, elle est très bien comme ça, cette lumière qui s'en va et qui revient.

En guise d'au revoir, on a cherché sur toitube une chanson sur les tapettes. Et on est tombé sur cette perle québécoise, d'un certain Paolo Noël dont on ignorait complètement l'existence. Avé, Paulo! Wikipédia nous apprend que la chanson ne s'appelle pas Je suis une tapette, mais plutôt Paulette qui dans ce cas n'est pas la reine des paupiettes mais bien, or donc, une tapette. La chanson date des années 70, aurait connu un succès certain dans la Belle Province et, pour ceux qui ont la comprenette québécoise un peu lente, on en trouve les paroles ici même.

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