samedi 10 juillet 2010

Le cancer que tu as pris sous ton bras

Je traduis:
J’acquiesce, elle continue: Surtout depuis que je sais que j’ai un cancer… Elle marque un bref silence avant d’ajouter, à voix basse: Oui, depuis, la mer me manque encore plus. Et c’est ça le plus bizarre, je trouve… Moi: Un cancer? Elle: Un cancer du sein, oui. Mais les pronostics sont bons, donc… Et en même temps, qu’on le veuille ou non, frôler la mort, se dire qu’on n’en est pas loin, c’est…

Effectivement: "c'est…"

Et on repense forcément à la chanson des Rita Mitsouko qui non seulement a rythmé les dernières années de l'adolescence mais a fait l'effet à l'époque d'une bombe dans la musique française. Laquelle pouvait désormais s'enorgueillir de compter dans ses rangs un groupe impeccable mais aussi populaire. Qui pouvait rester insensible aux accords endiablés de Marcia baila? On réécoute:



Et c'est seulement des années et des années plus tard, peut-être vingt ans plus tard, qu'on a perçu le vrai sens des paroles, cette phrase qui nous avait échappé, ou plutôt qu'on n'avait refusé d'entendre tout à fait à l'époque: "C'est le cancer que tu as pris sous ton bras, maintenant tu es en cendres, en cendres." Pourquoi avoir refoulé la dimension tragique du morceau? Pourquoi avoir éludé la vraie histoire de la chanson: celle du femme atteinte d'un cancer du sein et qui en est morte? Mais ce qui nous frappait, a posteriori, c'était de repenser à une jeunesse française dansant avec (on l'espère malgré tout) insouciance sur une chanson où il est question de cancer, de maladie et de mort, d'incinération. Et, plus troublant encore, se dire que deux des nombreux hits des Rita Mitsouko portaient en fait sur la mort, puisque le second, Le Petit train, avait trait à la déportation - on y reviendra un jour.
Du même coup, avec en tête la phrase de Pierre Desproges, "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui", on se demande si on peut chanter sur tout, y compris sur le cancer. Oui, évidemment, et la question est conne. Non, la question est plutôt: est-ce qu'on peut, à l'instar des Rita Mitsouko, composer une chanson gaie sur un motif triste? Et comment! Et c'est sans doute là le talent d'un artiste. On pense notamment à la chanson de Brigitte Fontaine, de 1970, Le beau cancer qu'on écoute pas plus tard que tout de suite:



"Et être cuit pour être cuit, il vaut mieux que ce soit joli."
Certes.

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