mercredi 28 juillet 2010

Monoxyle

Je veux traduire pour ce roman adolescent la phrase suivante de telle manière:
La table se compose d'un plateau monoxyle.
Mais ça ne va pas. Bien sûr que non. Monoxyle, un ado ne peut pas connaître le mot. Donc il saute - l'adjectif, je veux dire.

Ça veut dire quoi, monoxyle?



Bon, déjà, je me trompais - puisque le TLF confirme que le terme ne désigne que les embarcations.

Je le tiens d'où ce mot? Et je l'ai appris quand?

Je le tiens de ce recueil d'Henri Michaux (oui, je sais, il est taché - il a servi, les livres doivent servir, doivent avoir des taches):

© icke

Ce recueil de poèmes en prose, publié en 1981, est dans l'air du temps (de l'époque), où on s'intéresse à l'art brut, à la folie, à l'hôpital, aux aliénés, à la psychiatrie. Et c'est sur tout ça, aussi, qu'écrit Henri Michaux dans la première partie de l'ouvrage intitulée Les Ravagés, comme il l'explique dans un brève introduction:

© icke © Henri Michaux © Gallimard

Quant au poème où intervient l'adjectif monoxyle, c'est le suivant:

© icke © Henri Michaux © Gallimard

Voilà: la lourde pirogue monoxyle. Une embarcation, donc.
Bon, tant pis pour mon plateau monoxyle. Et puis on s'en fout en fait.
Non, ce qui compte ici, c'est Henri Michaux, ce sont ces poèmes.
Sans eux, et sans ma professeur de français de l'époque, jamais je ne me serais ré-intéressé de cette manière à la littérature (la phrase est conne mais l'époque l'était aussi). C'était une porte ouverte sur le cerveau, sur la compréhension du cerveau, sur la libération, sur la découverte de soi, sur l'émancipation.
Donc: merci Mme G, et merci Henri Michaux.
On avait envie de voir ou d'entendre Henri Michaux, mais les moteurs de recherche ont oublié Henri Michaux dans leur stockage - forcément, se dit-on, mauvais. On trouve sur le site de l'Ina la lecture par Suzanne Flon d'un poème du Belge ayant renié sa nationalité (ah oui: et qui n'a pas parlé pendant des années, jusqu'à ce qu'il découvre le dictionnaire, lise véritablement le dictionnaire et trouve finalement un langage, dans tous les sens du terme), et elle le lit magnifiquement.

Et puis on trouve une lecture, en français par le jeune poète norvégien Simen Hagerup - les Hagerup forment de mère en fils en nièce et en cousin une génération d'écrivains, on en est aujourd'hui à, me semble-t-il, la quatrième génération. On va l'écouter, même si la lecture n'est pas parfaite, rien que pour lui rendre hommage car l'exercice, pour un non-francophone de naissance, est loin d'être aisé.



Et puis, enfin, on trouve un extrait de l'œuvre du compositeur polonais Witold Lutosławski, intitulée, Trois poèmes d'Henri Michaux de 1962/3. La pièce ci-dessous s'intitule quant à elle Repos dans le Malheur et le poème est le suivant:
Le Malheur, mon grand laboureur,
Le Malheur, assois-toi,
Repose-toi,
Reposons nous un peu toi et moi,
Repose,
Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me le prouves.
Je suis ta ruine.

Mon grand théâtre, mon havre, mon âtre,
Ma cave d'or,
Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon.
Dans ta lumière, dans ton ampleur, dans ton horreur,
Je m'abandonne.

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